Monsieur le président du Conseil général d’Eure-et-Loir, cher Albéric de
Montgolfier,
Monsieur le conseiller général, cher Jean-François Manceau,
Monsieur le maire d’Illiers-Combray, cher Jean-Claude Sédillot,
Monsieur le président de la Société des Amis de Marcel Proust et des
Amis de Combray, cher Claude Contamine,
Madame la secrétaire générale de la Sociétés des Amis de Marcel Proust
et des Amis Combray, chère Mireille Naturel,
Mesdames et Messieurs,
En lançant le label «Maison des Illustres » en septembre dernier, j’ai voulu
mettre en valeur ces demeures où s’incarnent une mémoire, celle des
artistes, des écrivains, des grands scientifiques, des figures politiques qui
participent de notre héritage commun ; ces lieux du quotidien où l’esprit de
l’universel se matérialise, s’incarne, et incite, loin des abstractions
intimidantes, à découvrir ou à redécouvrir une oeuvre, ou ce qui fit notre
histoire.
C’est une mise en abyme bien singulière qui nous réunit aujourd’hui :
inaugurer une plaque des « Maisons des illustres » sur le lieu de vacances
de l’écrivain qui, par excellence, aura fait de la remémoration l’objet de son
écriture.
Dans sa correspondance, Proust écrit que « le dernier chapitre du dernier
volume [de la Recherche] a été écrit tout de suite après le premier chapitre
du premier volume, que « ‘le Temps retrouvé’ succède immédiatement à
l’écriture de ‘Combray’ (…)Tout l’‘entre-deux’ a été écrit ensuite ». Exagération de l’auteur qui s’abuse
lui-même afin de préserver intacte la mythologie d’un plan de roman
savamment élaboré ?
Délit d’omission volontaire de ce qui justement rend son oeuvre si
immense : le caractère aléatoire et involontaire du souvenir ? Peu importe
finalement, car ce qui compte en vérité, c’est que c’est bien la
réminiscence de Combray qui engage le processus d’écriture de cette
« cathédrale du Temps », comme l’appelle Jean-Yves Tadié, de ce
« monument de papier » contre l’usure du temps et l’oubli, pour reprendre
les mots de Du Bellay à propos de ses Regrets.
La maison de Tante Léonie, en réalité celle de Jules et Elisabeth Amiot,
oncle et tante paternels de Marcel Proust, connue pour son jardin fleuri, sa
façade à colombages puis en mosaïques, sa cuisine pittoresque, ses
chambres, présente au visiteur une identité complexe et flottante, entre
l’autobiographie et la fiction, les souvenirs de l’écrivain, la mémoire
personnelle et la mémoire collective de notre patrimoine littéraire. La
maison d’une madeleine dans ‘Combray’, la maison d’une sonnette aussi,
dans Le Temps retrouvé : « Alors en pensant à tous les évènements qui se
plaçaient forcément entre l’instant où je les avais entendus et la matinée
Guermantes, je fus effrayé de penser que c’était bien cette sonnette qui
tintait encore en moi […] Pour tâcher de l’entendre de plus près, c’est en
moi-même que j’étais obligé de descendre. » [Le Temps retrouvé] - la
sonnette du départ de Swann et de l’arrivée de « maman » pour le baiser
du soir. Les heures de l’enfance ouvrent et ferment La recherche depuis
cette maison, dont le souvenir de cette sonnette lui « avait donné à la fois
l’idée de mon oeuvre et la crainte de ne pouvoir la réaliser […] la forme que
j’avais pressentie autrefois dans l’église de Combray, et qui reste
habituellement invisible, celle du Temps. »
Je vous remercie.