Artistes femmes, propriété du patrimoine culturel, création des archives d’architectes : est-ce le fruit du hasard si chacun des trois sujets de recherches universitaires distinguées cette année par le prix de « thèse Valois » est en prise directe avec les préoccupations les plus actuelles - et les plus brûlantes - du ministère de la Culture ?
Destiné à soutenir la vitalité de la recherche en politique culturelle, ce prix, créé en 2017 à l’initiative du ministère de la Culture et placé sous l’égide du Comité d’histoire met en lumière des travaux qui apportent un éclairage inédit sur l’action publique dans le domaine culturel. Les lauréats se voient allouer la somme de 8 000 euros et sont soutenus pour la publication de leur thèse. Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente du Comité d’histoire du ministère de la Culture, revient sur les ambitions de cette initiative originale.
Les prix de « thèse Valois » fêtent cette année leur troisième édition. Quelle est l’ambition de cette initiative ?
Ces prix, rappelons-le, visent à encourager, auprès des jeunes chercheurs, les travaux universitaires sur tous les pans de la politique culturelle. Un encouragement d’autant plus nécessaire que les orientations naturelles de la recherche scientifique sont aujourd’hui plus favorables à l’histoire culturelle qu’à l’étude des politiques culturelles, alors même que celles-ci mobilisent la quasi-totalité des champs de la recherche : le droit, la sociologie, l’économie…
Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce relatif désintérêt des jeunes chercheurs pour les politiques culturelles ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Disons que dans le champ des politiques publiques en général, il y a aujourd’hui des sujets qui recueillent davantage les suffrages des étudiants. Dans le domaine de la culture, leur intérêt se porte plutôt, comme je l’indiquais précédemment, vers l’histoire culturelle. Il y a ensuite un problème de débouchés. En dehors des postes dans l’enseignement, les jeunes docteurs trouvent difficilement sur le marché du travail des postes en relation avec leurs travaux. Mais ce constat doit être nuancé : en droit par exemple, la recherche en politique publique est très dynamique. En revanche, nous nous désolons qu’il n’y ait plus de candidature en économie, comme si l’économie culturelle, qui est pourtant un domaine extrêmement riche, n’intéressait plus.
Les travaux de recherche sur la politique culturelle peuvent éclairer utilement la prise de décisions publiques
Dans ce contexte, l’aide à la publication qui favorise une plus grande diffusion du travail peut être un sérieux coup de pouce à l’insertion professionnelle.
Absolument. Poursuivons un instant sur le domaine de l’économie : la crise sanitaire démontre de façon dramatique l’importance de l’économie de la culture dans un système comme le nôtre. L’arrêt de tout un pan de l’activité culturelle a des conséquences considérables en termes d’emplois, d’activité, d’attractivité... C’est pourquoi il me paraît d’autant plus nécessaire de travailler sur ces problématiques. Plus généralement, la publication des travaux doit susciter l’intérêt des jeunes doctorants mais aussi des autorités universitaires qui sont responsables du développement des filières et par conséquent de la création des postes.
La situation sanitaire a-t-elle rendu plus difficile l’organisation du prix ?
Avec les personnalités qualifiées du jury, les réunions étaient prévues à des moments où nous pouvions nous réunir physiquement. En revanche, nous avons dû adapter le règlement pour les étudiants : nous avons dématérialisé la procédure et accordé des délais supplémentaires pour déposer les thèses. Nous avons aussi dématérialisé la production des parrainages. Nous avions beaucoup d’inquiétudes sur le nombre de candidatures, or il est à peine plus faible que celui de l’année précédente, nous avons même eu plus de thèses recevables, et nous n’avons eu aucun mal à trouver les trois thèses lauréates.
Quels critères le jury a-t-il privilégiés ?
On aurait pu facilement attribuer quatre prix. Certaines thèses sont, plus que d’autres, proches de la politique culturelle française. Dans ce cas, nous privilégions la thèse qui est le plus près des préoccupations du ministère. En l’occurrence, dans les trois cas, il s’agit de sujets de préoccupation actuelle du ministère, sur lesquels la politique, qui plus est, a besoin d’être éclairée.
Je pense notamment à la question de la carrière des femmes dans les arts plastiques qui est au cœur de la thèse de Mathilde Provansal, « Artistes mais femmes. Formation, carrière et réputation dans l’art contemporain ». C’est une préoccupation actuelle et brûlante. Cette thèse éclaire la problématique et ouvre des pistes. Elle décortique le phénomène de décalage entre la faible notoriété des femmes plasticiennes et leur haut niveau de formation. Elles sortent de l’école avec les mêmes diplômes que les hommes, et pourtant, elles ne font pas les mêmes performances. Pourquoi ? Comment celles qui réussissent s’organisent-elles ?
La thèse ne devient-elle pas, en l’occurrence, un outil d’aide à la décision ?
Exactement. Il en est de même pour la thèse de Marie-Sophie de Clippele, « À qui incombe la charge ? La responsabilité partagée du patrimoine culturel, une propriété revisitée », qui aborde cette question sous un angle comparatiste à travers l’étude des systèmes français et belge. En réalité, c’est un sujet qui ne date pas d’hier, qu’on se rappelle la célèbre interpellation de Victor Hugo sur la propriété des monuments historiques. C’est la question de la conciliation entre le droit de propriété et les contraintes qui s’appliquent au propriétaire de monument protégé. Comment parvenir à un équilibre ? Qui doit supporter la charge qui en résulte ? Doit-elle être partagée ? Quels sont les concepts pertinents dans une situation où le principe est le droit de propriété garanti par la constitution ? Tout l’enjeu est de traiter cette question délicate et instable et en même temps majeure pour le ministère.
Dans sa thèse « Archives d’architectes en France, 1968-1998 : jeux d’acteurs et enjeux historiographiques autour de l’Institut français d’architecture », Nina Mansion Prud’homme défriche, quant à elle, un champ vierge, celui de la création des archives d’architectes.
Effectivement, c’est un sujet neuf. En réalité, cette politique des archives – à l’initiative de laquelle on trouve l’Institut français d’architecture (IFA), qui est aujourd’hui intégré à la Cité de l’architecture et du patrimoine – a véritablement permis de fonder l’histoire de l’architecture. La notion d’historicité de l’architecture moderne est assez nouvelle et ne peut se faire qu’à partir de la constitution de ces archives. Ce qui est également très intéressant, c’est de voir comment un acteur privé, en l’occurrence Maurice Culot, qui est à l’origine de cette constitution d’archives, a pu à lui seul littéralement créer ce qui, aujourd’hui, est devenu un service public. Cela montre aux gestionnaires publics que l’initiative privée est parfois essentielle aux politiques publiques.
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