Célébrations nationales 2003 2003

Préface


Célébrations nationales 2003
explosion du souvenir et pédagogie civique


L ’année 2002, l’année Victor Hugo, a été une grande année de célébration, mais aussi, pour notre « Haut Comité », une occasion de réflexion. Nous (le Comité) avons donné au poète une place honorable, mais nous avons été pour bien peu de chose dans le succès considérable que son souvenir a rencontré. À quoi a tenu ce succès ?À deux ordres de réalité, me semble-t-il (je passe ici à la première personne du singulier, car cette préface, dont on a bien voulu me confier à mon tour la rédaction, n’engage que moi-même).

Succès, donc, grâce à l’élan spontané de grandes institutions et collec-tivités concernées par la littérature, universités, sociétés académiques et littéraires, théâtre, cinéma, édition, et aussi grâce à la décision du gouvernement - celui de M. Jospin, faut-il le rappeler ? - de susciter un large et puissant comité national « Victor Hugo », que présida M. Bertrand Poirot-Delpech. Un choix politique, donc, par son origine.

Cette distinction, ici évidente, entre le souvenir objectif sagement évo-qué et mesuré par notre petit Comité, et le volontarisme d’en haut, m’en a rappelé un autre, plus discret, mais encore plus net, dans lequel j’avais été partie prenante en 1997-1998.

Il s’agissait alors du cent cinquantenaire de l’année 1848. J’avais été chargé,en spécialiste patenté,de rédiger pour l’édition 1998 le tableau complet de cette mémorable année de crises et d’expériences politiques - ce que je fis - à quoi vint se juxtaposer, décidée à un plus haut niveau, une étude sensiblement plus longue consacrée à la seule abolition de l’esclavage.

Cependant que, hors Comité, cette mise hors de pair du souvenir de la libération des esclaves des Antilles était spectaculairement confirmée par diver-ses initiatives publiques, dont la très solennelle apposition dans le Panthéon de plaques évoquant Toussaint Louverture et Louis Delgrès.

Sélection sympathique, sélection heureuse (à mon opinion du moins), mais sélection tout de même d’un souvenir réputé suprêmement civique, au milieu d’autres plus confus.

En généralisant les réflexions issues de ces deux expériences, on pour-rait, à la limite, se demander si le (vraiment) « Haut » Comité des célébrations (vraiment) « nationales » n’est pas le gouvernement ¢et si notre propre Comité n’est pas chargé seulement de veiller, en ratissant large, comme on dit, à ce qu’aucun anniversaire de quelque importance ne soit oublié de l’éventuel lecteur, curieux de ce qui s’est passé il y a 50, 100, 150, 200... 300... ou 1000 ans, et qui feuillette notre brochure à cette fin.

Car nous ratissons large. Nous avons parmi nous des spécialistes de toutes les périodes de l’histoire, mais aussi de tous les domaines passés, (politique, mais aussi littérature, art, sciences et techniques), et le jeu de ces deux diversités fait qu’il y a parmi nous - sans que l’on ait spécialement cherché à l’obtenir - une troisième diversité, celle de nos tendances. Nous veillons donc à ne rien oublier, nous nous mettons à peu près d’accord pour écarter ce qui est trop évidemment incertain, trop futile, ou trop provincial, mais nous ne le sommes pas et ne pouvons pas l’être, sur les jugements de valeur à porter, sur l’exemplarité àdécerner, à tel ou tel grand homme ou à telle ou telle institution.

Notre Comité, à cet égard, est bien au centre de deux réflexions possibles. L’ambition de pédagogie civique des gouvernements de notre temps fait assez bien penser en effet à l’État culturel naguère identifié par l’un d’entre nous, tandis que la diversité des « mémoires » évoque irrésistiblement, chez un autre auteur, celle des lieux de mémoire, où ce n’est pas seulement le mot lieu qui mérite le pluriel mais aussi les réalités et les catégories considérées.

On me fera l’honneur de croire que je ne fais pas ces allusions à des oeuvres déjà classiques pour le seul plaisir de donner un coup de chapeau à deux collègues et amis qui sont aussi parmi les membres les plus éminents du Comité. Le fait est qu’il existe d’un côté un problème de la pédagogie civique et, de l’autre, un problème de l’explosion du souvenir national en mémoires diverses, parfois antagonistes, et toutes tolérées. Et que cette dualité correspond vague-ment à la dualité institutionnelle évoquée tout à l’heure.

Cette situation empiriquement constituée, je dirais même constatée, plutôt que décidée en clair, doit-elle changer ? Si le Haut Comité des Célébrations nationales devait mériter son titre, « haut », « national », et devait recevoir pour tâche de sélectionner les célébrations tendant à l’engagement européen et à la culture de la « citoyenneté », alors devraient grandir et sa responsabilité et son audience.

À la limite il deviendrait, dans l’ordre de la pédagogie civique, une sorte d’équivalent de ce qu’est le Conseil Constitutionnel dans l’ordre du droit.

La réflexion est à poursuivre.

Maurice Agulhon
professeur au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales


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