Favoriser - et élargir - la circulation du livre en langue française dans l'espace francophone, telle est l'ambition des États généraux qui se réunissent, les 23 et 24 septembre, à Tunis.

Accès à la lecture dans l'espace francophone, mais aussi circulation du livre et développement de l'économie de l'écrit, telles sont quelques-unes des questions qui vont être débattues lors des États généraux du livre en langue française dans le monde, qui vont se tenir, sous l'égide du ministère de la Culture et de l'Institut français, les 23 et 24 septembre, à Tunis.

Fruit d'une initiative du Président de la République en faveur de la francophonie, cette rencontre, qui rassemble tous les professionnels du livre de la scène francophone, depuis les auteurs jusqu'aux diffuseurs, en passant par les libraires, distributeurs, bibliothèques et acteurs du numérique, devrait aboutir à des recommandations en faveur du livre et de la lecture présentées lors du Sommet des chefs d’États prévu en novembre 2021 à Djerba. Sylvie Marcé, commissaire générale des États généraux du livre en langue française dans le monde, revient pour nous sur les principaux enjeux de cet événement. 

Sylvie Marcé, quelles nécessités ont présidé à l'organisation de ces États généraux ?

Il y a quelques 300 millions de francophones dans le monde. Deux tiers d'entre eux ont du mal à se procurer un livre en langue française. Pour le dire autrement : 33% de la population francophone mondiale, à savoir les Européens et les Nord-Américains, achète la quasi-totalité des livres publiés en français. Les autres, c'est-à-dire la majorité, se partagent 5% de ce marché ! Le constat est accablant, mais c'est aussi une opportunité de développement : l'espace francophone n'attend qu'une chose, c'est d'être mieux irrigué par le marché du livre francophone.

Or, pour un certain nombre de raisons (freins de nature industrielle, juridique, culturelle...), les livres en français sont trop chers. Imaginez qu'un livre ordinaire, publié près de chez vous, au lieu de vous coûter 12 euros, vous en demande 150 : vous seriez dans la situation d'un lecteur de l'Afrique subsaharienne. Et imaginez que ce même livre soit publié hors de votre pays, son prix monterait alors à 325 euros... c''est prohibitif !

Imaginez qu'un livre publié près de chez vous, au lieu de vous coûter 12 euros, vous en demande 150...

Pas étonnant, dans ces conditions, que certains auteurs d'excellence soient ignorés dans leur propre pays, où leurs ouvrages, qui circulent partout sauf chez eux, sont difficiles à trouver ! Or les effets d'une telle situation sont très graves. Comment, sans leurs livres, valoriser la création intellectuelle dans leur pays ? Comment développer une culture partagée autour de leurs œuvres ? Comment renforcer un secteur éditorial s'il demeure privé de ses grands talents nationaux ?

Derrière ces disparités spectaculaires se cachent de véritables problèmes qu'avec le travail de ces Etats généraux on arrivera enfin, souhaitons-le, à poser convenablement. On s'accorde ainsi à reconnaître le besoin criant de renforcer la structuration et la professionnalisation de la filière livre dans les pays du Sud. Sans professionnels suffisamment formés et aguerris, peu de synergies, peu de confiance et peu de développement ! Sans une structuration de la profession, peu de coopérations, peu de dialogues, peu d'aides publiques et presque pas de relations internationales... La dimension politique est ici très importante. Les gouvernements doivent se mobiliser pour engager des politiques publiques interministérielles capables de créer un environnement propice à la création, à l'accès au livre, à la structuration de la filière... Il y a aussi la dimension éducative : localiser la conception, la fabrication et la diffusion des livres scolaires, promouvoir la lecture à l'école et l'accessibilité dans ces pays où l'enseignement et les professeurs eux-mêmes, parfois, ont, à cause de cette difficulté, une culture limitée du livre.

Etats généraux du livre en langue française dans le monde

Qu’allez-vous proposer aux participants de ces journées de Tunis ?

Nous attendons plus de 300 représentants de toute la diversité des acteurs concernés. Pour ne pas les décevoir, il fallait leur soumettre des propositions concrètes à discuter. C'est pourquoi, sans attendre, nous nous sommes mis à travailler collectivement autour d'un plan d'actions.  Ce plan est structuré autour de quatre axes thématiques, chacun d’eux donnant lieu à des livrables opérationnels (une plateforme numérique, une étude économique prospective, un cahier de propositions et deux projets éducatifs) qui seront présentés à Tunis.

En premier lieu, une plateforme collaborative de référencement, qui compte à ce jour plus de 15 000 fiches, pour mettre les professionnels en relation. Par exemple, tel éditeur situé en Afrique peut y trouver un diffuseur au Québec. L'Organisation internationale de la francophonie (l'OIF) a pris en charge l'amorçage de cette plateforme. Dans l'avenir, celle-ci devra devenir un outil interprofessionnel au service des acteurs du  livre. On peut imaginer qu'elle produise des articles d'actualités, des dossiers d'informations, qu'elle recense des événements, des rencontres, etc.

Nous présenterons à Tunis, en exclusivité, une étude économique prospective du marché, aux horizons 2030 et 2050.

Ensuite, nous avons demandé au BIEF, le Bureau international de l'édition française, un gros travail de recherches et d'analyses des grandes régions de l'espace francophone, qui aboutit à une série de 7 fiches géographiques consultables en ligne, afin que les acteurs de la profession partagent la connaissance de données économiques rigoureuses. Puis, avec le cabinet BearingPoint et sept universitaires de cinq pays francophones,  spécialistes des enjeux culturels, linguistiques et des thématiques de l’emploi et de l’économie informelle, nous allons présenter (en exclusivité!) à Tunis une étude économique prospective du marché aux horizons 2030 et 2050. Plusieurs scénarios ont été imaginés, ainsi que les « inducteurs » du marché permettant d’identifier les leviers à actionner collectivement pour approcher tel ou tel scénario. Ils seront, nous l'espérons, passionnément discutés les 23 et 24 septembre. À l'issue de sa présentation, cette étude sera disponible sur le site des États généraux.

