Marqueur fort de l’identité du cirque, le chapiteau est souvent présenté comme « l’anti-cathédrale de la culture ». Un signe évident de modernité, à l’heure de l’hospitalité et de l’inclusion.

Marc Jeancourt

Mobile, artistique, inclusif, populaire, le cirque sous chapiteau a tout pour lui. Il va à la rencontre de son public, sous le signe d’une hospitalité réciproque, dans les marges des grandes agglomérations et dans les territoires éloignés des équipements culturels. Et il se révèle un outil de décentralisation du spectacle vivant particulièrement performant.

Marc Jeancourt dirige l’Azimut, qui regroupe sur Antony et Châtenay-Malabry deux théâtres (Firmin-Gémier, La Piscine) et l’Espace Cirque d’Antony, un grand terrain à ciel ouvert dédié à l’accueil des chapiteaux du cirque contemporain. C’est là que se tiendra, lundi 7 novembre 2022, une table ronde organisée par le ministère de la Culture autour de la question : « Le chapiteau, un outil d’avenir ? »

Pour mieux cerner les enjeux de cette table-ronde, qui explorera cet espace scénique singulier, marqueur fort de l’identité du cirque, Marc Jeancourt a bien voulu nous livrer un peu de son expérience de près de vingt ans au service des compagnies de cirque contemporain passées par Antony. Entretien.

Marc Jeancourt, quelle place occupe le chapiteau dans le cirque contemporain ?

C’est l’outil principal de cet art complet, qui valorise l’écriture artistique autant que la performance, et se développe en continu depuis cinquante ans. Il faut savoir que le cirque contemporain est né sous un chapiteau, dans les années 70, quand de jeunes artistes, qui venaient du théâtre ou de l’éducation populaire, ont éprouvé un énorme désir d’audace, de provocation, de musique, de théâtre de rue, et se sont retrouvés dans la dimension foraine du cirque traditionnel, un peu romantique certes, telle que chez Fellini dans la Strada, ou chez Chaplin dans Le Cirque.

Ces artistes vivent le chapiteau : il est au cœur de leurs recherches artistiques. Ils ont cette capacité étonnante de l’envelopper dans différentes scénographies, qui produisent des effets magnifiques et bouleversants. Côté public, on sait que la toile d’un chapiteau est moins intimidante à franchir. Le chapiteau est l’anti-cathédrale de la culture !

Enfin, à la réception de ces spectacles, les adultes comprennent vite que ce langage artistique leur parle et que, de surcroît, ce langage est accessible à leurs enfants. Le chapiteau a une étonnante capacité d’accueil et d’inclusion.

Chapiteau de Baraka en drone

Le chapiteau s’inscrit-il aisément dans le tissu des métropoles urbaines que nous connaissons ?

Aisément, certes non. Côté urbanisme, la tendance est de réduire au maximum le foncier disponible. Les espaces qui demeurent vides sont pourvus de mobilier urbain qui rendent l’installation d’un chapiteau presque impossible. Et pourtant, ces espaces non-qualifiés sont des opportunités à saisir. Il faut alors compter sur des élus visionnaires, pourvus d’un vrai courage politique et convaincus que l’art et la culture, y compris sous les formes moins institutionnelles du chapiteau, ont un rôle déterminant à jouer dans les marges de ces grandes métropoles où la vie n’est pas facile tous les jours.

Chapiteau de la Cie l'MRG'ée

Qu’est-ce qu’un chapiteau peut apporter à l’ambiance d’une ville ?

Voyez comment ça se passe chez nous, à Antony. Les compagnies viennent avec leur propre chapiteau : il est à la fois l’âme de leur scénographie et leur outil de travail quotidien. Étrange phénomène : nous, qui avons la responsabilité de cet espace, nous les accueillons, et eux, en retour, ils nous accueillent sous leur chapiteau. Ces hospitalités réciproques « horizontalisent » les relations, pour ainsi dire. Toute l’organisation de leur séjour s’en ressent puissamment, y compris du côté des Antoniens, heureux de venir les voir, de chez eux, à pieds.

