Historique
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Lorsqu'il peint cette toile, Torres-Garcia est depuis près de deux ans à Paris. Très imprégné par l'univers urbain - il a vécu à Barcelone et a séjourné deux ans à New York - , l'artiste est aussi en quête d'un âge d'or, qu'il chercha dans un néo-classicisme dans les années vingt, et à partir de 1929, dans un primitivisme dans lequel une grille constructive serrée est animée de pictogrammes. Largement figuratif, "Le Port" se situe donc à un moment charnière, dans laquelle les motifs sont en voie de dépouillement (vers le statut de signes), pour faire place au jeu essentiel des lignes verticales et horizontales. Ce sens architectural et constructif nouveau se développe au contact des avant-gardes : "il se produit une dissociation entre le dessin et la couleur qui sont comme séparés dans le temps, la couleur et la ligne, mais non dans la représentation" (J. Torrès-Garcia, "Histoire de ma vie"). ; Peintre espagnol d'origine uruguayenne, Joaquim Torres-Garcia (1874-1949), après une formation néo-classique nourrie de l'art de Puvis de Chavannes, s'oriente vers l'abstraction géométrique au contact des avant-gardes parisiennes. En 1930, il fonde avec l'écrivain Michel Seuphor et Théo van Doesburg, rencontré deux ans plus tôt, le groupe Cercle et Carré et la revue du même nom. Sa rencontre, la même année, avec Mondrian et ses amis néo-plasticiens l'incite à développer un constructivisme synthétique à mi-chemin entre l'abstraction pure et le primitivisme de l'art précolombien. Rompant rapidement avec le groupe Cercle et Carré, l'artiste prône la création d'un " ordre " au sein duquel émotion, instinct et raisonnement s'équilibrent pour donner naissance à la " structure " et à la " construction universelle " que le peintre traduit par un langage riche en signes et en symboles, à l'image d'un Paul Klee. Peint pendant son séjour parisien (1926-1932) qui constitua une étape déterminante dans sa carrière, ce tableau est caractéristique des nouvelles orientations de Torres-Garcia qui, à partir de 1928, s'affranchit progressivement de l'archaïsme sud-américain de ses débuts pour peindre des paysages abstraits dans un style déjà constructiviste. L'acquisition de cette peinture qui coïncide avec l'une des périodes les plus novatrices de l'artiste s'intégre judicieusement à la collection constituée par Pierre Granville autour de l'Ecole de Paris, dans la mesure où Torres-Garcia tenta, comme Nicolas de Staël quelques années plus tard, de concilier figuration et abstraction, et influença fortement le travail de Vieira da Silva, grande admiratrice du peintre uruguayen. (Sophie Barthélémy, avril 2004)
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