Depuis quelques semaines, la France vit à nouveau au rythme des festivals. « La ferveur a remplacé la désolation. Nous avons pu constater à quel point les spectateurs sont attachés à leur festival », s’est réjouie le 28 juin la ministre de la Culture en ouverture de la deuxième édition des États généraux des festivals, qui s’est tenue – c’est un symbole fort – à l’occasion de l’emblématique Printemps de Bourges. Depuis cette date, la ministre a également lancé la manifestation, « L’été culturel », depuis le MUCEM, à Marseille, avant de poursuivre sa tournée en se rendant au festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, au festival d’Avignon, aux Rencontres internationales de la photographie, à Arles, et au festival de Cannes.
Pour autant, en dépit de la reprise de leurs activités et malgré les différentes aides qui ont atteint, selon la ministre, un « niveau inégalé » cette année avec un soutien constant de l’État, la situation des festivals reste aujourd’hui fragilisée par plusieurs mois de crise sanitaire. Autant dire que les États généraux des festivals demeurent, moins d’un an après leur lancement, un rendez-vous particulièrement attendu des professionnels et une occasion unique de prendre le pouls du secteur. Principal temps fort de cette édition : la présentation des outils mis en place pour consolider « l’observation des festivals ».
Il y a un enjeu social, un enjeu démocratique autour des festivals. Faire un festival, c’est aussi faire société
Mieux appréhender la réalité des festivals
C’était l’une des recommandations fortes de la première édition des États Généraux : la nécessité de mieux appréhender toutes les dimensions, évolutions et spécificités des festivals. Après plusieurs mois de travail, la présentation de deux outils destinés à mieux saisir les mille et une réalités des festivals a constitué l’un des temps forts de cette deuxième édition.
Cette démarche d’observation repose sur un dispositif pérenne, associant trois entités : France Festivals, le DEPS (département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture) et le CNRS. Ainsi, les travaux de recherche et d’investigation menés au cours de l’année écoulée incluent une étude sur les indicateurs socio-économiques des festivals et une analyse des publics des festivals.
Les dimensions socio-économiques de l’activité festivalière
Menée par le CEPEL (Unité mixte de recherche CNRS – Université de Montpellier - Centre d’Études Politiques et Sociales : Environnement, Santé, Territoires), l’étude sur les indicateurs socio-économique porte sur les différentes facettes du développement des festivals. « Elle permet également de revenir sur l’année 2020, en étudiant la manière dont les annulations ont affecté les festivals et en analysant leur recours aux aides », précise Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS et directeur du CEPEL. La diversité des esthétiques festivalières est prise en compte, l’enquête portant aussi bien sur les festivals de musique que sur ceux du cinéma, de la littérature ou encore du spectacle vivant.
Premier constat : les festivals évoluent. « Festival ne rime plus nécessairement avec estival, un nombre croissant d’événements ayant lieu en dehors de la fameuse « saison » des festivals », a observé le chercheur. « On constate également qu’un nombre de plus en plus élevé de festivals ont lieu en milieu urbain, ce qui est également une tendance nouvelle », reprend-il. La diversité de ces manifestations culturelles est également à souligner. A ce titre, l’étude menée par le CEPEL établit que les festivals les plus médiatisés, soit les gros événements accueillant 50 000 personnes minimum, sont, dans les faits, en minorité. « La majeure partie des festivals qui ont lieu sur le territoire rassemblent moins de 5 000 personnes », a souligné Emmanuel Négrier. Les postes des dépenses sont également variés. « On constate que les dépenses artistiques prédominent pour les festivals de musique classique et les festivals de littérature. A l’inverse, les festivals de cinéma et d’arts visuel ont un budget dédié à la communication plus élevé ». Les subventions attribuées aux festivals diffèrent en fonction de leurs coûts mais occupent néanmoins globalement une place très importante dans leur économie, qu’elles soient nationales, régionales ou départementales.
La crise sanitaire a, quoiqu’il en soit, eu un impact certain sur les festivals. « Les musiques actuelles ont payé le plus lourd tribut des annulations liées au contexte sanitaire », a souligné Emmanuel Négrier. L’organisation d’événements à distance a globalement été vécue comme une solution insatisfaisante. « Quelques métamorphoses intéressantes sont cependant à noter. Dans le cas des festivals de cinéma, par exemple, cela a permis le retour des échanges entre le public et les organisateurs des festivals en visioconférence », a affirmé Emmanuel Négrier. Les dépenses des festivals, sur l’année 2020, ont été en premier lieu dédié à l’administratif, nécessaire pour tenir ces événements à flot. Le deuxième poste de dépense concerne la médiation et les actions culturelles. « Cela démontre que le festival est un opérateur social sur le territoire, tout au long de l’année », a-t-il noté. Pour le directeur du CNRS, les conclusions qu’il convient de tirer de cette étude sont claires : « les festivals se caractérisent par leur diversité : diversité d’événements, diversité des configurations… Mais ils sont, avant toute chose, des opérateurs autour desquels se réunissent tous les acteurs de la culture et des arts que nous avons envie de voir sur scène ».
