Chère Maryse Hoair,
Si un mot devait résumer votre parcours, c’est le mot de continuité et de
fidélité. Bibliothécaire de formation, vous avez accompagné l’émergence
d’un nouveau service déconcentré de l’Etat dès la création de la DRAC de
la Réunion en 1982. Vous avez connu les temps héroïques, ceux des
balbutiements, alors que ce service de l’Etat ne s’était pas encore affirmé
comme un interlocuteur des opérateurs culturels et des artistes
réunionnais. Que de chemin parcouru depuis lors ! Dans cette aventure de
30 années, vous êtes allé par « sauts et gambades » pour reprendre la
jolie expression de Montaigne dans Les Essais, manifestant votre
disponibilité et votre engagement sur des sujets extrêmement variés, de la
rédaction des arrêtés de protection des monuments historiques à la
communication, de la formation des agents à la gestion des personnels. A
toutes les étapes du développement de la Direction régionale des affaires
culturelles, vous avez fait montre d’abnégation et d’esprit de responsabilité
et vous avez témoigné de votre sens du service public.
Après le terrible incendie qui a détruit la quasi-totalité des locaux de la
DRAC en janvier 1999, vous avez assumé, dans un contexte difficile, la
responsabilité des services financiers, reconstituant dans les meilleurs
délais les archives des affaires générales et la comptabilité. On oublie trop
souvent que les carrières publiques doivent s’inscrire dans une continuité
et dans une mémoire de l’Etat, que vous avez su incarner dans vos
fonctions, avec rigueur, discrétion mais aussi diplomatie. Devenue
Secrétaire générale de la DRAC, vous avez mis à profit votre expérience et
vos qualités au service de l’adaptation et de la modernisation des missions
de l’Etat, notamment dans les territoires ultramarins. J’en ai fait une priorité
de mon action, en dégageant des crédits supplémentaires à hauteur de 7
millions d’euros pour l’année 2010, qui sont reconduits pour l’exercice
2011. Je suis certain que le nouveau Directeur régional des affaires
culturelles de la Réunion, M. Marc Nouschi, bénéficiera auprès de vous
d’une collaboratrice expérimentée, dotée d’une très bonne connaissance
de l’institution qui saura inscrire l’action volontariste de l’Etat dans le
quotidien des acteurs culturels réunionnais.
J’ai la conviction, depuis plusieurs années, que l’Outre-mer constitue pour
le territoire métropolitain un véritable laboratoire, un creuset d’expériences.
Par leur histoire sociale et culturelle, les territoires ultramarins nous
éclairent sur l’enrichissement que la diversité culturelle peut jouer dans le
développement d’une société, notamment en faisant émerger des formes
d’expression innovantes, fruits de métissages et de rencontres partagées.
Sans l’action attentive et méthodique des fonctionnaires de nos services
déconcentrés, ces ambitions ne pourraient voir le jour et la partition
d’ensemble serait privée de ses interprètes. A travers vous, c’est à eux que
je veux rendre hommage aujourd’hui et dire combien, loin de la métropole,
ils entretiennent les liens de confiance et de reconnaissance qui unissent
mon ministère et les acteurs culturels des Outre-mer.
Votre parcours de fonctionnaire, qui a su mêler continuité et sens de
l’adaptation, traduit cette exigence, indispensable dans une époque où les
pratiques artistiques et culturelles évoluent très vite, où la promotion de ce
que le grand poète Edouard Glissant appelle la « poétique du divers »
devient un enjeu central pour servir l’ambition d’une République des
diversités. Aussi, chère Maryse Hoair, au nom de la République française
nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des arts et lettres.
Chère Catherine Chane-Kune,
Votre formation de juriste en droit public signale votre attachement à la
notion de service public ; votre spécialisation sur les sociétés de l’océan
indien témoigne de votre attachement sincère et profond à votre île. De
fait, c’est en toute logique que depuis vos débuts professionnels, vous
consacrez vos compétences au Conseil Général de la Réunion.
