Portrait d'Anne de Tubières, comte de Caylus
cliché Bibliothèque nationale de France
Grand seigneur, officier des armées du roi, voyageur au Levant, graveur,
amateur d'art, mécène, antiquaire et auteur de " romans populaires "
voici quelques-uns des états d'un homme qui a laissé une œuvre considérable
mais dont la réputation, si on la compare à celle de ses contemporains
comme Scipione Maffei ou Johann Joachim Winckelmann laisse injustement
à désirer. Anne de Tubières, comte de Caylus (1692-1765), est pourtant
l'un des esprits les plus originaux de la culture des Lumières mais
sa mémoire a été rapidement négligée.
L'œuvre majeure de Caylus consiste dans son Recueil
d'antiquités égyptiennes, grecques, étrusques et romaines (1)
paru entre 1752 et 1767 en sept volumes. Si le recueil reste un outil
de référence pour des générations d'antiquaires, sa forme même, une
série de notices qui traitent de divers objets et monuments selon l'ordre
chronologique de leur acquisition, ne pouvait guère prétendre toucher
un vaste public.
Cependant, au moment précis où Caylus atteint à la notoriété, Winckelmann
publie son Histoire de l'art de l'antiquité
(1764), un ouvrage dont le style, la langue et le contenu allaient connaître
un succès foudroyant relayé par l'accueil que lui réservèrent des hommes
comme Herder et Goethe. Caylus est avant tout un antiquaire qui a l'expérience
concrète des arts du fait de son rôle de connaisseur et de sa passion
pour la gravure.
Le Recueil d'antiquités n'est
pas un catalogue de collection comme ceux de ses prédécesseurs ou une
encyclopédie thématique comme les volumes de L'Antiquité
expliquée du père de Montfaucon. Il s'agit d'une sorte de chronique
précise des découvertes réunies par l'auteur en fonction de leur contexte.
Caylus fait de sa collection un laboratoire : " Je me suis borné à ne
publier dans ce recueil que les monuments qui m'appartiennent ou qui
m'ont appartenu. Je les ai fait dessiner avec la plus grande exactitude
et j'ose dire que les descriptions ne sont pas moins fidèles " (2).
Le projet, en rupture avec Montfaucon, est de mettre au point une technique
descriptive qui rende compte parfaitement de la texture et de la technique
de l'objet ou du monument étudié. Caylus se distingue de ceux qui privilégient
l'image au détriment de la matérialité. Il récuse aussi le lien si direct
établi par les antiquaires entre la tradition textuelle et l'objet.
Les vestiges matériels relèvent d'une analyse qui leur est propre :
" (les antiquaires) ne les ont regardés que comme le supplément et les
preuves de l'histoire " (3).
Le recueil tente de transformer le supplément en un corps,
les preuves en un discours raisonné et démontrable. En somme, le projet
de Caylus consiste à porter jusqu'à ses fins ultimes le principe de
la preuve par les monuments. Caylus n'a pas le culte " des beaux Apollons
" ; il cherche à percer dans chaque débris du passé son lieu et sa date
de fabrication.
D'autres avant lui s'y étaient essayés mais nul n'avait posé avec tant
de rigueur la loi du déterminisme culturel et les moyens nécessaires
à son étude. Caylus entend faire de l'antiquaire une sorte de " physicien
" à l'image de Réaumur. Dans cet effort technique et théorique pour
poser les conditions d'une étude rationnelle des objets, il fonde les
règles de la méthode typologique. Jusque-là, les antiquaires s'étaient
limités à la confrontation de la tradition textuelle avec les vestiges
matériels.
Caylus est le premier à plaider pour l'émancipation des
vestiges et leur constitution en un ensemble cohérent de données justiciables
d'une analyse autonome. Il met en valeur le double principe de distinction
culturelle et d'évolution qui est le cœur de la méthode typologique.
L'œil de l'antiquaire est apte à reconnaître les infimes détails qui
permettent de donner à l'objet ou au monument un état-civil, une origine
et un usage.
Et cette méthode est universelle, elle s'applique aussi bien aux objets
grecs, romains, égyptiens qu'à ceux qui nous viennent des civilisations
les plus diverses ou les plus éloignées. La loi de Caylus est l'équivalent
de " l'uniformitarisme " en géologie, elle permet d'intégrer toutes
les données archéologiques quelles qu'elles soient dans un même modèle
d'interprétation. À cette hypothèse, Caylus ajoute un moyen de validation
original : le principe de distinction culturelle est prédictif. L'antiquaire
peut recourir à la fouille pour valider sa typologie et s'assurer de
la cohérence de ses observations.
L'avertissement du Recueil d'antiquités
est ainsi le manifeste d'une nouvelle discipline qui s'appellera bientôt
" l'archéologie ", mais Caylus est en quelque sorte trop en avance sur
son siècle. Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour
que ses idées soient pleinement mises en œuvre ; par une ironie de l'histoire
des sciences, il sera alors bien oublié.
1 - Les " antiquités gauloises " n'apparaîtront
qu'avec le tome III en 1759.
2 - Caylus 1752, Avertissement, II.
3 - ibidem.
Alain Schnapp
professeur à l'université de Paris I,
président de l'Association de préfiguration de l'Institut national d'histoire
de l'art
et Irène Aghion
conservateur en chef au département des monnaies,
médailles et antiques
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