2003
~ Arts ~
> programme des manifestations Hector Berlioz incarne avec la Symphonie fantastique lun des moments les plus symboliques du romantisme français. «Épisode de la vie dun artiste » : depuis le « malaise de lâme » de « Rêveries et passions » àla vision frénétique du « Songe dune nuit de sabbat »,le héros romantique nexiste que par les sentiments quil éprouve pour la bien-aimée incarnée musicalement par lidée fixe. Cest aussi limage que Berlioz construit de lui-même par les Mémoires rassemblés en pleine maturité et constitués dun savant puzzle darticles et de fragments déjà publiés. Comme un vaste mouvement da capo, les Mémoires souvrent et se ferment en présence de la figure dEstelle, la Stella montis aperçue à ladolescence et recherchée puis retrouvée par un sexagénaire au cur ardent. Lélio-Berlioz est mû par la volonté de transcender la souffrance en art et la volonté de fonder son existence entière sur « les deux ailes de lâme », la musique et lamour. Pour se donner les moyens de créer à son tour ces émotions de jeunesse, Berlioz, fils dun médecin de La Côte-Saint-André, gagne Paris dès 1821. Les études de médecine commencées pour faire plaisir au père intelligent et attentif seront abandonnées pour une première vie laborieuse dapprenti musicien. Ce que ne dit pas le récit enflammé, coloré,précis, des Mémoires,cest ce que nous entendons aujourdhui, par exemple, dans tel projet inachevé dopéra comme les Francs Juges (1826) ou dans les Huit scènes de Faust (1828-1829) : le génie est là, ligne mélodique, langage orchestral, tout est déjà «berliozien ». Les Iphigénie de Gluck copiées à la bibliothèque du Conservatoire, les maîtres approchés à Paris, toujours au Conservatoire, Le Sueur, Reicha, lécoute enthousiaste de Beethoven le révolutionnaire, ont nourri Berlioz de la nécessaire technique musicale. Il sait aussi manier en maître les types décriture quil estime peu et détourne de leur sens premier, comme la fugue. Après plusieurs tentatives narrées de façon fort cocasse dans les Mémoires, il réussit le concours du prix de Rome mais, au dernier moment, il sefforce déchapper au séjour obligatoire à la villa Médicis. En Italie, il passe plus de temps à vagabonder de Rome à Naples quà écrire de la musique, mais lapprentissage ultramontain est aussi celui de la liberté et celui de sensations musicales neuves, expérience quil noubliera jamais. À son retour, Berlioz, sans fonction offi-cielle, sans orchestre à sa disposition, - à la différence dun Wagner, solide chef dorchestre de théâtre - , doit faire front. Depuis 1828, il prête une plume vive à de nombreux journaux dont la Revue et Gazette musicale et le Journal des débats. La somme de ses six cents feuilletons demeure aujourdhui, avec la correspondance, les Mémoires et les livrets (les Troyens, Béatrice et Bénédict), le socle sur lequel se fonde la stature immense de Berlioz écrivain. Il y insufflera non seulement caricatures et critiques acérées mais aussi précieux hommages et visions utopiques dun monde où la musique résout tout. Il se transforme en organisateur de concerts. Aucun souci ne lui est épargné : préparation des partitions, recrutement des musiciens, location de salles et dinstruments, paie-ment de taxes forment la trame des préoccupations quotidiennes de Berlioz à Paris puis, plus tard, à létranger au cours de ses grandes tournées de chef dorchestre. Pendant des années, Berlioz noccupe aucune position officielle avant que lui échoie celle de bibliothécaire du Conservatoire. Il arborera pourtant fièrement une Légion dhonneur, contrepoint heureux à diverses tentatives infructueuses en direction de lInstitut où il entre tout de même en 1856. À une époque où lopéra est le genre noble par excellence, Berlioz échoue en 1838 à lAcadémie royale de musique avec Benvenuto Cellini : trop de musique dans cet opéra (lair est connu) où lartiste-héros triomphe de la société et de lui-même grâce au génie. Pourtant la lumineuse perfection des Nuits dété montre que Berlioz est un maître incomparable ès poésie. Imaginer Berlioz comme un artiste isolé nest pas abusif : il refusera toute sa vie de produire « en série » - à quelques exceptions près comme ses romances de jeunesse -, partant avec chaque oeuvre vers de nouveaux territoires. Ni symphonie, ni poème symphonique, chaque pièce devient un apax sublimant une somme dexpériences, de lectures, dexpérimentations sonores. Harold en Italie (1834) se construit en une vaste réminiscence de thèmes symbolisant les aventures italiennes. Roméo et Juliette (1839) rappelle la passion de Berlioz pour Shakespeare et pour son interprète Harriet Smithson. Trois pièces résultant de commandes officielles apportent une révolution sonore : le Requiem qui commémore lattentat de Fieschi et déploie 200 choristes et 150 instrumentistes, la Symphonie funèbre et triomphale (1840) exécutée en une lente procession de Saint-Germain-lAuxerrois à la place de la Bastille, le Te Deum (1850) avec trois churs et douze harpes. Elles laissent à tort une image de concert monstre et de rutilance sonore alors que Berlioz favorise aussi pour ses grandes masses chorales une écriture limpide et noble dune grande douceur et pour son orchestre le plus délicat sens du timbre juste. Il lègue à la postérité la quintessence de son art dorchestrateur dans le Traité dinstrumentation et dorchestration modernes (1844) qui ouvre la voie à Richard Strauss et à lécole russe. Au rang des échecs incompréhensibles pour nous, celui de la Damnation de Faust en 1846 plonge Berlioz dans dobscures difficultés financières et le jette sur les routes de Belgique, dAllemagne, dAngleterre où il songera un moment à sinstaller, enfin de Russie. Encore aujourdhui, dans ces différents pays, le culte de Berlioz est soutenu par lédition, le concert et le disque. En 1863, il écrit les Troyens daprès Virgile grâce à lobstination amicale de la princesse de Sayn-Wittgenstein mais il ne verra jamais luvre entièrement représentée. Quelques consolations en fin de vie, le succès de loratorio lEnfance du Christ (1854) où Berlioz initie la notion de « néoclassicisme » dont on sait la fortune au XXe siècle et le triomphe, à Bade, de Béatrice et Bénédict (1862), sa dernière incursion shakespearienne. La postérité a rendu justice à Berlioz. Pour Saint-Saëns, il a formé une génération de compositeurs et leur a appris lamour du beau. Milhaud et Stravinski le revendiquent comme leur maître en orchestration. Pierre Boulez en fait le maillon « spectaculaire » entre Beethoven et Wagner, « entre le compositeur symphonique et le compositeur de théâtre ».
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Dessin plume et encre de Chine © RMN / J.G Berizzi |
Portrait charge d'Hector Berlioz par Etienne Carjat, 1863. Lithographie © AKG Paris |
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