Encore étudiante, vous êtes chargée de mission auprès du Directeur
général adjoint au Conseil Général. Vous faites vos premières armes dans
les services administratifs et financiers, ce qui vous permet aujourd’hui de
connaître tous les rouages de cette collectivité historique. C’est une
histoire de vingt années qui vous unit à la collectivité présidée aujourd’hui
par Mme Nassimah Dindar, vous qui en êtes une administratrice fidèle, à
l’expérience consolidée.
Mais vous cherchez ensuite à concilier votre travail avec votre intérêt pour
l’histoire et la culture réunionnaise. Vous vous orientez vers des postes
mobilisant vos « affinités électives », d’abord en qualité de responsable du
service de l’Education, puis comme adjointe au directeur de la Culture,
enfin en tant que directrice de la promotion culturelle et sportive au Conseil
général de la Réunion.
Vous avez mené des projets d’envergure qui ont modifié en profondeur le
paysage culturel de l’île. Depuis les années 2000, vous avez conduit les
grands chantiers culturels tels la restauration du Lazaret de la Grande
Chaloupe, la création de l’Iconothèque historique et numérique de l’Océan
Indien, l’organisation du concours Célimène, qui récompense les créations
plastiques des femmes de l’île, ou encore la mise en oeuvre de l’exposition
historique « Entre Temps » sur la Réunion des années 50 et 60. Ces
projets témoignent de votre engagement sans failles pour la valorisation de
la culture réunionnaise.
Je n’ignore pas que votre travail a permis à l’exposition « La Pérouse »
l’octroi du label d’intérêt national par mon ministère. Là encore, votre action
montre combien il est nécessaire d’entretenir le dialogue avec les différents
partenaires, l’Etat bien sûr, mais aussi les artistes, les conservateurs, le
public, afin de proposer une offre culturelle accessible au plus grand
nombre.
Ce sont des femmes et des hommes tels que vous qui permettent à ces
départements d’Outre-Mer d’affirmer leur singularité, leur spécificité tout en
développant une politique d’ouverture sur le monde, comme en témoigne
l’ouvrage paru en 2008 dont vous avez dirigé la publication,
L'interculturalité à l'Ile de la Réunion. Soucieuse de valoriser les diversités
et les cultures présentes sur l’île, vous n’avez eu de cesse de faire vivre le
creuset réunionnais.
Votre parcours traduit parfaitement l’idée que je me fais des missions
culturelles de service public qui doivent défendre un patrimoine, un
héritage, mais qui doivent également s’interroger sur les nouvelles
conditions de transmission de ce patrimoine, notamment à l’âge du
numérique. Les politiques publiques de la culture aujourd’hui sont
inséparables de ces deux dimensions : elles doivent être gestionnaires et
visionnaires. Votre parcours témoigne, me semble-t-il, de cette double
exigence. La création de l’Iconothèque en est un exemple et le chantier
autour du centre culturel de Château Morange montre combien vous
continuez à agir pour l’intégration de la culture dans l’horizon du quotidien.
Vous n’avez eu de cesse, dans vos différentes missions, de faire dialoguer
les identités et l’idéal universaliste, les culture locales et le legs républicain,
notamment à l’occasion des grandes manifestations et des grands
anniversaires auxquels vous avez contribué. Je pense au 150e anniversaire
de l’abolition de l’esclavage (1998), avec la figure admirable de Victor
Schoelcher ; je pense à semaine de la laïcité en 2005 ; je pense enfin à
l’année européenne du dialogue interculturel en 2008.
Pour tout cela, chère Catherine Chane-Kune, au nom de la République
Française, nous vous faisons chevalier dans l’Ordre des Arts et des
Lettres.
Chère Béatrice Binoche,
Vous êtes une pionnière et une femme de défis : lieu de création et de
diffusion artistique, l’espace Gounod, vaste galerie, est une perle rare.
