Distinguer les musées engagés dans une politique volontariste en direction des personnes en situation d’exclusion ou de vulnérabilité sociale et économique : tel est l’objectif de l’opération annuelle "Osez le musée", dont les prix ont été remis le 27 juin par la ministre de la Culture. Le point sur le palmarès de cette première édition.

Ils se distinguent par leur approche novatrice des publics défavorisés et placent la reconnaissance des droits culturels au cœur de leur programmation : les lauréats du prix « Osez le musée » 2017 laissent entrevoir la vocation sociale et éducative du musée de demain. Ex-aequo en première place, le Palais des beaux-arts de Lille et le musée du Louvre-Lens ont ainsi été récompensés pour « la pluralité et la qualité [de leurs] projets […], en résonance avec les besoins sociaux [de leurs territoires respectifs] ». Le deuxième prix, attribué à l’écomusée de Margeride, salue « les efforts importants » entrepris par celui-ci « en direction des personnes âgées isolées ». Le jury a également décerné deux mentions spéciales au musée du Quai Branly - Jacques Chirac et à l’établissement public Paris Musées, qui regroupe les quatorze musées municipaux de la capitale.  

Faire de l’art et de la culture un vecteur d’insertion

 

Le musée du Louvre-Lens : « des actions sociales et solidaires multiples pour des publics pluriels »

Marie Lavandier, directrice du musée du Louvre-Lens

« Le Louvre-Lens a fêté ses 5 ans en décembre dernier, et depuis son inauguration, ce sont plus de 15 000 personnes exclues, fragilisées ou vulnérables qui ont bénéficié de l’action sociale et solidaire du musée. La grande majorité de nos partenaires et bénéficiaires le sont depuis les premiers mois d’ouverture du Louvre-Lens. Certains, comme ATD Quart-Monde ou le Secours Populaire, étaient même déjà à nos côtés avant l’inauguration du musée.

Les formes de l’action sociale et solidaire du Louvre-Lens sont aussi multiples que les publics sont pluriels. Nous avons par exemple organisé la rencontre de bénéficiaires locaux d’ATD Quart-Monde avec des artistes comme le comédien Guy Alloucherie ou la pianiste Anne Queffelec et fait « débarquer » notre brigade d’intervention pluridisciplinaire, Les Interrupteurs, auprès de patients hospitalisés à Lens. Mais notre démarche dépasse la seule action culturelle : elle peut aller jusqu’à mettre le musée « à disposition » des institutions partenaires pour faciliter la réalisation de leurs objectifs. À cet égard, le projet avec l’agence Pôle Emploi de Lens pour de jeunes demandeurs d’emploi constitue une autre manière de faire de l’art et de la culture un vecteur d’insertion. Une série d’ateliers a mené les participants à construire un discours sur une œuvre, à prendre la parole en public, et à lever certains freins rencontrés dans leur recherche d’emploi en travaillant l’expression et la confiance en soi, à travers des supports artistiques.

Le musée du Louvre-Lens dirige prioritairement son action sociale et solidaire vers les bassins de vie en déprise économique et sociale, les zones sensibles, au sein du bassin minier. Nous travaillons d’abord à l’échelle de ce territoire pour contribuer, conformément à notre mission de service public, à y résorber les inégalités qui s’y sont particulièrement installées. Le Louvre-Lens tente également d’agir là où se rassemblent ceux que l’action culturelle peine généralement à toucher : dans les centres commerciaux, dans l’espace public, lors d’événements populaires, etc. »

 

Les Beaux-Arts de Lille : « engager avec l’art un dialogue créatif et original »

Juliette Barthélémy, chargée des projets de médiation et du public étudiant au Palais des Beaux-Arts de Lille

« Les actions sociales et éducatives que nous menons prennent la forme de projets menés avec des structures associatives qui sont, pour certaines, en lien avec le musée depuis plus de 10 ans. Les participants viennent à plusieurs reprises et engagent avec l’art un dialogue créatif et original, qui nous incite souvent à prendre des chemins de traverse.

Les trois projets mis en avant pour ‘Osez le musée’ ont ainsi été les projets réalisés avec les Écoles de la 2e chance de Lille, Roubaix et Armentières – qui sont dédiées à l’insertion professionnelle de jeunes sortis du système éducatif sans qualification - les Clubs Jeunes des agences Pôle Emploi de Lille et Roubaix et l’association Formation Culture Prévention, de Lille. 

Chacun de ces projets est unique, qu’il s’agisse d’ateliers, de pratique artistique, de rencontres… Nous cherchons à répondre au besoin formulé par la structure avec laquelle nous travaillons, tout en familiarisant les participants avec le musée. Nous les incitons à prendre la parole devant les œuvres, à découvrir les métiers de la culture. Nous travaillons avec tous les publics mais, en médiation, nous ciblons tout particulièrement ceux qui se trouvent éloignés de la ‘culture musée’ pour des raisons économiques, sociales ou de handicap. »

L’écomusée de Margeride : « transmettre cette mémoire aux jeunes générations »

Laëtitia Thérond, directrice de l’écomusée de Margeride

« Créé en 1984 suite à une initiative de la population locale, l'écomusée de Margeride est le fruit d’une activité collective de recherche, d’animation et de création culturelle. Nous avons récemment fait le choix de renouer avec l'élan participatif qui a caractérisé ses origines. Cela s'est traduit par la production d'expositions - ‘Les Petits Maux de Mémé’ et ‘Mille couleurs au jardin’, lancées respectivement en 2016 et 2017 - qui, en partenariat avec plusieurs institutions de Saint-Flour Communauté, ont réuni des personnes âgées de Margeride. Ces dernières ont participé aux projets de l'écomusée par l'intermédiaire d'associations ou du Centre social de Saint-Flour, qui a notamment hébergé des ateliers tricots pour l'exposition ‘Mille couleurs au jardin’.