Un cahier de 50 propositions, dont ressortent 10 propositions prioritaires, a été rédigé. Il est le résultat, là encore, d'un travail collaboratif initié en octobre 2018, d'ateliers professionnels tenus dans tout l'espace francophone, prolongé et approfondi par les contributions recueillies sur le site des États généraux. Ces propositions très concrètes s'inscrivent dans l'ensemble foisonnant des questions de politiques publiques, de relations et d'échanges professionnels, et aussi sur l'incidence du numérique sur l'industrie du livre. Cela va par exemple du thème de la formation professionnelle aux questions de coût, de délai et d'environnement de l'export aujourd'hui, en passant par l'évolution de l'industrie, comme l'impression à la demande qui permet de passer d'une « industrie du stock » à une « industrie du flux », un des enjeux les plus importants...

Un Corpus d'oeuvres littéraires à destination des jeunes met les éditeurs au défi de les rendre accessibles. Un vrai laboratoire pour les propositions des États généraux !

Enfin, nous avons demandé à différents universitaires, spécialistes des littératures francophones dans les différents pays, de constituer un Corpus d’œuvres littéraires des XXème et XXIème siècles, à destination des jeunes de 15 à 25 ans, qui leur sera proposé dans le cadre scolaire et universitaire. Aujourd'hui nous en sommes à 650 œuvres pour 13 pays. Ce Corpus met les éditeurs au défi de trouver des solutions pour les rendre accessibles, et par là il est aussi un laboratoire pour les propositions des États généraux.  Et il va permettre d'ouvrir la jeunesse à la diversité littéraire. Cette jeunesse est le public majoritaire vers lequel le marché doit se développer. Par ailleurs, avec l'Institut français, l'UNESCO et le financement de l'AFD (Agence française de développement), nous accompagnons les projets Ressources éducatives et Lire pour apprendre, pour stimuler la création dans le domaine de la littérature jeunesse et la lecture dès le plus jeune âge.

Pour conclure, après ces trois années de préparation, qu'attendez-vous des journées des 23 et 24 septembre prochain ?

Des moments très forts, bien sûr, car les attentes sont très grandes. Néanmoins, les États généraux ne sont pas une fin en soi. Nous nous sommes efforcés, en associant plus de 1000 personnes au total à ces préparatifs, d'en faire, pour ainsi dire, une marche pour enclencher des projets et des actions, qui devront s'inscrire dans la durée, avec des échéances plus ou moins longues, selon les sujets. Certaines choses peuvent bouger vite. D'autres prendront plus de temps, car il faut y engendrer des transformations ou susciter des évolutions un peu plus lourdes. A cet égard, la table ronde de clôture sera décisive, dans la mesure où elle rassemblera autour des dix propositions prioritaires les professionnels et les institutions, puis dans un second temps, les ministres des gouvernements organisateurs. Les différents acteurs pourront prendre des engagements et se fixer des rendez-vous pour faire le point, dans un an, dans cinq ans, dans dix ans...

Mon vœu le plus cher est que ces États généraux rayonnent dans l'espace francophone

Tout en restant humble devant l'ampleur du sujet, mon vœu le plus cher est que ces États généraux, ses travaux collectifs, ses idées, ses projets, ses réalisations, rayonnent dans l'espace francophone. Ils le méritent, car ils s'inscrivent avec force dans leur époque. Le livre est proche d'un bien commun et pour autant il n'est rien sans les acteurs économiques qui le produisent et le diffusent. Enraciner les créateurs et les intellectuels francophones dans leur propre pays, promouvoir une industrie du livre qui produise localement, dans le respect de l'environnement, s'adresser en priorité à la jeunesse avec ce medium porteur de sens, d'ouverture, d'esprit critique, de liberté de penser et de diversité, c'est une cause qui ne peut que susciter l'enthousiasme.

 

Un événement multilatéral, collaboratif et fédérateur

Présentés dans le cadre du plan pour la langue française et le plurilinguisme par le Président de la République en 2018, puis mis en œuvre par la ministre de la Culture, avec le soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les États généraux du livre en langue française se tiendront les 23 et 24 septembre à Tunis.

Ils présenteront des propositions concrètes, des initiatives ou des programmes s’inscrivant dans la durée, et proposeront des indicateurs pour assurer un suivi dans le temps des actions engagées.

Un large Comité de pilotage multilatéral et multi-acteurs a été mis en place pour valider les grandes orientations du projet, au sein duquel 22 pays, États et gouvernements et près de 40 types d’acteurs sont représentés.

Six États ou Gouvernements – la Côte d’Ivoire, la République de Guinée, le Québec, la Confédération Suisse, la Tunisie, la Fédération Wallonie Bruxelles, ainsi que l’Organisation internationale de la Francophonie – se sont associés à la France pour co-organiser l’événement de Tunis,  renforçant encore cette dimension multilatérale. L’événement réunira entre 300 et 400 acteurs du livre du monde entier autour des problématiques du livre en langue française : auteurs, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, libraires, acteurs du numérique, bibliothèques, associations ou syndicats professionnels, organismes ou associations soutenant le livre,  institutionnels et professionnels, publics et privés.

L’enjeu de ces États généraux est de réunir l’ensemble des acteurs pour engager collectivement et concrètement les actions nécessaires pour faire évoluer la situation du livre en langue française dans le monde.