Vous êtes en effet la seule galerie sur l’île et à ce titre une boussole et un
point de repère pour nombre d’artistes et de plasticiens réunionnais, mais
aussi de l’océan Indien. En 2007, vous avez installé votre galerie à Saint-
Denis, contribuant à faire rayonner et faire connaître les artistes
réunionnais, notamment Jack Beng Thi, Gabrielle Mangliou et Wilhiam
Zitte, que j’aurai le plaisir de distinguer dans un instant. Traduction de votre
engagement aux côtés des artistes, votre galerie a bénéficié d’une
formidable vitrine en 2009, à l’occasion de JoburgArt Fair, la Foire
internationale d’art contemporain de Johannesburg. A cette occasion, vous
avez fait connaître à un large public africain les artistes que vous défendez
avec passion. Plusieurs ont signé des contrats avec d’importantes galeries
africaines, d’autres ont trouvé des résidences : il y a le signe d’une
ouverture vers d’autres horizons et d’une liaison étroite entre l’île et son
environnement culturel africain. Par votre engagement, vous avez construit
les ponts qui font de la Réunion un carrefour d’influences et une terre
d’ouverture, offrant à la scène artistique des débouchés internationaux.
En janvier 2010, dans le cadre de la saison française en Inde, « Bonjour
India », organisée par ce qui était encore CulturesFrance, vous avez
contribué à exposer des artistes originaires de la Réunion à New Delhi,
mais aussi dans la région de Madras et de Bombay. En lien avec les
services de mon ministère, avec le Conseil régional, le Conseil général et
la ville de Saint Denis, vous avez contribué à ouvrir grand les portes de
l’océan indien et à ouvrir l’île sur le monde émergent.
Vous avez, je le sais, la passion de la transmission : vous animez
régulièrement des rencontres avec les scolaires et les publics moins initiés
pour mieux faire découvrir l’art et les artistes que vous accueillez. Je sais
combien vous êtes attachée à l’éducation artistique et à ce « regard
instruit », indispensable pour qui veut entrer dans la complexité et la
singularité d’une démarche de création. Soucieuse d’aider les
professionnels, de renforcer les liens des artistes avec la scène
internationale, vous avez fait de votre galerie un lieu de bouillonnement et
un véritable carrefour, avec le souci constant de sensibiliser et de lever les
préventions. Beaucoup le savent ici, l’espace Gounod tient à la fois du
« territoire des merveilles » et de la « lanterne magique » : elle fait entrer la
beauté dans le quotidien en même temps qu’elle transfigure le regard des
visiteurs toujours nombreux. Et l’on peut presque dire que chacune de vos
manifestations et expositions est aussi attendue par certains à Saint-Denis
que les sorties sur le terrain d’un célèbre Réunionnais de la capitale, je
veux parler du joueur de football Guillaume Hoarau.
Chacun le sait ici, en l’absence de lieu d’exposition pour le Fonds régional
d’art contemporain (FRAC) créé en 2007, vous avez joué un rôle de
moteur et de foyer rayonnant auprès des collectionneurs, des publics, des
institutions afin de faire connaître la vitalité de la scène artistique
réunionnaise.
Aussi, chère Béatrice Binoche, pour votre engagement aux côtés des
artistes réunionnais, pour la passion que vous avez mise dans la mise en
valeur et la diffusion de l’art contemporain, pour votre sens aigu du
professionnalisme dans le domaine du marché de l’art, au nom de la
République française, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des arts et
lettres.
Chère Lolita Monga,
« Un vrai foutoir cette île, mais je voudrais être née nulle part ailleurs
qu’ici ». Cet extrait de Saroyaze (1999) dit assez votre personnalité et votre
caractère. Ecrivaine, comédienne, metteur en scène, vous êtes la première
Réunionnaise à diriger un Centre dramatique national, et cela depuis 2007.
Vous avez étudié le théâtre à Lyon, où vous résidez pendant huit ans et où
vous vous formez avant de revenir sur l’île. Vous y créez alors la
compagnie Acte 3 implantée au théâtre « Les Bambous » de Saint Pierre.
