La place de Louis XV au Pont-Tournant,
notre place de la Concorde, fut la dernière des esplanades aménagées
à Paris pour y dresser la statue d’un roi. Dès la
paix de 1748, architectes et amateurs produisirent une centaine de projets.
Pour comprendre quel esprit animait alors l’urbanisme, il faut
consulter le recueil de Pierre Patte intitulé Monuments
érigés en France à la gloire de Louis XV
(1765). Il montre, avec la place parisienne, celles qui subsistent à
Rennes, à Bordeaux, à Reims, seule ville où la
statue royale a été rétablie depuis les destructions
révolutionnaires.
Le règne de Louis XV a donc offert à la vie citadine de
grands et beaux espaces qui sont toujours vivants. Des exigences de
salubrité accompagnaient des préoccupations d’harmonie
urbaine. À Paris, la municipalité se proposait de dégager
et d’assainir l’un ou l’autre des quartiers vétustes
de la ville ; mais les propositions qui lui furent faites obligeaient
à des démolitions et des relogements dont elle n’était
pas en état de supporter la dépense. Alors, Louis XV la
tira d’embarras en lui offrant le terrain qu’il possédait
entre le pont-tournant des Tuileries et l’entrée des Champs-Élysées.
Le Premier architecte du roi, Ange Gabriel, s’inspira des projets
-présentés par un certain nombre de ses confrères
; ce qu’il a réalisé en est la -synthèse.
Il a donné à ce monument monarchique une ordonnance élégante,
réussi un heureux accord entre les palais, la rue axée
sur une église, les jardins et le paysage fluvial.
La documentation dont a disposé Gabriel nous est désormais
bien connue. Dix-neuf projets étudiés par des membres
de l’Académie d’architecture figurent dans un précieux
album que le musée Carnavalet a récemment acquis. Des
compositions comme celles de Godot, de Guillot-Aubry et de Mansart de
Sagonne retiennent l’intérêt. Ainsi, tout en admirant
la place de la Concorde telle qu’elle est, pouvons-nous aussi
méditer sur ce qu’elle aurait pu être.Sa
position de secrétaire perpétuel de l’Académie
des beaux-arts lui permet d’imposer sa doctrine à la plupart
des rouages institutionnels dont dépendent l’enseignement
et la production officielle artistiques. Considéré comme
une sorte de tyran « qui semblait même jouir de son impopularité
» (Sainte-Beuve) auprès de la jeune génération
romantique, il démissionna de tout pouvoir à l’âge
de quatre-vingt-quatre ans.
Occultée par les mouvements romantique et moderne, la pensée
de -Quatremère a retrouvé un vif regain d’intérêt
depuis une vingtaine d’années, comme source primordiale
dans l’historiographie du néo-classicisme européen,
de la conscience patrimoniale de la période révolutionnaire,
de la création des musées et, plus curieusement, comme
caution du courant post-moderne dans l’architecture contemporaine.
Michel Gallet
conservateur en chef honoraire du patrimoine
membre de l’Académie d’architecture