Monsieur le Ministre, cher Emmanuel Macron,
Monsieur le Vice-président du CSF, cher Olivier Mellerio
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
« L’homme, écrivait le philosophe Henri Raynal, est le seul animal qui choisit son pelage. »
Le seul animal à avoir la possibilité d’en changer à volonté, à l’infini.
Le seul à se définir autant par ce qu’il porte.
Le vêtement dit quelque chose de ce qu’est la femme ou l’homme qui le revêtent, autant que du monde et de l’époque auquel ils appartiennent. Le vêtement, c’est la manifestation de notre condition « de créature visible ».
Et l’on voudrait nous faire accroire que la mode est futile ou élitiste ? Elle est au contraire éminemment populaire. Populaire au sens où elle est un souci, un enjeu, un désir partagés par tous. Populaire au sens où nous nous faisons tous une certaine idée du style, de la coupe, de la matière, du confort, de ce qui « va » ou de ce qui « ne va pas ». Populaire au sens où l’homme de la rue inspire le créateur et le créateur l’homme de la rue, car c’est ainsi que se forge un certain esprit du temps. La mode est importante parce qu’elle est à la fois considérable et fragile, exigeante et populaire, évidente et intime. Elle est importante, parce que nous ne pouvons nous en passer pour dire qui nous sommes. Et c’est ainsi qu’elle relève de la culture.
Je suis donc très heureuse de vous retrouver ce matin pour ce Comité Stratégique de Filière des Industries de la mode et du luxe, dont je salue le nouveau vice-président, Olivier Mellerio. C’est l’un des lieux, par excellence, où nous pouvons travailler ensemble à préserver comme à valoriser vos savoir-faire. Lesquels font de la France ce qu’elle est : l’un de ces pays dont la réputation et l’économie sont invariablement associés à la mode, au design et au luxe. Et l’on en compte très peu à travers le monde.
Que ferions-nous, en effet, sans vos savoir-faire ?
Sans vos savoir-faire et les 700 000 professionnels que vous faites travailler, pourriez-vous générer 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires ?
Bien évidemment, la filière a des défis à relever en matière de structuration et de concurrence internationale. Ils sont au coeur de ce comité stratégique de filière. Je ne doute pas qu’Emmanuel Macron reviendra plus en détail sur ce point. Vous partagez d’ailleurs en grande partie ces enjeux avec le monde du design. Bien évidemment, nous avons à travailler ensemble à renforcer l’exportation. Et la mode et le luxe forment l’un des axes de réflexion majeurs de la mission qu’avec Matthias Fekl, j’ai confiée à Isabelle Giordano.
Bien évidemment, il nous faut encore travailler à inciter les gens à mieux évaluer la qualité des produits proposés. Car la façon dont ils ont été fabriqués, teintés, transportés… est insuffisamment prise en compte par les consommateurs. Et la lutte contre la contrefaçon demeure un enjeu tout aussi important.
Mais il faut aussi, plus singulièrement, préserver les savoir-faire qui rendent votre activité possible et les mettre davantage en valeur. Au coeur de la mode et du luxe, il y a ces métiers rares, ces gestes précieux des mille travailleurs de la matière comme ces très grands artistes de la forme. J’ai d’ailleurs décerné la semaine dernière le titre de Maître d’art à neuf artisans, dont le talent et le souci
du détail participent à la richesse de vos professions. Je pense en particulier à Sylvain Le Guen, l’un des plus grands tabletiers-évantaillistes français. Depuis 2013, mon Ministère est donc fortement engagé dans une politique nationale de conservation et de valorisation des métiers d’art.
Qui dit transmission dit évidemment formation. Voilà un enjeu qui va bien au-delà de la Maîtrise d’art. Et je partage bien sûr l’attention particulière que vous portez à l’enseignement supérieur.