Ecriture, ateliers, mises en scène se succèdent où se mêlent vos racines et
vos univers imaginaires, poésie du quotidien et contes de fées, à l’image
de cette Venus Hottentote – de son vrai nom Sarah Baartman - femme
noire, arrachée à l’Afrique du Sud, femme aux formes démesurées,
exhibée et « disséquée » de Paris à Londres, humiliée jusqu’à la mort.
Forte de vos convictions, vous affrontez une humanité qui se complait dans
un désir inhumain, vous explorez les zones d’ombre de notre histoire. Dans
Venus, il était une fois signifie maintenant, par votre mise en scène toute
de poésie, vous parvenez à affronter un sujet grave, mobilisant la mémoire
avec une grâce poétique. C’est à cette figure que Nelson Mandela, alors
Président de l’Afrique du sud, offrit en 2001 des funérailles nationales.
En 2007, vous êtes nommée à la direction du théâtre du Grand
Marché/Centre dramatique de l’Océan indien, aux côtés du comédien et
metteur en scène Pascal Papani. C’est la reconnaissance de votre carrière
au service de l’écriture théâtrale et de la scène, faite de rencontres et de
complicités, notamment l’inclassable et iconoclaste Jacques Rebotier.
Proposant une programmation exigeante, vous avez aussi le souci de
transmettre et de sensibiliser les publics de demain : vous animez des
ateliers de théâtre en milieu scolaire, vous travaillez auprès des
associations culturelles. Attentive à l’écriture contemporaine, vous animez
des séminaires de recherche à l’Université de la Réunion et de l’océan
indien. Dans ce Grand marché qui est un véritable lieu de rencontres et de
brassages, votre engagement et votre opiniâtreté ont permis de créer un
dialogue social propice au travail et à la création, ils ont permis au public
de retrouver le chemin du théâtre, de l’ouvrir aux auteurs et aux écritures –
notamment poétiques - venus de tous horizons. Votre incontestable
réussite m’a conduit à vous reconduire dans vos fonctions – cette fois
seule ! – pour la période 2011-2013 avec le souhait d’inscrire durablement
le Centre dramatique dans le paysage culturel, dans un dialogue renforcé
avec les partenaires locaux, mais aussi avec les lieux de production et de
création en métropole.
Votre activité de dramaturge et d’écrivain a été distinguée par plusieurs
bourses du Centre national du Livre (2005) et du Centre national du
Théâtre, elle a été nourri par des résidences – notamment à Limoges, dans
le cadre du festival des Francophonies - qui ont fait naître un dialogue
constant entre le terreau réunionnais et les univers littéraires qui vous ont
inspiré, d’André Breton à Henri Michaux. En quête de l’empreinte, de la
trace du passé, vous faites dialoguer vos personnages avec le présent.
Admiratrice des contrastes à la manière de Caravage, votre écriture subtile
mêle dans un même mouvement la grandeur et la bassesse, la sexualité et
l’éternité, dans un balancement permanent entre un passé que l’on
questionne et un présent que l’on interroge. L’auteur de Kabaré Faham ; la
mer, la mère, l’amer (2002), est aussi une amoureuse des mots et de la
folie convulsive de la langue – votre rencontre avec Valère Novarina n’y est
peut-être pas étrangère. Vous aimez faire de vos textes et de vos mises en
scène des « promenades du désir sur l’avenir insensé qui nous guette »
pour reprendre les paroles du choeur dans Saroyaze. Chez vous, ce que
vous appelez le « pays resté loin » peut être un enfer au goût de Paradise,
titre de votre dernier projet créé, ici même, il y a quelques semaines
(2011).
Aussi, chère Lolita Monga, parce que vous avez depuis plus de quinze ans
été l’une des âmes vivantes du théâtre à la Réunion, parce que vous avez
su faire souffler un vent de liberté et de poésie sur le théâtre, au nom de la
République française, nous vous faisons chevalier dans l’ordre des arts et
lettres.
