Simon Boudvin décline l'existence des objets de la vie quotidienne en différents lieux. L'artiste invite le visiteur à découvrir quatre études (des façades d’immeubles, un tabouret, un verre et une voiture) situées dans quatre territoires différents (Hanoi, Saint-Imier, Rome, Flins) et réparties dans les trois salles du Crédac et dans le Crédakino (soutenu par la DRAC Île-de-France).
D’entrée de jeu, lieu, dates et un objet sont communiqués dans chacun des titres de ses œuvres. Les éléments permettent alors de reconstituer le quoi, le où et le quand de l’enquête menée par l’artiste souvent sur plusieurs années, mais cette restitution révèle aussi les prémices de son processus de création.
Les recherches de Simon Boudvin s’inscrivent dans une temporalité lente, plus proche du travail de l’archéologue ou du géologue, car l’observation méticuleuse ou l’enregistrement des différents relevés auxquels l’artiste procède ne peuvent être pressés.
Le mot grain, qu'il est possible d'associer à la photo, au papier ou à la peau, est à comprendre comme l’un de ses plus petits éléments : une association de parties composant le tout. Le grain, pour ces différents objets précédemment cités, est également ce qui vient marquer la texture dans ce qui est lisse, ce qui crée la forme ou la matière. Dans une langue parlée, cela reviendrait alors à se référer au mot, décliné et articulé dans une grammaire. Dans un lieu, cela nous mènerait à étudier et à interroger la typologie des objets inanimés ou organiques qui nous entourent, et qui "parlent" autant de nous, de notre histoire, que de leur propre apparition ou façonnement, et de leur usage.
Grilles (Hanoi), 2016 / Impression sur papier
L’artiste a photographié et répertorié les façades et grilles d’immeubles ornées de formes géométriques simples du quartier populaire de Bách Ðang, à l’est de la ville d’Hanoï. Ces relevés photographiques ont été simplifiés et retranscrits sous la forme d’impressions de motifs graphiques sur papier.
Simon Boudvin, Grilles (Hanoi) 2016 Impressions sur papier © et courtesy de l’artiste
Les cercles, carrés et losanges, extraits pourtant d’un environnement réel marqué par la précarité des constructions hâtives en zone inondable en Vietnam, constituent un langage élémentaire dont les diverses combinaisons rappellent les expérimentations des artistes minimalistes des années 1960. Ces variations géométriques constituent pour chaque immeuble des versions uniques d’un même type de décor urbain.
Duralex (San Calisto), 2021 Photogrammes d’un verre
Lors de sa résidence à la Villa Médicis, en 2021, Simon Boudvin s’est rendu au bar de San Calisto dans le Trastevere. Dans ce quartier de Rome, réputé par sa vie nocturne, San Calisto est depuis plus de cinquante ans l’un des bars les plus populaires, fréquenté aussi bien par les habitants et habitués du quartier que par les étudiant·e·s, et touristes du monde entier. San Calisto est un lieu incontournable de la vie romaine, où les cafés et glaces peu chers sont servis dans le même type de verre Duralex. Créée en 1927, dans la banlieue orléanaise à La Chapelle-Saint-Mesmin, cette marque française tout aussi populaire s’est fait connaître pour la fabrication de vaisselle en verre trempé, particulièrement résistante et peu onéreuse. Les modèles de verres Gigogne et Picardie ont marqué des générations entières qui se sont amusées à la cantine à "comparer leur âge" (en lisant, au fond du verre, le numéro d’empreinte d’un des quarante-huit moules servant à la production). Lieu et objet de convergence des habitudes qui deviennent souvenirs, le bar San Calisto et le verre Duralex se font ainsi écho.
Simon Boudvin, Duralex (San Calisto, Rome), 2021 Série de photogrammes © et courtesy de l’artiste
Pour Grain, Simon Bouvin présente une série de photogrammes d’un même verre Duralex en provenance de l’iconique bar romain. Ce procédé simple et d’économie minimale dans la photo qui consiste à obtenir une image photographique d’un objet en le posant directement sur un papier photosensible et en l’exposant à la lumière documente les contours d’un objet extrait du quotidien marqué par l’usage des clients romains. Le choix de ce seul et même verre dont l’empreinte est enregistrée à chaque fois de la même manière et dont le résultat photographique est pourtant différent, rappelle l’expérience phénoménologique vécue dans ce café : une même expérience à une même adresse, pourtant sans cesse renouvelée et singulière.
Bote-tchu & Sèllatte (le Vallon), 2022 ensemble de tabourets et livres
Simon Boudvin remarque la présence d’un même type de tabouret dans les œuvres des peintres flamands Pieter Brueghel, père et fils. Le tabouret dit "botte-cul" est un tabouret monopode particulièrement utile lors de la traite des vaches dans les régions alpines comme le Jura bernois. Pour s’en servir, l’usager assure l’assise autour de ses hanches et peut donc se déplacer de vache en vache les mains libres, pouvant s’asseoir facilement sur le sol souvent irrégulier des étables.
SSimon Boudvin est alors amené à s’intéresser au bote-chu jurassien et à photographier l’usage quotidien de ce mobilier paysan à Saint-Imier, berceau de la Fédération jurassienne et de l’anarchisme suisse.
Simon Boudvin, Bote-tchu & Sèllatte (le Vallon), 2022 Ensemble de tabourets et livres Images de travail, © et courtesy de l’artiste
Ce tabouret - puisqu’il intègre une assise ronde et un seul pied - marque le début d’une répertorisation typologique des tabourets. Ainsi, l’artiste documente également l’utilisation d’autres types de tabourets dans le Vallon, utilisés particulièrement dans l’industrie horlogère ayant fortement marqué la région.