Quels publics pour les festivals ?
Deuxième volet du vaste dispositif d’observation lancé en 2020, l’analyse des publics des festivals croise les données de l’étude sur les Pratiques culturelles des Français, conduite par le DEPS (Département des Etudes de la Prospective et des Statistiques du ministère de la Culture) et de l’étude SOFEST ! de France Festivals. « Les résultats obtenus démontrent que le festival est une pratique culturelle en progression », observe Aurélien Djakouane, sociologue et maître de conférence à Paris-Nanterre. Basée sur un panel de 91 festivals, avec des données recueillies entre juin 2019 et février 2020, cette analyse souligne, dans un premier temps, la féminisation accrue des publics et l’importance des diplômes. « Les sujets participant à des festivals ont 48 ans en moyenne. 61% d’entre eux sont des femmes, et 72% ont fait des études supérieures », a précisé Aurélien Djakouane. La démocratisation des festivals reste, aujourd’hui encore, un enjeu, la classe supérieure étant surreprésentée au sein du public (60%). Enfin, plusieurs lieux communs relatifs aux festivals s’avèrent infondés. Loin de l’image du festivalier-pèlerin, 72% des sujets habitent le département ou la région au sein de laquelle l’évènement a lieu. Les festivals attirent en outre un public intergénérationnel, là où on a trop souvent tendance à imaginer des publics majoritairement jeunes.
Mais au-delà de ce profil type, il reste difficile de parler d’un public homogène, les festivaliers ne formant pas un ensemble uniforme. « Dans les festivals de musiques actuelles, on retrouve un public majoritairement masculin, plutôt jeune, plus populaire. Or c’est tout l’inverse, par exemple, dans le domaine de la musique classique, où on a des sujets essentiellement féminins, plus âgés et issus des classes supérieures », a fait valoir Aurélien Djakouane. On constate également une forte dynamique de renouvellement des publics, avec 38% de nouveaux spectateurs en moyenne en 2019. « Ces données montrent l’existence d’une double dynamique, entre renouvellement et fidélisation des publics. Cette dernière constitue un enjeu crucial pour la survie des festivals », a observé le sociologue. Fait important, ces nouveaux festivaliers sont moins familiers de l’offre culturelle. « Assez souvent, quand ils viennent pour la première fois, ils viennent pour la première fois dans un lieu culturel, ils viennent pour la première fois dans un festival », a-t-il souligné. Cela confirme le fait que les festivals contribuent à la démocratisation culturelle en constituant une porte d’entrée vers le monde de la culture.
La question de la pratique du festival constitue également un point important. Est-ce que le fait de se rendre à un festival constitue une « sortie culturelle exceptionnelle » ? Pour Aurélien Djakouane, la question est plus complexe qu’il n’y paraît. « Pour les nouveaux venus, la réponse est : oui. Mais pour les habitués, le festival s’inscrit dans un système de pratiques culturelles : on va aux festivals mais aussi aux concerts, aux musées… », analyse l’universitaire. La sociabilité est également au cœur du fait festivalier : on fait un festival à plusieurs, en couple, en famille ou entre amis suivant son âge. Il y a donc non seulement une diversité des festivals, mais aussi une diversité des publics, et des manières variées de vivre cette expérience. « A l’issue de cette analyse, on comprend que ce qui aura manqué aux publics, avec l’annulation des festivals, c’est non seulement des œuvres mais aussi des temps de partage, des rencontres, des histoires. Le festival a aussi une dimension cathartique », estime Aurélien Djakouane. « Je pense qu’il y a un enjeu social, un enjeu démocratique autour des festivals. Car faire un festival, c’est aussi faire société », conclut-il.
Vers des festivals écoresponsables
Autre moment attendu de ces États Généraux, la restitution à deux voix – par Béatrice Macé, co-fondatrice du festival des Trans Musicales de Rennes, aujourd’hui directrice culturelle de la Région Bretagne, et Maryline Lair, directrice du Collectif des festivals – des travaux sur le développement durable issus des réponses apportées par 818 festivals. « 65% des festivals déclarent aujourd’hui être engagés dans des actions de développement durable, indique Maryline Lair, l’âge du festival, son budget, ne sont pas des critères significatifs, il s’agit plus d’une question de convictions que de moyens. En revanche, celui de l’affiliation à une fédération ou à un réseau semble beaucoup plus pertinent ».