Chère Fabienne Redt,
Je suis particulièrement heureux de rendre aujourd’hui hommage à l’une
des rares personnalités, qui par sa générosité, sa détermination et son
inventivité a sensibilisé l’île de La Réunion depuis sept ans déjà au
septième art. Le Festival du Film de La Réunion, c’est ce lieu de
rencontres pour tous ceux qui aiment le cinéma et qui ont à coeur de
transmettre un patrimoine et d’éduquer à l’image. Je tiens à saluer en vous
une présidente chaleureuse, exigeante et attentive, qui a réussi à faire de
ce rendez-vous, d’abord porté par une association de bénévoles, une
véritable institution reconnue et identifiée par les professionnels.
Vous faites vos débuts dans la presse écrite à Paris avant de devenir
pigiste à Radio Réunion, puis d’assurer la communication d’un hôtel de
luxe de la côte Ouest de l’île. C’est en organisant l’avant-première d’un film
et la rencontre avec un acteur que vous constatez, avec stupeur, devant
une salle à moitié vide, le manque de sensibilité au septième art et plus
particulièrement à la création cinématographique qui règne alors dans l’île.
En 2005, vous êtes donc à l’initiative d’un festival qui porte une double
ambition : promouvoir les premiers et deuxièmes longs métrages de
réalisateurs français, et donner aux Réunionnais le goût du cinéma. Je
reconnais en vous la passion de cet « autre regard », de cet oeil en
mouvement qui caractérise les cinéphiles. Et je suis persuadé que la salle
de cinéma, que le festival de cinéma est souvent la porte d’entrée vers la
culture, vers les autres expressions artistiques.
La promotion de la diversité et la démocratisation sont au coeur de votre
projet. Découvreur de nouveaux talents, le festival est également le
partenaire d’actions de sensibilisation des publics. Je pense en particulier à
votre engagement en faveur de l’éducation des jeunes filles dans le
monde, à travers l’association Toutes à l’école. Votre effort a été suivi et
relayé : de grands noms ont présidé ce festival attachant et ambitieux, à
l’image de Claude Miller, de Patrice Leconte, d’Etienne Chatiliez et, l’année
dernière, de Xavier Beauvois.
Eduquer les regards, démocratiser l’accès au cinéma, émerveiller, telle
pourrait être la devise du Festival que vous présidez. Chacun connaît ici la
qualité de votre sélection projetée dans les salles du Ciné Cambaie.
Chacun sait apprécier la Carte Blanche, une sélection de trois films
proposée par une personnalité du cinéma français – à l’image de Nathalie
Baye l’année dernière. Chacun a encore à l’esprit les plaisirs du cinéma à
ciel ouvert, dans le cadre féérique de la plage des Brisants à Saint-Gilles-
Les-Bains. Le débat est aussi le trait qui unit les générations dans cette
belle manifestation insulaire. Le public scolaire de l’île est invité à dialoguer
et à découvrir les secrets de la création cinématographique grâce à des
ateliers mais aussi des rencontres avec les professionnels.
Grâce au festival, vous faites connaître l’engagement et la ténacité de ses
acteurs culturels qui, partout, en Europe comme dans les territoires
d’Outre-mer, font vivre ces festivals qui sont les miroirs de la diversité
culturelle. Vos Mascarins qui récompensent les films en compétition ont
cette part de mystère qui sied aux instants privilégiés de cinéma, qui
donnent à ce dernier son « aura » si particulière, celle de la lanterne
magique.
Je suis persuadé que l'avenir du cinéma passe par la reconnaissance du
rôle des festivals, qui sont autant de lieux d’échanges et de rencontres,
sans lesquels – au-delà des nouveaux supports de diffusion et de la
révolution numérique -, il n'y aurait pas le cinéma.
N'oublions pas que ce n'est que lorsqu'un film est projeté en salles qu'il
devient un film de cinéma.
N'oublions pas que si le cinéma participe pleinement à façonner notre
culture, c'est parce qu'il a la vertu de nous rassembler, parce qu'il est un
spectacle.
