Monsieur le Ministre, cher Jacques Toubon,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Madame le Secrétaire perpétuelle de l’Académie française, Chère Hélène Carrere d’Encausse,

Chère Asli Erdogan, qui nous fait l’honneur de sa présence et que je veux saluer avec émotion,

Chers amis auteurs, éditeurs, traducteurs, responsables de droit et vous tous qui formez la grande famille du livre,

La dernière fois que la France fut invitée d’honneur de la Foire de Francfort, c’était il y a près de 30 ans : c’était en 1989. Année de la chute du mur ; des manifestations de la place Tiananmen en Chine ; de la mort de l’ayatollah Khomeiny ; d’un souffle de vent démocratique sur l’Amérique latine.

C’était une année de grand basculement. Certains annonçaient même la « fin de l’Histoire ». Trente ans plus tard 2017 restera aussi, d’une certaine façon, comme une année charnière. Car une partie du monde a tourné sur ses gonds : je pense à l’entrée en fonction du nouveau président américain, et au changement de cap impulsé, avec notamment le retrait de l’accord de Paris.

Je pense au lancement de la procédure officiel du Brexit. Pour la première fois de son Histoire, l’Europe a fait un pas en arrière. Regardons cette réalité en face, pour mieux la contrarier.

Nous avons une responsabilité : celle de refonder l’Europe par la culture, j’y reviendrai. Et nous pouvons nous appuyer, plus que jamais, sur la relation étroite qui nous relie à nos amis allemands, pour construire un nouveau projet, un nouvel espoir. 

Si je commence par tout cela, c’est parce que la Foire de Francfort n’est pas un événement « déraciné ». Elle est traversée par les humeurs, par les secousses du monde.

Je commence par-là, parce que je connais suffisamment bien ce secteur pour savoir qu’être auteur ou éditeur, c’est être en prise avec ce monde. C’est être engagé. Engagé pour ce que l’on écrit, pour ce que l’on publie. Engagé pour qu’une voix porte, en tout cas. Et donc engagé dans la Cité.

Sartre écrivait en 48 « De quelque façon que vous y soyez venu – disait-il, quelles que soient les opinions que vous ayez professées, la littérature vous jette dans la bataille. Écrire, c’est une certaine façon de vouloir la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou de force, vous êtes engagé ».

En l’occurrence, c’est un double engagement qui se joue à Francfort : un engagement pour la langue ; et un engagement pour l’Europe. C’est le message que je voudrais avoir aujourd’hui. Nous avons une responsabilité collective, vis-à-vis de l’une et de l’autre. Car si la place réservée à la France et à la langue française nous honore – vous honore –, je crois aussi qu’elle nous oblige. C’est une opportunité extraordinaire pour tous : pour vos œuvres, pour toute l’édition française. Et derrière chaque honneur, il y a toujours, en creux, une responsabilité.

La première, je le disais, concerne notre langue : dans une France en pleine introspection – les dernières élections présidentielles l’on montré ; une France qui s’interroge sur son rapport au monde ; qui ressasse son identité…La langue a un rôle majeur à jouer. C’est notre socle commun. C’est ce qui nous tient. Alors faisons faire la vivre : pas seulement du 11 au 15 octobre prochain ; mais chaque jour de l’année.

Avec cette triple exigence : L’accessibilité, d’abord. Pour tous les citoyens, d’où qu’ils viennent, où qu’ils vivent : je souhaite défendre l’accès à la langue française dans son entièreté. C’est-à-dire dans toute sa richesse et sa complexité.

C’est le cœur de nos vies, et de vos métiers – je le sais. Ce fut le mien pendant longtemps. C’est une exigence qui ne doit jamais reculer. Je suis là pour la porter aujourd’hui, pour y veiller avec vous. L’accessibilité de la langue se dessine à l’école, par l’enseignement. Mais pas seulement. Elle se dessine aussi dans les espaces dédiés au livre, et dans la politique que nous souhaitons conduire en faveur de la lecture.

C’est l’objet de notre projet pour ouvrir « plus » et « mieux » les bibliothèques. C’est Erik Orsenna qui en est l’ambassadeur. C’est aussi l’objet de notre soutien au réseau de librairies, qui offrent un accès de « proximité » à la richesse de la langue ; qui la portent au cœur des métropoles comme des petits bourgs, et des zones rurales.

