Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire de La Rochelle, cher Jean-François Fountaine,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président, cher Matthieu de Montchalin,
Monsieur le délégué général, cher Guillaume Husson,
Mesdames et Messieurs,
Et si vous me le permettez : chers amis,
Je suis évidemment très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. Un peu émue, un peu troublée, forcément, d’être de ce côté-ci du pupitre. Hier, comme vous, je défendais la librairie de l’intérieur. Aujourd’hui, je m’engage avec une toute autre responsabilité, un tout autre devoir de service, mais avec toujours la même conviction et toujours la même détermination. C’est vraiment le message que je vous dois aujourd’hui : ce changement de responsabilités n’a pas changé le sens de mon action. Il n’a pas changé mon ambition pour le livre, pour la lecture, pour la librairie. Je dois dire que, plus que jamais, je ressens combien les auteurs, de par leurs livres, nous disent le monde. L’accès à leurs textes, par la librairie, est primordial.
En me confiant ce ministère, le Président de la République et le Premier ministre m’ont confié la mission de réconcilier et de réenchanter ce pays par la culture. Cela a toujours été la mienne et vous le savez. Le chef de l’Etat a, vous le savez, une ambition très forte pour la Culture. Il l’a consacrée, avec l’Éducation, comme le premier chantier de son quinquennat. Je vais donc naturellement assumer cette ambition, avec mon collègue de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, à travers l’éducation artistique et culturelle qui sera l’axe prioritaire de mon travail pour tous, partout sur le territoire. Mais c’est aussi avec vous que je veux la porter.
La librairie est au cœur du modèle culturel que je défendrai, et pas parce que j’en viens, mais parce que le pays en vraiment a besoin. D’abord, parce qu’il a besoin de lecture. Nous allons mener une politique globale pour la développer. Un pays qui lit est un pays éclairé et un pays éclairé est capable de se transformer. Nous porterons cette politique pour la lecture par l’intermédiaire des bibliothèques, en les ouvrant davantage et en les accompagnant pour qu’elles soient plus attractives. J’ai confié – comme vous le savez – une mission à Erik Orsenna, afin de mobiliser les collectivités et les bibliothécaires sur le sujet. Cet amoureux de la langue française, auteur de nombreux livres que vous avez défendus, académicien brillant et inventif sera le meilleur ambassadeur de la lecture. Je suis profondément heureuse qu’Erik Orsenna ait accepté de porter cette magnifique ambition. Les bibliothèques ne sont pas les seules à promouvoir le goût du livre : nous avons fondamentalement besoin de vous. J’ai d’ailleurs pu annoncer récemment que la Nuit de la lecture serait reconduite l’année prochaine. Merci pour votre mobilisation sur laquelle je sais pouvoir compter.
Notre pays a besoin de ses librairies, ensuite, parce qu’il a besoin de diversité culturelle. La diversité est au cœur du modèle français. Nous la défendrons en soutenant la diversité de la création, bien sûr : en défendant le droit d’auteur, en luttant contre le piratage, en soutenant les créations et les industries émergentes respectueuses de l’écosystème. Mais l’enjeu, c’est aussi de veiller à ce que cette diversité se retrouve au bout de la chaîne, dans l’offre qui est effectivement accessible au public. Vous me permettrez de rendre hommage à mon père, Hubert, qui disait qu’être éditeur, ce n’est pas seulement choisir de bons auteurs, c’est aussi amener les livres dans les mains des lecteurs et c’est pour cela que la fonction de libraire est cardinale. Nous savons que la protection de la diversité est aujourd’hui un défi. Elle est fragilisée à la fois par les enjeux économiques - certains distributeurs ne privilégient que l’objectif de la rentabilité - et par les nouveaux usages numériques - les systèmes de recommandation automatique sur Internet orientent le choix des lecteurs. Le rôle joué par vos librairies est plus que jamais essentiel. Parce que vous défendez cette politique de diversité : vous êtes des militants culturels autant que des acteurs économiques. Parce que vous êtes prenez des risques pour la promouvoir, en mettant dans vos rayons des auteurs émergents, des œuvres moins connues. Parce que vous jouez un rôle de médiation essentiel, de conseil auprès des lecteurs, qui pour vous ne sont pas seulement des clients. Parce que les librairies ont ce mystérieux pouvoir que l’on connaît bien et qui s’exprime dans la librairie, par le lien direct entretenu avec le lecteur : celui de le faire repartir, une fois sur deux, avec un livre qu’il n’était pas venu chercher !
Enfin, notre pays a besoin de vous, parce qu’il a besoin de la vie culturelle que vous nourrissez. Je le sais bien, pour avoir moi-même joué ce rôle à Arles. Une librairie, ce n’est pas seulement un lieu où l’on vient pour acheter un livre ; c’est un espace où l’on vient trouver du calme, où l’on butine et où on se laisse porter par la déambulation, curieuse et rêveuse, au milieu des livres. Ce n’est pas une simple boutique : c’est un véritable lieu d’accès à la culture, et vous savez comme moi que, pour beaucoup de nos concitoyens, c’est le premier.