N’oublions pas que l’écran individuel ne remplacera jamais la puissance
poétique et esthétique de l’image projetée sur grand écran, l’émotion
collective qu’elle provoque et le frisson qu’elle suscite. Cette idée du grand
écran, je sais que vous la partagez. Cette idée, je sais qu’elle vous anime
et qu’elle vous fait franchir les montagnes et traverser les océans.
Chère Fabienne Redt, depuis maintenant 7 ans, vous avez offert aux
Réunionnais et aux cinéphiles de très grands moments de partage, vous
avez aidé à promouvoir les nouveaux talents du cinéma.
Pour vous exprimer notre reconnaissance, chère Fabienne Redt, au nom
de la République, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des Arts et des
Lettres.
Cher Wilhiam Zitte,
La substance de l’histoire, sa densité même se transmettent, selon vous,
par la médiation de l’art, par l’acte de création. Vous êtes un artiste de la
trace, des stigmates de l’histoire, des interstices de la mémoire. À l’instar
des Street artistes américains, des pochoirs d’Ernest Pignon-Ernest, votre
oeuvre apposée aux murs de la ville, à l’arrière des bus aussi, investit la
ville d’une histoire oubliée : l’histoire noire à la Réunion. Votre travail
s’apparente à un manifeste. Vous qualifiez d’ailleurs vos images
d’ « empreintes à retardement » et vous vous êtes engagé pour
questionner la place des Cafres dans l’histoire et l’identité de l’île.
Vous débutez votre carrière artistique en autodidacte dans les années
1980 alors que vous exercez le métier d’instituteur. Afin de permettre à vos
élèves de s’exercer à l’art, eux qui n’avaient pas les moyens de s’offrir de
la peinture à l’huile, vous vous employez à trouver des techniques et des
matériaux ordinaires, « pauvres », utilisables par tous comme le papier
journal, les pigments naturels, le massalé, ou les terres broyées. Dès lors
votre curiosité naturelle, vos rencontres avec Suzanna Greffet-Kending, la
conservatrice du Musée Léon Dierx, avec les sculpteurs Gilbert Clain, Jean
Luc Igot ou Jean Paul Barbier, vous poussent à développer une production
personnelle porteuse d’une exigence politique. Votre exposition de portraits
de « cafres » qui s’inscrivait dans le cadre du Bicentenaire de Saint-Leu en
1990, présentée lors de la semaine créole à Saint-Denis, devient le sujet
d’un vaste débat sur l’île.
Défricheur des mémoires, des secrets et des tabous, artiste aux prises
avec ce que Mircea Eliade désigne comme le « mythe des origines », votre
démarche s’inscrit dans une double recherche où la figure noire et les
esprits ancestraux habitent non seulement l’espace artistique de la
représentation mais aussi l’espace civique de la rue.
Tour à tour instituteur, responsable de l’Artothèque du Département de la
Réunion, conseiller pédagogique départemental en arts plastiques de
l’Education Nationale, commissaire d’expositions, résident à l’Alliance
française de Nosy-Be où vous transmettez le savoir-faire de la broderie,
vous avez pleinement contribué à la valorisation de la diversité du
patrimoine réunionnais. Vous avez donné aux objets artisanaux un statut
artistique en faisant dialoguer le passé noir et la créolité contemporaine, en
conjuguant avec intensité les identités et le diversités.
Votre engagement au service des identités créoles, du métissage culturel,
se traduit également par le soutien exceptionnel que vous apportez aux
artistes de la Réunion. Vous aimez provoquer et stimuler le public. Je
pense en particulier à « Fèt Kaf Tèt Kaf », somptueux portraits géants en
« noir » et « blanc », photos itinérantes où l’éphémère révélé dans l’espace
urbain rejoint le temps de l’histoire et des mémoires exhumées de l’oubli.
Aussi, au regard de la force de votre geste artistique, geste de renaissance
comparable à celui d’Aimé Césaire, honoré récemment par la République,
au regard de votre engagement en faveur de la diffusion des pratiques
artistiques, au nom de la République française, nous vous faisons
Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.