Initiative majeure en direction du monde la création, Mondes nouveaux est rapidement devenu un espace des possibles aussi innovant qu'excitant.
C’est un programme particulièrement ambitieux. Destiné à susciter initiatives originales et projets inédits, « Mondes nouveaux », un dispositif voulu par le Président de la République pour sortir de la crise sanitaire, est vite devenu pour les acteurs de la scène de la création un espace des possibles aussi innovant qu'excitant. Qu’on en juge : conçu dans le cadre du plan de relance, ce programme, qui mobilise 30 millions d’euros et sollicite des sites et édifices issus du Centre des monuments nationaux et du Conservatoire national du littoral, laisse carte blanche aux équipes sélectionnées et met en avant l’originalité des projets. Avec un seul mot d'ordre : rester à « l’écoute de la création ».
Un an après le lancement du programme, chacun des 264 projets avance à son rythme, certains ont d’ores et déjà rencontré leur public, d’autres sont sur le point d’aboutir, tous devront être terminés à l’été 2023. Parmi les grandes tendances, on relève un retour de la pratique collective, qui est plébiscitée par de nombreuses équipes de créateurs, et l’importance de grands sujets de société, comme la place de l’individu, la question de l’identité ou celle de l’écologie. Nous avons demandé à Bernard Blistène, président du comité de sélection, ancien directeur du musée national d’art moderne, au Centre Pompidou, et grand connaisseur de la scène de la création contemporaine, de revenir pour nous sur les enjeux de Mondes nouveaux.
Quelle était la feuille de route de Mondes nouveaux ?
Cette initiative est née d’une idée simple : il y avait urgence à entendre ce que la scène de la création avait à nous dire du monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons constitué un dispositif inédit, doté de 30 millions d’euros à engager rapidement, qui puisse porter une attention particulière à un phénomène essentiel : la pluridisciplinarité de la scène contemporaine. Cette démarche a immédiatement trouvé un écho important, puisqu’après la publication de l’appel à projet, nous avons reçu 3 200 dossiers. Le comité de sélection – une équipe de huit personnes expertes dans leurs domaines et qui aient à apprendre les unes des autres – a retenu à l’unanimité, il faut le souligner, 264 projets. Parmi eux, 80 sont issus de collectifs, dont la moitié – fait notable – se sont constitués pour la circonstance. Les artistes souhaitaient se retrouver. Enfin, il est impossible de séparer la création du rapport à l’histoire et à la diversité des espaces et des lieux de réflexion. D’où la proposition que les artistes s’installent dans des lieux sous l’égide du Centre des monuments nationaux et du Conservatoire national du littoral.
La méthode retenue est elle aussi inédite…
En effet. Nous avons imaginé une méthode plus simple que celle de la commande publique. Les artistes proposent les projets qu’ils souhaitent développer et une fois que nous avons analysé leur faisabilité, nous leur donnons le moyen de les réaliser. Nous sommes producteurs et non propriétaires. À la différence de la commande publique, les créateurs restent propriétaires de leurs projets. Cela donne une latitude différente. Le trait d’union de ces projets est d’expérimenter des formes qu’un cadre trop contraint empêche de réaliser. J’adore l’idée d’être le premier surpris de ce que l’on tente d’initier.
Les artistes ont eu envie de travailler ensemble et de retrouver un pays concret. Ils sont en quelque sorte sortis deux fois du confinement grâce à Mondes nouveaux…
C’est vrai. D’une certaine façon, il y avait une forme d’utopie, l’idée que dans cette situation, les artistes, qui ont le désir de s’ouvrir au monde, se retrouvaient encore plus que d’autres métiers dans l’incapacité à transmettre, et que nous serions plus vite sortis de cette situation s’ils étaient là pour en témoigner dès lors qu’ils auraient réalisé leur projet. Nous avons tout fait pour alléger les procédures. Nous avons travaillé dans l’urgence. Mondes nouveaux interroge les artistes sur leur désir.
Quelles sont les lignes de force des 264 projets retenus ?
Je dis régulièrement que les artistes ne sont pas des lanceurs d’alerte. J’entends par là que la création est une intelligence du présent mais aussi quelque chose qui tend vers un dépassement du temps réel. Parmi les projets, les grands sujets de société sont présents, qu’il s’agisse de ceux liés au devenir de l’individu, à ses mutations, au rôle de la science, à la réalité du monde que nous habitons. A commencer par l’écologie, au sens philosophique où l’a défini la philosophe Isabelle Stengers qui parle, à la suite de penseurs comme Felix Guattari ou Donna Haraway, d’une « écologie des pratiques ». Elle suppose que la plupart des artistes sont sensibles à une sorte d’interdépendance entre différentes formes intellectuelles, artistiques et du vivant. Si je devais qualifier les choses de manière plus simple et immédiate, les questions d’identité, les questions propres à la nature et à l’espace artificiel dans lequel nous vivons, et le souhait que les gens ont de penser et de travailler ensemble – d’une forme de cosmopolitisme, aussi – imprègnent la diversité des projets que l’on a eus.
Où en est-on ? Les projets sont-ils présentés tout au long de l’année 2022 ?
Si les sommes seront toutes versées d’ici la fin de 2022, les artistes ont jusqu’à l’été 2023 pour réaliser leurs projets. On en a déjà inauguré beaucoup, je pense notamment aux projets de Joël Andrianomearisoa au château de Villers-Cotterêts, de Laurent Pernot au centre archéologique de Glanum, de Félicia Atkinson au château de Regnéville-sur-Mer, de Gaëlle Choisne au musée national de l’histoire de l’immigration, de Khaled Alwaera aux Subsistances à Lyon, ou encore de l’écrivain Christian Garcin autour du poète américain E. E. Cummings à l’Abbaye de Montmajour (voir notre interview).
Dans les semaines qui viennent, nous allons en inaugurer un nombre considérable. Je vais me rendre à l’IRCAM où un collectif d’artistes réinterprète le Polytope de Xenakis pour le cinquantième anniversaire de l’œuvre que le musicien a créé à Cluny, à Chambéry où Mohamed El Khatib et Valérie Mrejen ont inventé un projet de médiation artistique, au MUCEM à Marseille pour un projet autour d’un navire européen du sauvetage de Sébastien Thiéry, au Désert de Retz à Chambourcy pour un projet de Stéphanie Coudert qui imagine un parcours performance autour du vêtement… nous n’allons pas arrêter de courir d’un endroit à l’autre dans les prochains mois.
Un prolongement de Mondes nouveaux est-il envisagé ?
Ce n’est bien sûr pas à moi d’en décider. Nous sommes partis de deux questions : à quoi rêvent les artistes ? Qu’est-ce que la situation dans laquelle ils se trouvent rend plus que jamais impossible à réaliser ? Le moment est venu de tirer les enseignements de cette expérience. L’enthousiasme, quoi qu’il en soit, est certain.
Mondes nouveaux, c'est...
- 30 millions d'euros pour soutenir les créateurs et créatrices
- 430 créateurs et créatrices sélectionnés
- 264 projets dans toute la France
- 85 collectifs de 20 à 96 ans
- 60 % de moins de 40 ans