Parmi ces festivals, ceux à dominante rurale émergent, ce qui n’étonne guère eu égard aux problématiques liées au déchets. « Le festival en milieu urbain ne gère pas de la même façon les contingences », indique Maryline Lair. Par ailleurs, quand 41% des festivals déclarent encore être à l’état de réflexion, 15% d’entre eux affirment, à l’inverse, être dans une démarche de longue durée. Quoi qu’il en soit, sur les trois piliers du développement durable – environnemental, social, économique – « le volume d’activités est dense. Les festivals sont dans une démarche concrète ».
Selon Béatrice Macé, c’est à partir de 2018 que la bascule s’est opérée. « On a assisté à une généralisation et à un engagement beaucoup plus global des festivals ». D’où ces premiers éléments de diagnostic : « Le développement durable abaisse les frontières spatiales et temporelles : le festival devient responsable de l’amont et de l’aval des décisions qu’il prend. Entre la volonté et la mise en œuvre, des freins existent, et le temps est souvent long avant la concrétisation des actions. Par ailleurs, seuls les festivals ayant un budget solide peuvent solliciter des experts ». Des éléments qu’il convient naturellement aujourd’hui de reconsidérer à l’aune du contexte inédit créé par la crise sanitaire. « Il faudra au moins deux ou trois ans avant de retrouver le confort d’organisation d’avant la pandémie, estime Béatrice Macé, mais ce qui est d’ores et déjà certain, c’est la baisse du niveau d’acceptabilité des pratiques qui ne seraient pas respectueuses du développement durable ».
Quelles propositions pourraient être avancées ? Pour Béatrice Macé, plusieurs initiatives sont envisageables, comme un « soutien de l’accompagnement des festivals dans leur démarche [écoresponsable] », l’ouverture d’un chantier sur « l’intégration du développement durable et des droits culturels dans les attributions du ministère de la Culture » ou l’organisation de « la coordination entre les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les conseils régionaux dans le cadre des conseils territoriaux pour la culture ».
A côté de ces différents chantiers sectoriels, Béatrice Macé a proposé une initiative plus structurelle : l’élaboration d’une charte spécifique portant sur les festivals et le développement durable. Une proposition qui a recueilli l’assentiment de la ministre de la Culture : « Je suis totalement mobilisée sur ces enjeux. Que les festivals soient dans leur travail d’irrigation des territoires moteurs d’une prise de conscience me semble tout à fait primordial ».
Soutien accru, pass sanitaire, emploi : la reprise au cœur des débats
Les États généraux des festivals, c’est aussi un lieu d’expression pour les professionnels du secteur. Lors de cette édition, un sujet était sur les lèvres de tous les participants : les conditions de la reprise d’activité. Si la levée des restrictions était appréciée favorablement, plusieurs professionnels s’interrogeaient sur certaines mesures qui l’accompagnent, comme le pass sanitaire obligatoire pour certains événements. « Nous revenons aux jours heureux mais la pandémie est toujours là, a souligné la ministre de la Culture. Sans le pass sanitaire, dont la suppression ne peut pas être envisagée dans l’immédiat, nous n’aurions pas pu mettre en place de mesures d’assouplissement. Notre but est de bâtir un modèle résilient mais il ne s’agit pas de relâcher la vigilance ».
Autre volet de l’accompagnement de l’État : le soutien financier « à un niveau inégalé », selon la ministre, des festivals à travers la création d’un fonds destiné à compenser les pertes d’exploitation des manifestations, dont les dépenses et recettes sont affectées par les mesures sanitaires. Ce fonds de 30 M€ est géré par le Centre national de la musique (CNM) pour les festivals de musiques et de variétés (20 M€) ainsi que par le ministère de la Culture pour les festivals des autres disciplines artistiques (10 M€). Ces derniers jours « 6 millions d’aides sur 20 millions au total ont été versés à 62 festivals pour un montant de 98 000 euros en moyenne » a précisé Jean-Philippe Thiellay, directeur du Centre national de la musique.
Côté emploi, plusieurs voix ont exprimé leur préoccupation concernant la situation des professionnels pendant la reprise. Face à cette situation, le ministère de la Culture prépare un dispositif d’« accompagnement fort » en termes d’emploi, qui va notamment compléter le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS).
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