Aujourd’hui, l’Intelligence Artificielle (IA) est devenue un incontournable de l’éducation aux médias et à l’information. Elle ouvre aussi de formidables possibilités à la transmission des savoirs sous toutes ses formes. Dans le cadre du Printemps de l’esprit critique, l’édition 2024 des Rencontres Culture Numérique, une initiative de la délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle au ministère de la Culture, est revenue sur plusieurs acteurs du secteur qui se sont emparés de l’IA pour lancer des actions d’acculturation.
Redonner une profondeur historique à l’IA
À Toulouse, le Quai des Savoirs, un centre culturel qui s’intéresse à la science et à la société, accueille jusqu’au 3 novembre « Double Je ». Cette exposition, qui propose une présentation très complète de l’IA, revient notamment sur une dimension méconnue : son histoire. « Nous avons voulu redonner de la profondeur historique à l’IA, terme qui date… des années 1950. Il nous a paru important de la repositionner dans son contexte pour comprendre ses enjeux, s’approprier les ressorts de cette technologie, et montrer que ce qui se passe aujourd’hui n’est pas totalement inédit », explique Laurent Chicoineau, directeur du Quai des savoirs. Une présentation qui remet en cause bien des idées reçues.
« Double Je », c’est aussi une exploration de l’IA vue à travers le prisme d’installations artistiques. Et là aussi, le regard des artistes apporte un décalage, un pas de côté, parfois disruptif, souvent pertinent, toujours intéressant comme Google Maps Hacks, une installation de l’artiste Simon Weckert composée d'une charrette contenant 99 smartphones portée par un individu dans les rues de Berlin. Cette concentration de téléphones va ainsi tromper les algorithmes de Google Maps qui va l'interpréter comme un embouteillage géant. L’outil croit que les rues sont impraticables alors qu’elles sont totalement vides… « Ces installations sont là pour amuser, s’interroger et se poser des questions sur les dangers, les limites et les espoirs liés à l’IA », poursuit le directeur.
Enfin, un aspect ludique complète l’exposition : jeux, quizz, podcasts, un cycle « IA et cinéma » avec la Cinémathèque de Toulouse et même… un « Tribunal de l’IA » monté avec le Barreau de Toulouse dans lequel juges, procureurs, avocats, experts et témoins se succèdent pour argumenter et débattre, accuser et défendre l'intelligence artificielle pour un lien ludique avec le droit.
IA, extension du champ des possibles pour les personnes en situation de handicap
À Poitiers, l’espace Mendès-France, qui existe depuis plus de quarante ans, s’est donné pour mission de suivre de près les évolutions technologiques dans le domaine du numérique. Difficile, donc, de passer à côté de l’IA. « Nous avons mis en place des ateliers pour débuter sur ChatGPT ou créer son site web en utilisant l’IA. Il y a une vraie demande concernant l’IA, constate Patrick Treguer, responsable de l’espace Mendès-France. Et nous avons observé que cette demande n’émanait pas seulement des plus jeunes, bien contraire : les seniors sont, eux aussi, particulièrement intéressés par ce sujet. On est face à un véritable phénomène transgénérationnel. »
Un phénomène qui touche tous les âges, donc, mais aussi des publics spécifiques, comme les personnes en situation de handicap. Pour cela, l’espace Mendès-France s’est associé avec l’hôpital Laborit de Poitiers et de deux de ses structures : la maison de réhabilitation psychosociale, qui accueille des jeunes de 18 à 35 ans avec des symptômes psychiques préoccupants, et la résidence Mosaïque dans les Charentes pour les adultes en situation de polyhandicap. Il leur propose notamment une lutherie numérique destinée à créer des instruments de musique utilisant les potentialités du numérique adaptés aux capacités cognitives des participants. « L’objectif est de favoriser l’expression de personnes en situation de fragilité. Avoir une expression musicale, audiovisuelle et graphique sont des éléments déclencheurs pour aller plus loin », estime Patrick Treguer.
Expérimenter avec l’IA
L’association Fréquence Écoles, basée à Lyon, a mené plusieurs projets, dont le dénominateur commun est d’expérimenter l’IA. Tout d’abord une campagne d’affichage dont le design a été créé par une intelligence artificielle. Un exercice dont le bilan s’est avéré mitigé. « D’abord, parce qu’il a fallu faire appel à plusieurs IA, et que cette technologie ne nous a pas vraiment permis de gagner du temps. Enfin, le résultat était loin de celui qu’on aurait obtenu si l’on avait travaillé avec un humain », résume Dorie Bruyas, directrice de Fréquence Écoles. Ces enseignements ont permis d’entamer une deuxième phase d’expérimentation l’an dernier avec des ateliers tournés vers les professionnels.
Autre projet : l’association propose gratuitement des activités adaptées sur Datalireladata, une plateforme pour apprendre aux jeunes à être acteurs et actrices du monde des données, lancée par Fréquence écoles dans le cadre de l’appel à projet du ministère de la Culture « Actions d’éducation aux médias et à l’information » en 2021. « Le monde se transforme avec un public précaire fragilisé vis-à-vis de la transformation numérique. Le développement des compétences numériques est une réponse à une urgence sociale et d’égalité dans notre pays », estime Dorie Bruyas.
IA, un modèle au service de l’éducation
Dans le domaine éducatif, Class’Code, installée à Nantes, propose de produire des ressources libres grâce à un réseau de structures qui fait travailler ensemble des publics très différents comme des philosophes ou des éducateurs scolaires. L’IA fait évidemment partie des sujets abordés par l’association, qui intervient dans les établissements scolaires notamment avec les Intrépides de la tech. Des séquences spécifiques dédiées à l’IA à destination des jeunes filles complètent ces séances d’information. Dans le prolongement de ces actions, la Chaire Unesco RELIA intervient, toujours à Nantes, sur l’éducation et l’intelligence artificielle avec des projets à la fois nationaux et européens qui associent ressources éducatives libres et intelligence artificielle. « L’IA a un impact fort sur ces ressources et on a besoin de les identifier. Il existe plus de 500 000 modèles d’IA, dont certains répondent à des ambitions très spécifiques », note Bastien Masse, directeur général de Class’Code et chef de projet Chaire Unesco RELIA.
Toujours dans le domaine de la transmission des savoirs, l’association Savoir Devenir, qui œuvre dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information met à disposition « Désinfoxez-vous », une série de quatre cours en ligne pour comprendre et combattre les infox. De plus, l’association a élaboré une synthèse et des propositions de dispositifs pédagogiques autour de l’IA. « C’est comme un papillon à quatre ailes, résume Divina Frau Meigs, présidente de Savoir Devenir. Les compétences, les connaissances, les aptitudes et les valeurs pour prendre de décisions, démocratiques. Sans l’une de ces quatre ailes, le papillon ne peut pas voler. »
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