En quelques mots simples et justes, CHOPIN définit ce qui fait la singularité si émouvante de sa musique et de sa voix : celle d’un dialogue intime de l’âme avec elle-même, du compositeur avec son instrument, le plus souvent cet instrument d’intérieur et d’intériorité qu’est le piano, mais aussi celle d’une communion des âmes, avec les auditeurs et, plus généralement, des nations et des peuples d’une Europe réunie.
Car si CHOPIN occupe cette place spéciale dans le coeur de chacun d’entre nous, c’est parce que ce poète insurpassable du piano, virtuose inspiré et génial improvisateur, sait confier à son instrument ses sentiments à la fois les plus intimes et les plus universels, qui est l’image même d’un dialogue confiant. Tous ceux qui ont eu la chance d’apprendre le piano – et le courage de persévérer ! – ont essayé de faire leur les mélodies enchanteresses de ses Valses, de ses Ballades, de ses Études et Préludes, et bien sûr de ces Polonaises et de ces
Mazurkas dans lesquelles il a plus particulièrement su cristalliser l’âme de la musique polonaise. Beaucoup de grands écrivains ont cherché à rivaliser, par l’écrit, avec ce dialogue musical. Je citerai les lignes sublimes de Marcel PROUST : « ces phrases, au long col sinueux et démesuré, si libres, si flexibles, si tactiles qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait pu espérer qu’atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie
que pour revenir plus délibérément – d’un retour plus prémédité, avec plus de précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu’à faire crier – vous frapper au coeur »…
Son oeuvre naturellement convie au dialogue des arts parce qu’elle est fondée sur le dialogue intime d’une double appartenance culturelle, à la France et à la Pologne dont CHOPIN transcrit et transmet les codes émotionnels, mais qu’il sait fondre aussi en une âme unique.
Sa vie même entrelace les mélodies de ces deux mémoires. Le jeune homme, après s’être formé en Pologne où il est né près de VARSOVIE, d’une mère polonaise et d’un père lorrain, quitte son pays bien-aimé au moment de la Révolution de 1830, à l’âge de 21 ans. Il gagne d’abord VIENNE, puis PARIS, où il passera le reste de sa courte vie, puisqu’il s’y éteint, vous le savez, en 1849. Il repose désormais au cimetière du Père-Lachaise, tandis que son coeur est conservé à l’église Sainte-Croix de Varsovie. Symbole de cette double appartenance qui lui a donné cette fécondité supérieure.
Toute sa vie durant, ce coeur sensible resta partagé entre sa passion pour un pays d’adoption où il côtoie les plus grands artistes, et la nostalgie de sa chère Pologne natale, dont les rythmes, les mélismes et les harmonies ne cessent de résonner en lui comme de longs échos d’exil, et informent sa pensée et son écriture.
Ses amours avec George SAND, à Majorque, à Nohant, à Paris, ont acquis le prestige du mythe et nourrissent notre imaginaire commun, français et polonais. Ils sont l’un des d’un tressage naturel entre deux cultures amies.
Symbole vivant de l’amitié franco-polonaise, à travers nos projets communs et nos échanges, dont le Sommet de ce matin a esquissé les contours et posé d’importants jalons, cette année CHOPIN 2010 dessine aussi, du même mouvement, un espace européen de partage et de communion dans la langue universelle de la musique. Au moment où nous fêtons le 20e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, il donne à sentir l’unité profonde de nos sensibilités et, par-delà même, de nos valeurs. L’Europe existe parce que des génies précurseurs, souvent des artistes, ont su lui donner un visage avant sa création institutionnelle, et, dans le cas de CHOPIN, en un siècle où la fièvre nationaliste ne cessa pas de croître.
Cette manifestation n’aurait pu voir le jour, elle non plus, sans entrelacement et sans dialogue, sans une coopération étroite entre nos deux pays et entre leurs commissaires généraux respectifs (l’ancien ministre MM. Waldemar DĄBROWSKI et Alain DUAULT), que je remercie chaleureusement, sans un soutien sans faille du ministère des Affaires étrangères et européennes, sans la très grande mobilisation des associations. Je tiens en particulier à saluer
l’engagement déterminant de la Société historique et littéraire polonaise, dont fut membre le compositeur, et de son Président Casimir Pierre ZALESKI, celui de la Bibliothèque polonaise de Paris, dirigée par Anita DUBOIS, et, enfin, de la Société Chopin à Paris et de son Président Antoine PASKIEWICZ, ainsi que la participation active des Fêtes romantiques de Nohant et des Rencontres internationales Frédéric Chopin présidées par Alain DUAULT et dont le codirecteur artistique Yves HENRY, pianiste, compositeur et professeur au
Conservatoire de Paris, nous fera tout à l’heure le plaisir de jouer quelques pièces de ce Maître à la fois élégant et familier.
Grâce à ce dialogue, notre coeur va battre toute cette année aux rythmes entêtants de la musique de CHOPIN, entre la France et la Pologne. La « FOLLE JOURNÉE » organisée par l’infatigable René MARTIN « Autour de CHOPIN » ira de NANTES à VARSOVIE, et la magnifique exposition « L’Atelier de CHOPIN », présentée par la Cité de la Musique de la Villette en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France (BnF), aura peut-être la chance de voyager à Varsovie, ce qui serait, bien sûr, un superbe symbole. Pleinement conscient de l’enjeu de cette manifestation, le ministère de la Culture et de la Communication
soutient cette exposition et s’est fortement engagé dans la réussite de cette année à travers plusieurs projets : je veux parler notamment de l’aménagement de l’auditorium de la bergerie, dans le Domaine George SAND à Nohant, réalisé par le Centre des Monuments Nationaux .
Grâce à ces nombreuses manifestations, cette année CHOPIN sera l’occasion de faire mieux connaître l’oeuvre de Chopin à un très large public, en particulier aux plus jeunes, qui sont les auditeurs de demain.
La musique de CHOPIN est aujourd’hui on ne peut plus vivante : très présente au disque comme dans les salles de concert – en particulier à la salle PLEYEL qui lui fera cette année une large place dans sa programmation –, elle est parfois utilisée dans des chansons ou même « samplée » par des rappeurs, dans un entrecroisement perpétuel entre la tradition et la modernité la plus contemporaine, et entre culture savante et culture populaire.
Mais la transmission de ce patrimoine sera également favorisée par un travail mené en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, afin de préparer et de prolonger durablement l’effet de cette découverte musicale, d’y mettre en quelque sorte un point d’orgue.
Emblème de cette culture partagée, la musique de CHOPIN, dont cette Année de célébration déclinera toutes les formes possibles, nous invite à conjuguer plus intimement encore les cultures et les sensibilités de nos deux pays et de transcender les différences et les frontières culturelles. CHOPIN nous montre qu’il existe un lieu intime où les âmes dialoguent, un peu comme la main gauche et la main droite du pianiste, et que ce lieu est le plus profond. De cette pleine entente des âmes entre Français et Polonais, entre tous les Européens, qu’il a
gravée et fixée à jamais dans ses partitions, son oeuvre musicale est en quelque sorte un prélude. Il est bien naturel que nos deux pays lui rendent en 2010 le grand hommage qu’il mérite.