Fils d’un des architectes les plus réputés de la
génération néo-classique, Victor Baltard entre
à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1824 pour en
sortir dix ans plus tard, en 1833, titulaire du prix de Rome. Cet «
admirateur passionné de l’œuvre très classique
d’Ingres » (selon le jugement du baron Haussmann) était
d’abord un homme de savoir et de culture. Peintre et architecte,
il ramènera de son long séjour en Italie une vision unitaire
du rapport entre l’architecture, le décor et les arts majeurs
: en témoignent ses études sur la décoration des
Loges de Raphaël (Salon de 1844), ainsi que l’abondante monographie
qu’il a consacrée à la Villa Médicis (1847).
Entré à la ville de Paris dès 1842, il prend sept
ans plus tard la succession d’Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869)
au poste enviable d’architecte de la ville de Paris, chargé
des églises.C’est à ce
titre qu’il engage la même année le spectaculaire
programme de décoration polychrome de l’ancienne abbatiale
Saint-Germain-des-Prés, dont il confie l’abondant volet
pictural à l’un des meilleurs élèves d’Ingres,
Hippolyte Flandrin (1809-1864). Puis il effectue la transformation du
chevet de Saint-Leu/Saint-Gilles (1858) à l’occasion du
percement du boulevard de Sébastopol, ainsi que la restauration
de Saint--Eustache (à partir de 1859) après l’incendie
qui en avait détruit les couron-nements ; il interviendra également
à Saint-Séverin et à Saint-Étienne-du-Mont.
Ce décorateur virtuose, proche des peintres et des ornemanistes
avec lesquels il travaille au quotidien, est aussi l’artisan de
la fête impériale : mariage de l’Empereur (1853),
visite de la reine Victoria (1855)1, baptême du Prince impérial
ou retour des troupes de Crimée (1856). De l’architecture,
il est passé aux arts décoratifs en dessinant l’illustre
berceau en forme de nef offert à l’héritier par
la ville de Paris (musée Carnavalet) ou le surtout de table destiné
au préfet de la Seine.
Pourtant, sa carrière avait déjà pris un autre
tour lorsqu’il avait été chargé, à
partir de 1844, de dessiner les pavillons des Halles – en collaboration
avec Félix Callet (1792-1854). Au terme de longs débats
qui voient s’opposer les projets sur ce site majeur de la capitale,
c’est la construction en fonte (1853) des célèbres
« parapluies » de Baltard qui s’impose comme le modèle
d’une architecture moderne faisant appel aux produits de l’industrie
: brique, verre, fonte et acier. L’élégance de la
structure aérienne, raidie par des tirants d’acier, a fait
le tour du monde en générant une famille d’édifices
que la disparition absurde des Halles de Paris2 n’a pu que valoriser
– au moins, dans notre imaginaire.
L’église Saint-Augustin (1862-1871), ornement d’un
des quartiers les plus luxueux de la capitale, allait permettre à
l’architecte de fusionner ces deux approches en démontrant
tout à la fois ce sens inimitable de la légèreté
de la structure qui lui appartient en propre et le goût si savant
de sa génération pour un décor peint et sculpté,
épuré par le travail exigeant du contrôle de la
forme. Austère et monumentale, traversée de lumières
crues et d’ombres fortes quand elle n’est pas métamorphosée
par la scénographie du mobilier ou de l’éclairage
artificiel durant les cérémonies, elle est l’une
des plus grandes réussites de l’art du Second Empire.
Nommé en 1859 directeur du Service d’architecture de la
ville de Paris, à la tête d’une équipe de
vingt-cinq prix de Rome, Baltard atteint la consécration que
reflètera son élection, quatre ans plus tard, à
l’Institut. Cet homme qui avait si bien, et de manière
si exigeante, exprimé l’art du Second Empire ne lui -survivra
guère. De son œuvre essentiellement parisienne de décorateur
et d’architecte, il nous reste quelques intérieurs d’église
et un vaste monument, ainsi que les débris des pavillons de fer
remontés à Nogent. Il s’y révèle le
contemporain talentueux d’un Duban ou d’un Labrouste, mais
aussi le rival d’un Viollet-le-Duc – avec lequel il partage,
beaucoup plus qu’il n’y paraît, toute une vision de
l’art et de l’architecture moderne.