La seconde exigence qui doit nous guider, c’est celle de l’ouverture, ensuite. Nous comptons déployer une politique forte en matière de traduction. Parce que la vie de la langue française, c’est aussi celle-ci : celle de la conversion et du dialogue. C’est un vecteur de rayonnement évident pour les livres, pour vos éclairages, pour les idées. Le français est la seconde langue la plus traduite au monde, après l’anglais.

Et nous allons continuer de l’accompagner, en soutenant la formation des traducteurs, en soutenant la cession de droits, en assurant des relais, en vous accompagnant auprès du public étranger. Je souhaiterais par ailleurs accélérer le développement des traductions vers la langue française. Et notamment des textes du bassin méditerranéen. Une grande partie des défis rencontrés par la France y trouvent leur origine. Une grande partie des réponses que nous pourrons y apporter dépendent de notre capacité à en comprendre les ressorts profonds. Et à dialoguer pour les dénouer. Ces traductions sont aussi, pour vous tous, des opportunités ; des champs nouveaux de perspectives. Nous serons là pour les accompagner.

Enfin, nous devons faire vivre la langue française à travers une troisième exigence, qui est une exigence de diversité. Et c’est ici pour la francophonie que je veux avoir un mot. Je rappelle que ce n’est pas la France seule, mais la francophonie qui est à l’honneur de la Foire de Francfort cette année. Elle est l’un des axes forts de la politique internationale que nous souhaitons mener. C’est un sujet sur lequel ce ministère travaille bien sûr en lien étroit avec celui des affaires étrangères et européennes. Nous allons lui donner l’élan politique nécessaire. Vous êtes les premiers ambassadeurs de la langue française. Nous sommes là, plus que jamais, pour vous épauler.

Ce qui se joue, à Francfort, en second lieu c’est l’Europe. Et c’est la seconde responsabilité commune que nous avons à porter. Parce que l’avenir de l’édition française, et plus largement de notre modèle culturel, passe par une Europe forte. Et parce que réciproquement, l’avenir de l’Europe passe par une culture forte.

L’Europe est la solution pour la culture car c’est à cette échelle que nous réussirons à promouvoir nos préférences, face aux géants du numérique. La France n’avancera pas seule.

C’est au niveau européen, de façon collective, que nous devons faire valoir des choix ; que passe le combat pour la défense du droit d’auteur, la répartition équitable de la valeur, la lutte contre le piratage. C’est à cette échelle que se dessine l’avenir de votre secteur. C’est donc à cette échelle que nous vous défendrons.

En marge de la foire de Francfort, j’ai décidé, avec l’appui de mon homologue allemande Monika Grütters, d’organiser une rencontre des ministres européens de la culture : pour poser les jalons d’une Europe refondée par la culture ; pour aborder les sujets que je viens d’évoquer, et construire des positions communes.

Vous pouvez notamment compter sur ma mobilisation, et sur mon intransigeance – pour défendre le droit d’auteur : face aux exceptions que certains cherchent à imposer ; et face à ceux qui veulent en bénéficier sans bourse délier. Comptez sur moi, aussi, pour défendre les principes de régulation économiques que l’on sait déterminants pour le secteur du livre.

En construisant ce modèle culturel commun, par ailleurs, nous ferons avancer l’Europe. Nous relancerons le projet.

C’est l’une des ambitions phares du Président de la République. Et c’est l’un des responsabilités qui me revient.

Car la culture est la solution pour l’Europe. Chacun de nous le sait, désormais : l’Europe politique n’a de sens – et avec elle l’Europe sociale et économique – que si elle est nourrie par la conscience européenne des peuples.  

A nous de restaurer la confiance. A nous de réveiller les enthousiasmes. De nourrir le sens d’un destin partagé. Vous avez ce pouvoir exceptionnel. Vous êtes capable de réveiller l’idée européenne chez celle qui vous lira dans un village italien, chez celui qui vous lira dans la campagne roumaine, ou dans un café polonais. Parce que vous formez les esprits à l’appréciation de la différence, à l’appréhension de l’altérité.