Pour toutes ces raisons, vous avez un rôle précieux à jouer. Ma responsabilité, c’est de veiller à ce que vous ayez les moyens de l’assumer. Les pouvoirs publics ont fait preuve d’un vrai volontarisme, dans la période récente, à travers notamment le Plan Librairie. Les indicateurs globaux sont encourageants. La part de marché de la librairie par rapport aux autres circuits de vente s’est stabilisée. Mais je sais que, sur le terrain, vous n’en avez pas forcément ressenti le bénéfice immédiat. Je sais que vous continuez d’affronter des difficultés. Je sais que beaucoup de librairies ont du mal à trouver leur équilibre. J’aurai deux grandes préoccupations : d’abord, assurer très attentivement le suivi des mesures prises ces dernières années, les évaluer, et, si nécessaire, les faire évoluer ; et par ailleurs, renforcer les trois modes d’intervention publique que nous avons pour vous soutenir aujourd’hui : l’observation, le soutien économique et la régulation.
D’abord, en ce qui concerne l’observation, l’État doit veiller et informer sur les grandes tendances du secteur : c’est l’une de ses missions essentielles. Le ministère vient d’achever une étude importante sur le marché d’occasion, en partenariat avec Kantar TNS et GfK. C’est un marché qui nourrit beaucoup d’inquiétudes, je le sais, et il est difficile à tracer, de sorte que les rumeurs circulent, qui alimentent à leur tour les inquiétudes. Il était vraiment important de pouvoir disposer de données objectives : le ministère a fait ce travail. L’étude permet de prendre du recul. Je veux vous en livrer les premières conclusions, qui montrent d’abord que l'achat d’occasion reste une pratique minoritaire, qui concerne un peu plus d'un acheteur de livres sur cinq, et qu’il n’y a pas d’explosion de ce marché. En revanche, elle en confirme bien la progression régulière, en termes de pratique et de volumes – progression qui contraste avec la relative stagnation du marché du livre neuf. L’étude fait par ailleurs ressortir une nouvelle tendance, qui appelle à la plus grande vigilance : la majorité des achats d’occasion se fait désormais en ligne et, surtout, dans plus d’un cas sur deux, cet achat en ligne est un achat prémédité, sur un titre précis – ce qui n’est pas le cas pour les achats d’occasion dans les autres circuits. Les plateformes de vente de livres ont donc fait naître une forme de concurrence directe entre les différents formats : le neuf, l’occasion et le numérique. Vous avez saisi le médiateur du livre sur le sujet, conjointement avec les éditeurs. Vous avez eu raison de le faire, car la loi Lang sur le prix unique doit être scrupuleusement respectée sur tous les supports. Je suis heureuse de vous annoncer qu'au terme d’une longue médiation, une Charte de bonne conduite sera signée demain, rue de Valois, entre les différentes parties prenantes : la Charte sur les places de marché. Nous privilégions les solutions de conciliation et la capacité des acteurs à s’entendre, avec des règles de bonne conduite. Mais je veux vous dire que je serai extrêmement vigilante sur la mise en œuvre de cette Charte : la concurrence doit s’exercer dans un cadre légal, loyal et équilibré.
Le deuxième grand levier d’action publique en votre faveur est l’intervention économique. Les dispositifs d’aide ont été enrichis au fil des ans et, dernièrement, avec le Plan Librairie. Ils couvrent aujourd’hui la plupart des stades de développement de vos entreprises, que ce soit au niveau de l’investissement, de la trésorerie, la garantie de crédit bancaire. Je sais néanmoins les difficultés qui persistent. Je sais que les marges restent fragiles. Je sais aussi que ce début d’année a été un peu particulier, avec un creux d’activité lié à la période électorale et sans doute au déplacement des programmes des éditeurs.
Je veux que nous travaillions ensemble, dans les prochains mois, sur trois grands domaines dans lesquels les pouvoirs publics peuvent agir. D’abord, le foncier et l’aménagement urbain : je sais les difficultés causées par les augmentations de loyers ; je connais aussi la problématique du maintien des commerces indépendants dans les centres-villes. Votre syndicat a bien souligné ces difficultés dans ses propositions à destination des candidats à la présidentielle et vous avez voulu en faire un thème majeur de ces rencontres. Nous devons trouver des solutions. Je souhaite qu’une réflexion s’engage, avec les collectivités locales et vous-mêmes, pour recenser les leviers existants, encourager leur mobilisation et, le cas échéant, envisager de renforcer les outils d’intervention. Plus généralement, nous travaillons, dans la ligne du rapport présenté par le sénateur Yves Dauge, à la question de la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.
