2003
~ Sciences et techniques ~
> programme des manifestations Du moins pour ce qui concerne sa gloire, François Viète a eu le mal-heur dêtre étiqueté «vendéen ». Dans la représentation française ordinaire, un intellectuel de haut rang peut-il en effet provenir de ces régions enclavées de lOuest où lon osa défier la République une et indivisible ? Et comme de plus il fréquenta des cercles protestants restés fidèles au pouvoir royal, et reconnut la vertu apaisante du grand geste de lÉdit de Nantes, il nest pas bien perçu par ceux qui mettent la Vendée en exemple type des persécutions étatiques. Rappeler quil est né àFontenay-le-Comte, dépendant alors de la province du Poitou, et quil fut une figure exemplaire de lhumanisme à la Renaissance, ne touche vraiment que les érudits. Et tout effort de mémoire est vain si lon rappelle que Viète fut mathématicien, car lintelligentsia française, du moins celle dun certain âge, a une revanche à prendre sur les mathématiques du lycée, mathématiques qui la rappellent toujours à la modestie. La phrase : « je nai jamais été bon en mathématiques », nest-elle pas un passeport délégance médiatique ? Le génie mathématique a rarement été en France un gage de célébrité. Cest aussi bien le hasard dun défi lancé par lambassadeur espagnol qui fit repérer Viète comme mathématicien à la cour dHenri IV. Au moins cest à Rome que son déchiffrement du code secret espagnol lui valut le soupçon de pratiquer la magie, et Viète trouva la bonne réponse en expliquant sa méthode par écrit en 1590. Mais les mathématiciens eux-mêmes nont pas attribué le nom de Viète à un théorème. Pourquoi ? Parce que loeuvre de Viète, la plus forte au XVIe siècle, a tellement fécondé les mathématiques quelle sy est perdue. À la façon dont le papillon fait oublier la chrysalide. Si avare de se trouver des devanciers, Descartes avouait pourtant quil était parti des mathématiques auxquelles Viète était arrivé. Les textes de Viète, publiés à compte dauteur, et par un homme qui ne fut jamais professeur dans une université,sarrachaient encore chez les spécia-listes au milieu du XVIIe siècle. Comment le caractériser en quelques mots ? Peut-être en faisant valoir sa capacité à faire de la manipulation de la langue algébrique un raisonnement, maintenant par cette langue toujours visible lobjet du calcul. Est symbolique de ce fait que dans lécriture de tout problème géométrique, Viète distingua les quantités inconnues des quantités constantes par lusage opposé des voyelles et des consonnes. Viète nincarne-t-il pas magnifiquement lesprit de la Renaissance, et son rapport au savoir antique qui fonde les Modernes, en écrivant : « lArt que je produis aujourdhui est un art nouveau, ou du moins tellement dégradé par le temps que jai cru nécessaire de lui donner une forme entièrement neuve ». Il écrivait en latin, langue de lessentiel de son uvre, et cest sans doute une raison encore du faible renom de Viète en France. Pensons que ses oeuvres nont pas encore été rassemblées en une publication critique ! Nest-il pas grand temps de le faire ? Jean Dhombres Portrait du XIXe siècle, Holzstich, 1848, pour le Magasin pittoresque © AKG Paris - Sommaire
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