Ainsi, depuis une vingtaine d’années, une histoire s’est construite à Antony. Une histoire locale, qui implique tout le bassin de vie qui nous entoure, et, de surcroît, une histoire nationale, car tous les gens qui s’intéressent au cirque contemporain connaissent le chemin !

Soirée à l'ECA Christophe Raynaud de Lage

Cependant, la rareté des espaces disponibles écarte les chapiteaux des grandes villes…

En effet, onze Pôles nationaux cirque sur quatorze se trouvent dans des villes moyennes. Et là le chapiteau montre qu’il est l’outil de la mobilité. Il permet d’aller là où les gens se trouvent, loin des équipements culturels. C’est vraiment un outil de rapprochement qui, par sa mobilité et sa souplesse, achève finement le maillage territorial mis en œuvre par l’État.

Quel avenir se dessine pour cet art sous chapiteaux ?

D’un côté, il y a la question écologique : il faudra, par exemple, continuer la recherche sur l’isolation thermique des toiles de chapiteau. C’est l’un des grands chantiers qui est devant nous.

Mais, maintenant que la profession est très structurée, l’essentiel sera de continuer à soutenir, avec des moyens suffisants, ce qu’on appelle l’écriture sous chapiteau. Le cirque contemporain, en effet, est un mode de vie très particulier. Qu’est-ce qu’un chapiteau, au fond ? Un spectacle sous une toile, un convoi qui le transporte, des gens qui vivent dans des caravanes, des compagnies souvent dirigées par des couples, une vie professionnelle liée à la vie privée. Les artistes se projettent corps et âmes dans la création et ont une relation très particulière d’hospitalité avec les villes d’implantation. C’est ce qui en fait un art unique, dont il faudra prendre le plus grand soin.

Table ronde animée par Évelyne Laquit, déléguée à l’information et à la communication du ministère de la Culture, avec la participation de Benoist Apparu, maire de Châlons-en-Champagne, Pauline Bardoux, artiste circassienne, acrobate aérienne et directrice artistique de l’Envolée Cirque, Marc Jeancourt, directeur de L'Azimut - Pôle National Cirque, Maël Tortel, artiste circassien, fondateur et coordinateur du cirque Pardi!, et Sophie Zeller, déléguée au Théâtre et aux arts associés du ministère de la Culture.

C'est quoi, un Pôle cirque ?

Le fonds Fratellini accessible aux lecteurs des Archives Nationales

les enfants fratellini

C’est chose faite, les papiers des clowns sont classés ! Gageons que les agents des Archives nationales n’auront pas boudé leur plaisir ni leur émotion à répertorier l’ensemble des correspondances, photographies, affiches, programmes, dessins et autres trésors déposés aux Archives entre 2018 et 2019 par Valérie Fratellini, directrice pédagogique de l’Académie Fratellini, le centre bien connu d’art et de formation aux arts du cirque.

Les archives de cette famille mythique couvrent quatre générations, depuis Enrico Gasperi, dit Gustave Fratellini (1842-1902), né à Florence d’un père médecin. Il avait quatre fils, dont un duo d’acrobates comiques et un duo de clowns (Auguste et le clown blanc). Le malheur de la mort de Louis, en 1909, conduit Paul à rejoindre les deux autres : le tout premier trio de l’histoire des clowns était né, le trio Fratellini, qui fera les grandes heures du théâtre Medrano, à Montmartre.

La consultation de ces documents, qui concernent aussi les carrières des enfants du trio, est consultable à Pierrefitte-sur-Seine. Ils représentent un peu plus de quatre mètres linéaires. Tous les renseignements ici. Signalons qu’une partie des photographies du fonds ont été numérisées et sont accessibles en ligne sur la base d’Artcena.