Le second domaine dans lequel les pouvoirs publics peuvent agir est celui de la transmission et de la formation. Le fonds de soutien à la transmission de l’ADELC a été renforcé, dans le cadre du Plan Librairie. Il a notamment permis d'accompagner la reprise des magasins du réseau Chapitre. Mais le problème, dans de nombreux cas – et nous en avons des exemples dans l’actualité –, ce n’est pas seulement le manque de financement, c’est aussi le manque de profils intéressés. Votre secteur est en pleine bascule générationnelle, et il n’y a pas suffisamment de jeunes professionnels prêts à reprendre les commandes, même quand les aides des opérateurs sont pleinement mobilisées. La meilleure réponse à cela, c’est la formation, aussi bien initiale - pour entraîner des jeunes vers le métier - que continue - pour que ceux d’entre vous qui souhaitent évoluer puissent le faire. Un chantier immense est à conduire - chantier dont la responsabilité première incombe à votre profession, mais qui peut compter sur le soutien de mon ministère. Enfin, et plus largement, je souhaite qu’un travail de simplification soit engagé, pour clarifier le paysage des aides économiques et financières. La simplification administrative fait partie des priorités générales du gouvernement. C’est un enjeu pour vous - je le sais pour y avoir moi-même fait face - : l’architecture des aides est trop complexe aujourd’hui. Il faut qu’elle soit plus lisible, plus simple à mobiliser. Nous devons étudier les pistes de rapprochement possible entre les différents guichets. C’est l’une de nos priorités.
La troisième et dernière grande responsabilité des pouvoirs publics concerne la régulation. Il y a eu un vrai travail de fait, ces dernières années, pour adapter le cadre de votre secteur aux nouvelles problématiques liées au numérique. Le médiateur du livre a été créé en 2014. Il ne vous a pas échappé que ce poste est vacant depuis quelques semaines, puisque c’est son titulaire que j’ai choisi pour diriger mon cabinet… Mais je veux vous rassurer : son successeur sera nommé très prochainement ! Le périmètre de la loi Lang a été étendu au champ du numérique et le contrôle de son bon respect a été renforcé. La loi a aussi été modernisée pour vous protéger face à la concurrence parfois déséquilibrée de la vente à distance : le rabais de 5% sur le prix du livre peut être proposé uniquement en magasin. Enfin, les règles de la commande publique ont été aménagées afin que les collectivités puissent, si elles le souhaitent, faire directement appel aux librairies locales pour les fournitures de livres non scolaires, sans publicité ni mise en concurrence, dès lors que la commande est inférieure à 90 000€. Nous venons par ailleurs de lancer une mission, conjointe avec le ministère de l’Éducation, pour évaluer les pratiques d’achats des collectivités en matière de manuels scolaires, dont les conclusions devraient être rendues en septembre. Notre volonté, aujourd’hui, c’est de veiller à ce que l’ensemble de ces mesures produisent leurs effets. Elles ont fait l’unanimité auprès des organisations du secteur. Pour autant, j’ai bien entendu les propositions présentées par le SLF et vous savez que j’en partage l’objectif d’ensemble qui est de conforter la situation économique des libraires indépendants, et donc aussi leur rentabilité. Mais il faut également être vigilants et ne pas se précipiter pour légiférer. D’abord, parce que la loi de 1981 est un îlot de régulation dans le droit commun de la concurrence et que son équilibre est fragile. Ensuite, parce qu’il faut d’abord privilégier le dialogue interprofessionnel et rechercher le consensus parmi les acteurs de la chaîne du livre. Sous ces réserves, vous savez que mon ministère et mes services sont ouverts au dialogue. Il nous faut d’ailleurs veiller aussi à une certaine stabilité de notre cadre national au moment où de grands chantiers de régulations nouvelles sont ouverts au niveau européen. Je veux avoir un mot à ce sujet pour conclure. La Commission européenne a l’ambition de construire un marché unique numérique et les textes en discussion concernent aussi le secteur du livre. La France prend constamment la défense de la diversité des réseaux de diffusion des œuvres et du livre en particulier. Nous nous sommes par exemple vivement opposés à une proposition sur la vente en ligne, qui aurait favorisé les grands acteurs. Il s’agissait d’obliger les libraires qui veulent développer un service de vente en ligne de livres numériques à le faire en direction de l’ensemble des États de l’Union européenne. La France défend aussi l’idée de rendre obligatoire l’interopérabilité des livres numériques dans l’espace de l’Union. Je sais que votre syndicat en a fait un point important de ses propositions à l’adresse des candidats à la Présidence de la République. Je sensibiliserai mes homologues à cette question et je la défendrai résolument au niveau européen. Je crois au volontarisme dans ce domaine. J’ai eu l’occasion de le mesurer récemment pour la régulation dans l’audiovisuel. Vous savez que nous aurons un rendez-vous important en Europe à l’automne : la France sera l’invitée d'honneur à la Foire du livre de Francfort. Je veux en faire un rendez-vous politique sur les enjeux du marché unique numérique pour votre secteur.
Voilà, chers amis, les messages que je tenais à partager aujourd’hui. Vous l’aurez compris : j’aurai à cœur de mobiliser tous les pouvoirs publics autour de vos problématiques. Je défendrai la librairie avec la passion que j’ai toujours eue pour elle, mais surtout avec la conviction profonde qu’elle fait partie de notre modèle, de notre singularité, de notre identité. Je crois qu’en défendant la librairie, on défend plus que le livre, plus que la lecture. On défend même plus que la Culture. En défendant la librairie, on défend une certaine vision, un certain modèle de société. Je m’y emploierai.
Je vous remercie.
Je vous souhaite des échanges fructueux et une très belle journée.