A l’origine de notre volonté de faciliter l’accès de l’écomusée aux personnes âgées isolées se trouve une prise de conscience : de nombreux savoirs détenus par nos aînés ne sont plus systématiquement transmis.  Nous avons donc choisi d'entrer dans une démarche de collecte de leur mémoire tout en veillant à ce qu’ils participent activement à nos projets. Pour l'exposition ‘Les Petits Maux de Mémé’, les grands-mères nous ont confié leurs recettes à base de plantes médicinales mais elles se sont aussi prêtées au jeu de la photographie en posant devant l'objectif d'un photographe professionnel, Pierre Soissons. Dans une société caractérisée par le jeunisme, il est important de mettre en valeur ceux qui ont tant fait pour le territoire et qui détiennent des connaissances transmises de pères en fils.

Dans sa définition des écomusées, Georges-Henri Rivière, le créateur du Musée national des arts et traditions populaires, parle de "miroir où une population se regarde" et "qu'elle tend à ses hôtes". Cela correspond à ce que nous avons voulu montrer : un territoire qui est fier de ses anciens, de leurs connaissances mais aussi de leur ouverture d'esprit. Car ils ont du plaisir à participer à des projets réunissant leurs savoir-faire et des pratiques artistiques dans un esprit de transmission aux jeunes générations. Ainsi, à l’issue de l'exposition ‘Les Petits Maux de Mémé’, les résidents et animateurs de maisons de retraite ont insisté pour participer à nouveau à des projets de l'écomusée qui leur permettent de maintenir un lien avec l'extérieur, avec la société active.»

 

Le Musée du quai Branly : « à la rencontre des tous les publics »

Jérôme Bastianelli, directeur général délégué du musée du quai Branly – Jacques Chirac

« Dès son ouverture en 2006, le Musée du quai Branly a noué des partenariats avec des hôpitaux, des centres pénitentiaires et surtout des associations -  l’association Frateli, l’Institut Télémaque, Emmaüs France, Savoir pour réussir…. – qui travaillent à l’insertion de personnes issues de milieux défavorisés, ou se trouvant, d’une manière ou d’une autre, dans le besoin.

Nous avons par exemple créé des visites spécialisées qui sont adaptées, selon les occasions, à des personnes ne maîtrisant pas très bien le français, à un public connaissant peu les arts non-occidentaux, ou encore à des visiteurs susceptibles de trouver dans les collections du musée des œuvres venant de la région du monde dont ils sont originaires.

Des « Ateliers nomades » ont également été mis en place : dans le cadre de ce dispositif, le musée du quai Branly part à la rencontre des publics en investissant l’ensemble des lieux de diffusion culturelle – médiathèque, bibliothèque, musée local… - d’une ville partenaire. Des œuvres, sorties du musée pour cette occasion, ont ainsi été exposées à Cergy-Pontoise (2013), Clichy-sous-Bois et Montfermeil (2014) ou encore Evry (depuis 2016). Celles-ci sont présentées par les conservateurs du musée et, à la suite de cette introduction, un bus est mis gratuitement à disposition des habitants pour leur permettre d’aller découvrir le reste des collections du musée du Quai Branly. Cela nous permet d’éveiller la curiosité de personnes qui n’avaient pas nécessairement entendu parler de notre établissement, ou prévu de nous rendre visite. »

 

Paris Musées : « quand l’intégration sociale passe par la démocratisation des musées »

Delphine Lévy, directrice de l’établissement public Paris Musées

« L'ouverture envers les personnes socialement défavorisées est un axe majeur de la politique de Paris Musées depuis sa création en 2013. Cette démarche s’adresse aux personnes en situation de grande exclusion hébergées dans des centres, aux personnes en apprentissage du français, aux patients des hôpitaux psychiatriques, aux enfants placés, aux jeunes en insertion professionnelle, ou encore aux détenus.

Il s’agit pour nous de participer à leur intégration sociale en les accompagnant dans leur relation à l’art, en les guidant dans ces lieux trop souvent socialement codés que sont les musées, qui peuvent parfois leur apparaître comme des endroits qui ne leur sont pas destinés. Paris Musées propose par exemple un dépôt d’œuvres dans des centres d'hébergement, fac-similés d’œuvres des collections. Nous avons en outre initié la co-construction d’une exposition sur le vivre-ensemble entre un conservateur et les résidents d’un foyer de jeunes. Des sessions en petit groupe sont également organisées au sein des différents musées, avec un médiateur qui commente les œuvres et explique le vocabulaire utilisé dans le cadre de séances d’apprentissage du français.

Afin de mener à bien ces actions, des liens privilégiés ont été développés avec les réseaux associatifs de la Politique de la Ville - Centre d’action sociale de la Ville de Paris, Samu social de Paris, administrations travaillant à la protection de l'enfance comme la DASES ou d’autres œuvrant pour l’insertion professionnelle comme la Mission locale de la Ville de Paris – ainsi que les principales grandes associations comme Culture du cœur, Secours populaire et le Secours catholique, Aurore, Emmaüs...

Aujourd’hui nous arrivons à toucher par ce biais près de 15 000 personnes par an, ce qui est déjà considérable. Nous souhaitons poursuivre nos efforts dans ce domaine en déployant les expériences positives dans l’ensemble des musées de la ville, mais aussi hors les murs, dans l’espace public notamment les quartiers populaires de Paris ou en banlieue. Nous avons par exemple de nouveaux partenariats avec des villes comme Montreuil où une exposition sur le thème du portrait a été présentée sur la place de l’hôtel de ville durant tout l’été avec des visites organisées pour le jeune public. »