Nancy Huston, qui est présente ce soir parmi nous l’explique parfaitement, dans L’espèce fabulatrice. « Seule de tous les arts, nous dit-elle, la littérature nous permet d’explorer l’intériorité d’autrui. C’est là son apanage souverain, et sa valeur. Inestimable, irremplaçable.  »

Je me mobiliserai, et je mobiliserai nos partenaires, pour que nous vous aidions à bâtir cette Europe de la culture, cette Europe par la culture : en soutenant les industries culturelles, et en y appuyant l’innovation, en développant des programmes de mobilité pour les professionnels – artistes, institutionnels –, ce que nous appellerons « Erasmus de la culture », en renforçant nos programmes de soutien à la traduction au sein de l’Europe, tout particulièrement, et en favorisant, là aussi, la mobilité des traducteurs.

Je me mobiliserai pour soutenir ce que Fernand Braudel appelait « les unités brillantes » qui font l’Europe : celles des arts et de l’esprit. Celles qui, pour le citer, « donnent à la civilisation européenne […] une allure fraternelle, presque uniforme, comme si elle était envahie par une seule et même lumière ».

La France et l’Allemagne peuvent jouer ensemble un rôle moteur dans ce mouvement. Parce que nous partageons des préférences, des priorités ; nous portons les mêmes valeurs.

J’en veux pour exemple l’itinéraire qui est le vôtre ces jours-ci, chère Asli Erdogan. Si je peux me le permettre, compte-tenu des souffrances que vous portez en vous et de ce que vous avez vécu : je tiens à vous dire que vous nous faites un grand plaisir, et un grand honneur, par votre présence ce soir. Vous serez, dès demain, en Allemagne, pour recevoir le prix de la Paix Erich MARIA REMARQUE, pour l’ensemble de votre œuvre. Et la mobilisation de la communauté des auteurs et éditeurs vous accompagne.

La France va renforcer les ponts avec l’Allemagne, sur tous les plans. Et notamment sur le plan culturel. Francfort constitue une occasion unique pour le faire. Je m’y appliquerai, je m’y engagerai.

Voilà, Mesdames et messieurs, Chers amis,

Les quelques mots que je voulais avoir aujourd’hui. Je tiens à saluer celles et ceux qui par leur engagement permettent à cette magnifique manifestation « Francfort en français » d’exister. Et avant toute chose, ma chère Elisabeth Beyer, qui aurait dû être là.

Merci à l’ensemble des institutions qui portent ensemble ce projet : en premier lieu l’Institut français et le comité artistique de « Francfort en français », Paul De Sinety, commissaire général ; l’ambassade de France en Allemagne ; l’Institut français d’Allemagne ; le Bief ; le Centre national du Livre; le Syndicat national de l’Edition; la Bnf, chère Laurence Engel ; l’Organisation Internationale de la Francophonie et toutes leurs équipes. Je me félicite du magnifique pavillon français et je remercie les élèves des écoles de design de Saint-Etienne, pilotée par les deux designers français Denis Coueignoux et Eric Jourdan qui abritera les très nombreuses manifestations tout au long de la foire sur les thèmes hospitalité de la langue française, j’y ai longuement fait référence.

Je remercie tous les partenaires, qui ont accompagné cet événement, sous l’égide de Jean Lemierre – Président du Groupe BNPParibas qui anime le club des partenaires « Francfort en français ». Je salue parmi les entreprises partenaires du club la banque ODDO et la société ALLEO. Mais aussi l’OFAJ, l’UFA, ARTE, TV5 Monde, France média monde et le groupe radiofrance qui font une mobilisation exceptionnelle.

Je remercie la Wallonie Bruxelles ; le  Grand-Duché de Luxembourg et la Suisse qui nous ont accompagnés à l’invitation de la Foire du Livre de Francfort. Je salue aussi l’ensemble des collectivités territoriales mobilisées. Merci enfin au Ministère des affaires étrangères et des Affaires européennes et aux équipes du Ministère de la Culture engagées au quotidien dans ce projet.

Un très grand merci à vous tous présents dans cette salle et qui participez à cette formidable aventure. C’est une grande fierté, pour la France, que d’être invitée d’honneur de cette Foire de Francfort.

Vous êtes, tous et toutes – écrivains, traducteurs, éditeurs – une grande fierté pour notre pays. Je vous remercie. Merci pour votre engagement.

Rendez-vous à Francfort.