La recherche de Simon Boudvin prend comme souvent une forme éditoriale, et s’accompagne d’un travail avec les graphistes Charles Mazé et Coline Sunier afin de mettre en place un tableau combinant autant de variations potentielles de tabourets que possible : assise ronde, en demi-cercle, carrée, triangulaire ; un pied, deux pieds, trois ou quatre , etc. Cette édition, Bote-tchu & Sèllatte, est mise à disposition dans les salles d’exposition du Crédac au même titre que des modèles échelle 1 de différentes variations de tabourets où le spectateur est invité à s'asseoir. Peints d’une même couleur rose chair afin d’homogénéiser les matériaux utilisés pour leur construction, ces objets usuels rejoindront après l’exposition, les ateliers du collectif bermuda à Sergy, dans le pied du Jura.
Bote-tchu & Sèllatte (le Vallon), 2022 ed. ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ (Charles Mazé et Coline Sunier). Images extraites de l’édition. © et courtesy Simon Boudvin
Ce jeu sériel autour de variations combinatoires n’est pas sans rappeler la série Incomplète Open Cubes de Sol LeWitt (1974) pour laquelle l’artiste se demande combien d’éléments sont nécessaires pour reconstituer visuellement un cube. Le nombre d’arêtes des propositions varie entre trois et onze, proposant ainsi au spectateur des dizaines de formes uniques d’imaginer un cube.
Twingo (Flins), 2022 Automobile en pièces
En 1993, le constructeur automobile Renault lance un nouveau modèle économique, compacte et à destination des citadin·e·s. La Twingo I, née à l’usine de Flins, connaît un succès immédiat et se commercialise en quatre couleurs (jaune indien, rouge corail, bleu outremer, vert coriandre) à 2,6 millions d’exemplaires dans le monde.
Malgré sa petite taille (340 cm de longueur), grâce à son moteur relativement puissant (il s’agit des moteurs cléo 8, utilisés pour la Renault 8 depuis 1962), sa forte adaptabilité, son nom amusant (contraction de Twist, Swing et Tango) et ses innovations nombreuses (intérieur coloré, sièges complètement inclinables ou rétractables), le constructeur produit une voiture adaptée à tout type d’usager. Le slogan de vente "à vous d’inventer la vie qui va avec" semble parfaitement approprié : la voiture monospace est modulable à souhait. Cette voiture, devenue iconique, part aujourd’hui à la casse.
Simon Boudvin, Twingo (Flins), 2022 Automobile en pieces. Images de travail, © et courtesy Simon Boudvin
Dans les trois salles d’exposition du Crédac, Simon Boudvin rend en quelque sorte un dernier hommage à ce standard de la culture française. L’artiste présente différents éléments d’une Twingo ivryenne première génération mise en pièce : un rétroviseur, un pare-chocs, un moteur, qui accèdent ainsi au statut de sculpture ready-made.
Né en 1979 au Mans. Simon Boudvin vit et travaille à Bagnolet. Son travail est attentif aux mutations des territoires qu’il parcourt, procédant à leur relevé détaillé, leur reconstitution, leur description ou leur photographie.
Le SHED, Centre d’art contemporain de Normandie et le Frac Normandie à Caen lui consacrent une exposition personnelle en 2019 ; le Centre d’art contemporain Les Capucins à Embrun en 2018. Il fait partie des artistes sélectionnés par Claire Le Restif pour le Prix Fondation Pernod Ricard en 2019.
Simon Boudvin est résident au Crédac pour l’année 2019 – 2020 dans le cadre du "programme régional de résidences d’artistes" de la Région Île-de-France et avec le soutien de la Ville d’Ivry-sur-Seine. Il s’agit de la première résidence de recherche à la Manufacture des Œillets pour une durée de 10 mois. Depuis son atelier, l’artiste engage un travail photographique sur la ville, croisant son intérêt pour l’architecture et l’écologie urbaine.
Débutée en novembre 2019, sa résidence prend la forme d’une enquête photographique complétée par un travail cartographique dans les cités de l’Office Public de l’Habitat (OPH) d’Ivry, leurs espaces de rencontres, de convivialités, d’associations, entre les cellules domestiques et l’espace public. Son travail s’appuie sur des rencontres avec les acteurs du territoire et des explorations, sur place et dans les plans, pour dénicher et représenter ces espaces.
Simon Boudvin est par la suite, résident à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis à Rome en 2020–2021.
Rencontre avec Tony Côme / Simon Boudvin
Rencontre avec Tony Côme (docteur en histoire de l’art, professeur agrégé d’arts appliqués, spécialiste en histoire de l’architecture et du design) qui apportera une nouvelle lecture de l’œuvre de Simon Boudvin. (30 janvier 2022 à 16h) Réservation
Rencontre Fabienne Lauret / Simon Boudvin
Rencontre avec Fabienne Lauret, syndicaliste, ex-employée chez Renault-Flins et auteure de L’envers de Flins. une féministe révolutionnaire à l’atelier (ed. Syllepse, Paris, 2018), (13 février 2022 à 16h) Rés ervation
Médiathèque d’Ivry. Simon Boudvin parlera de son univers artistique par le prisme de ses inspirations littéraires, cinématographiques et par le biais des éditions qu’il a réalisées. Salle de presse de la Médiathèque : 152 Avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine (Entrée libre) (mardi 15 février, 19h )
Discussion entre Claire Le Restif et Simon Boudvin sur les collaborations artistiques qui ont marqué ces dernières années la pratique de l’artiste (samedi 19 mars, 16h)
Partager la page