Oui, le paysage des formations supérieures aux différents métiers de la mode et du luxe en France manque aujourd’hui de lisibilité et de structuration. Il existe une soixantaine de formations dont seulement 13 formations publiques et 11 formations gratuites. Les tutelles varient selon les écoles, ou elles sont multiples. Nous avons encore du chemin à accomplir. Mais nous avançons.
Aujourd’hui, l’Ecole Duperré développe un projet très intéressant avec la Sorbonne. De même, l’ENSAD, dont mon Ministère a la responsabilité, est aujourd’hui engagée dans une dynamique très vertueuse, au service de la mode. J’ai eu l’occasion d’en parler de vive voix avec Marc Partouche, qui m’a accueillie pour une visite de son école la semaine dernière et que je remercie. Cette dynamique vertueuse, c’est la préfiguration d’une « Grande École de Mode publique », en partenariat avec l’Ecole des Mines et l’Université Paris-Dauphine, dans le cadre de la Communauté d’universités et d’établissement Paris Sciences et Lettres. Dès septembre 2016, la création, l’ingénierie et le management de la mode seront réunis pour offrir un parcours allant jusqu’au grade de master aux étudiants qui le souhaiteront.
Et si la formation est si importante, ce n’est pas seulement parce qu’elle perpétue des savoir-faire, mais parce qu’elle contribue à faire surgir aussi, avec le concours d’autres initiatives, de nouveaux talents. La mode a besoin d’industriels qui savent lui donner de la force, comme elle a besoin d’un vivier d’auteurs qui la renouvellent sans cesse. C’est là que réside aussi la dimension artistique de la mode. Que la Villa Noailles, dont nous avons fêté les trente ans en juin dernier, soit aussi un centre d’art, n’est-ce pas tout un symbole ? Elle est d’ailleurs aujourd’hui l’un de ces théâtres où la jeune création accède à une plus grande reconnaissance, et où l’on détecte les tendances de demain.
Le soutien à la jeune création est précisément au coeur de mon ambition et au centre du travail de mon Ministère. Je lui ai consacré des Assises, qui se sont conclues en juin dernier. Les premières mesures qui en sont issues commencent d’ailleurs déjà à être mises en oeuvre. Elles viennent compléter le travail que nous avons engagé depuis de nombreuses années : je pense en particulier au prix de l’ANDAM [Association nationale des arts de la mode], créée à l’initiative du ministère de la Culture et du Défi en 1989,ou au FAJEC, placé sous la responsabilité de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, qui met à disposition des jeunes créateurs de mode des avances remboursables. J’ajoute que le Défi et les fédérations jouent un rôle très important pour conseiller et soutenir « la mode d’auteur » dans son développement. Tout comme les grandes maisons, largement représentées ce matin. Nous avons besoin, me semble-t-il, de travailler encore plus étroitement ensemble en ce sens, en mettant en commun nos ressources et nos outils.
Préserver des savoir-faire, former des professionnels, faire émerger de nouveaux talents : voilà les enjeux qui sont au coeur de mon travail et de celui de mes équipes. Beaucoup de défis, restent à relever. De nouvelles pistes sont à explorer. Ce Comité Stratégique de Filière est le lieu adéquat pour le faire. Lyne Cohen-Solal nous en soumettra d’ailleurs quelques-unes aujourd’hui. Je me réjouis qu’avec Emmanuel Macron nous lui ayons commandé ce rapport, et je la remercie très sincèrement pour l’excellent travail qu’elle a accompli.
Rares sont les moments, mes chers amis, où l’on ne me parle pas de la mode et du luxe lorsque je me rends à l’étranger. Avec le goût du débat et des idées, avec la vie culturelle de notre pays, voilà ce qu’on m’évoque le plus souvent. S’exerce donc à travers vous une forme de magistère esthétique : vous pouvez compter sur le Gouvernement pour faire en sorte qu’il continue, quoi qu’il
advienne, de s’exercer.
Je vous remercie.