A l’occasion du parcours « Elles x Paris Photo », soixante-dix-sept femmes photographes sont mises à l’honneur. Focus sur trois d’entre elles.

L’immortalité, l’écologie, l’identité… Leur regard sur notre époque bouscule nos idées reçues et nos certitudes établies. La Française Stéphanie Solinas fait d’un vol en avion au-dessus de San Francisco une méditation contemplative sur l’immortalité, la Chinoise Chen Xiaoyi magnifie le paysage pour mieux alerter sur le dérèglement climatique, Silvia Rosi interroge sa double identité, togolaise et italienne.  

La démarche de ces trois artistes, présentée du 10 au 13 novembre, au Grand Palais Éphémère, à l’occasion du parcours « Elles x Paris Photo », conçu par le groupe Kering en partenariat avec le ministère de la Culture qui met l’accent sur soixante-dix-sept femmes photographes, incarne à elle seule la vitalité – et l’originalité – de la création photographique au féminin.

Stéphanie Solinas, l’immortalité entre New Age et High Tech

Stéphanie Solinas, Le soleil ni la mort, Twilight 4, 2022 Courtesy Stéphanie Solinas  delpire&co.jpg

« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » : la célèbre maxime de La Rochefoucauld donne – à demi – son titre à l’étonnant projet éditorial de Stéphanie Solinas, Le Soleil ni la mort (delpire & co), conçu alors qu’elle était en résidence dans la Silicon Valley. L’artiste formée à l’ENS Louis-Lumière, dont l’œuvre plurielle à la croisée de la photographie, de l’installation et du livre n’a de cesse d’interroger le médium photographique, y met en regard deux expériences singulières. «  Un jour, elle s’est retrouvée dans un avion privée au-dessus de San Francisco. D’un côté, elle voyait le soleil, de l’autre, la lune, explique Federica Chiocchetti, elle voulait tout documenter, ce qui bien sûr était impossible, il fallait choisir, d’où ce livre drôle et beau où elle partage sa frustration de ne pouvoir capturer le soleil et la lune en même temps ».  

Mais l’aventure ne s’arrête pas là. A l’occasion de cette même résidence, l’artiste a rencontré la fondatrice d’Alcor, une société de cryogénisation post-mortem, dont le mari, aujourd’hui décédé, est précisément cryogénisé, tout comme le PDG d’Alcor. On ne peut s’empêcher ici de penser au livre de Don DeLillo, Zero K, lequel précisément transporte le lecteur dans un centre de cryogénisation. Les images du vol au-dessus de San Francisco se trouvent ainsi rythmées par le dialogue entre ces deux interlocuteurs, et posent dans un cadre on ne peut plus adapté (« on est à la fois au cœur de la high-tech mondiale et dans le berceau du New Age »), la question de notre finitude et le fantasme de l’immortalité.  

Chen Xiaoyi, une exploration de la montagne entre beauté et fragilité

Chen Xiaoyi, Crystalloid Minstrel (2021) Coutesy of the artist and A Thousand Plateaus Art Space Chengdu.jpg

Impossible de ne pas être immédiatement saisi par la beauté de Crystalloid : Minstrel, cette image de montagne signée Chen Xiaoyi, jeune photographe chinoise passée par le Royaume-Uni où elle a notamment étudié le photojournalisme, lauréate en 2016 du Three shadows photography award. « C’est un travail magnifique, une exploration esthétique des rochers et des minéraux. Les paysages sont sublimes au sens littéral du mot », confirme Federica Chiocchetti qui dit être tombée en arrêt en découvrant le travail de la jeune artiste. Mais il ne faudrait pas se méprendre. Si les paysages sont ainsi magnifiés sous l’objectif de la jeune photographe, c’est pour mieux souligner la menace dont ils sont l’objet.

« Avec ses images, Chen Xiaoyi dénonce les effets du dérèglement climatique. Elle nous dit aussi qu’il faut se méfier des images, celles-ci sont capables de mentir, de cacher, de montrer le côté superficiel des choses alors que les réalités sont souvent plus complexes ». Une démarche que l’on rapprocherait volontiers du beau projet que mène actuellement la photographe Sabine Mirlesse dans le cadre du programme Mondes Nouveaux.

Silvia Rosi, les migrations entre fiction et réalité

Silvia Rosi, Self portrait as my mother, 2019, NCONTEMPORARY.jpg

C’est une image très symbolique : un isoloir dont la partie inférieure, ouverte, laisse apparaître le bas d’une silhouette et des effets personnels. Cette photographie extraite de la série Election box (2012) résume bien la démarche politique teintée d'ironie, de Silvia Rosi, photographe italienne d’origine togolaise, lauréate des prix Jerwood/Photoworks et « Portrait of Britain » du British Journal of Photography en 2020. « C’est un travail fondamental qui aborde la problématique d’être une femme d’origine africaine en Italie aujourd’hui et de devoir se confronter malheureusement souvent à un contexte hostile », assure Federica Chiocchetti.

L’Italie, en effet, ne reconnaît pas le droit du sol, et les enfants d’immigrés doivent attendre d’avoir atteint l’âge de la majorité pour demander leur naturalisation. « Le travail de Silvia Rosi vise à explorer ses racines multiples : la relation avec sa langue maternelle, celle avec la langue de la colonisation, qui est aussi d’une façon ou d’un autre la sienne, sa qualité de citoyenne à qui est dénié en partie son statut de citoyenne », observe la commissaire. L’exposition Encounter présentée au Centquatre, à Paris, il y a quelques mois dans le cadre de Circulation(s), le festival de la jeune photographie européenne, a donné à la jeune photographe l’occasion de montrer une autre facette de son talent : elle y crée un album de photos fictif qui rend visibles les traces de la migration de ses parents vers l’Italie avec des images inspirées des mythiques « portraits en studio ».