Discours de la ministre lors de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias

Monsieur le Président,

Monsieur le Président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Permettez-moi, en ouverture de cette séance, s’agissant d’une proposition de loi portée par la Commission des affaires culturelles, de saluer à mon tour la mémoire de Sophie Dessus, dont la disparition brutale a endeuillé le Parlement et tous ceux, dont j’étais, qui ont eu la chance de la connaître.

Mesdames et Messieurs les Députés,

La liberté d'expression et la liberté de création sont indissociables. Sans Liberté, pas de République. Sans libertés, pas de démocratie. La défense de nos libertés est dans la durée le plus sûr moyen de défendre notre sécurité. C’est pourquoi après les attentats que nous avons connus, il nous faut plus que jamais dire haut quelles sont nos valeurs, notre éthique, nos convictions.

La défense de la liberté d'expression structure tous les débats qui ont accompagné la naissance de la République. En 2015, nous avons reçu des messages de solidarité du monde entier parce qu’attaquer Paris, c’est s’en prendre à la patrie des artistes et au refuge des libertés.

Voilà qui nous dit qui nous sommes, qui nous voulons être, quels sont nos principes.

Pour faire vivre ces principes, le législateur emprunte dans le temps des voies différentes. Je voudrais rapidement rappeler quelques étapes de ce mouvement et montrer où nous allons aujourd’hui.

La loi de 1881 est si forte qu’elle a permis de trouver le point d'équilibre entre la défense de la liberté de la presse et la défense des droits du citoyen face aux possibles abus de cette liberté.

La loi de 1982, qui a créé une haute autorité pour garantir l'indépendance des médias audiovisuels face aux tentations du pouvoir politique, a été un moment majeur de ce combat pour l’indépendance d’un audiovisuel né du giron de l’Etat.

Depuis 2012, ces libertés ont été résolument renforcées, des reculs réparés et la proposition de loi que vous examinez poursuit ce chemin ambitieux.

Cette réforme intervient après la loi de novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, en vertu de laquelle ses responsables sont nommés de nouveau par une instance indépendante. Cette loi a aussi mieux garanti l’indépendance du CSA à travers le mode de nomination de ses membres.

Elle vient ensuite après la loi de finances pour 2016, qui a redonné au financement du secteur audiovisuel public sa pleine indépendance par rapport au budget général de l’Etat. Après aussi la loi portée par Michel Françaix en faveur du pluralisme des médias. Loi qui portait notamment l'amendement Charb, lequel permet à chaque citoyen d'aider le journal de son choix, et la création du statut d'entreprise  solidaire de presse que Charlie Hebdo le premier a adopté en juillet dernier.

Mais je pense également ici au projet de loi relatif à la Liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Cette loi, que j’ai l’honneur de reprendre, consacre la liberté de création. Elle donnera aux artistes et aux salles de spectacles des armes plus robustes contre la censure, le repli. Sans en faire une liberté absolue car les discours de haine prennent parfois le prétexte du spectacle pour se répandre.

Je ne doute pas que le projet de loi sur l'indépendance des médias, que Patrick Bloche porte dans un dialogue fécond avec le Gouvernement, ajoutera à cet édifice législatif protecteur des libertés.

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Mesdames et Messieurs les Députés,

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos débats en Commission. Et je me réjouis des points d’accord que vos travaux ont permis d’atteindre.

Cette proposition de loi apporte des garanties nouvelles aux journalistes, aux rédactions et aux médias dans leur ensemble.

C’est un texte d’une grande cohérence et équilibré qui vient consacrer et parfaireles réformes entreprises sous cette législature.

Je souhaiterais souligner devant vous trois points majeurs de ce projet.

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Premièrement : la protection de la liberté éditoriale.

L'article 1er permet d'étendre à tous les journalistes, quels que soient les médias dans lesquels ils travaillent, la protection qui existe déjà en faveur des journalistes de l’audiovisuel public depuis la modification en 2009 de la loi sur l’audiovisuel. Cette protection permet à un journaliste de refuser toute pression qui conduirait à lui faire accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle.

Je me réjouis de l’adoption en commission des précisions apportées à cette notion. L’articulation trouvée avec la charte déontologique de l’entreprise permettra d’assurer une protection efficace ancrée dans un cadre collectif partagé.

Deuxièmement : la protection des médias vis-à-vis des pressions économiques.

Les exemples de pression des annonceurs sur la programmation ne peuvent être ignorés : l’article 2, en confiant au CSA le soin de veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux principes d’indépendance et de pluralisme de l’information répond de façon efficace et pragmatique à ces dangers.

Je précise que ces dispositions ne donnent pas au CSA des pouvoirs qui ne relèvent pas de ses attributions. Je veux parler de l'éthique et de la déontologie, qui relèvent du dialogue entre les journalistes, les éditeurs et leurs publics.

Le CSA ne saurait en effet être doté d'un pouvoir de contrôle ex ante des relations professionnelles entre les journalistes et leur direction.

Je voudrais enfin évoquer enfin le troisième point fort de ce texte.

Il s’agit de la création de « comités relatifs à l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes ».

Sans porter atteinte à la liberté éditoriale des éditeurs, ils vont permettre de traiter de façon transparente et concertée toutes les menaces éventuelles sur l’indépendance du média qui seront portées à sa connaissance.

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Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais maintenant évoquer les amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement.

Je commencerai par l’amélioration des garanties apportées au secret des sources des journalistes. C’est un enjeu démocratique majeur ! Ce qui est en jeu, c’est la capacité d’investiguer, d’informer et donc de faire fonctionner une démocratie réelle.

Je connais votre attachement à cette réforme. Vous l’avez démontré lors de vos travaux au sein de la commission des Affaires culturelles. Vous savez également ma détermination à ce que cette réforme soit adoptée comme le Président de la République s’y est engagé.

Il nous appartient donc tous ensemble de trouver le point d’équilibre le plus juste entre la sécurité que nous devons garantir aux journalistes dans leur travail d’investigation et les garanties de sécurité collective que nous devons à tous nos concitoyens.

Votre travail a permis d’apporter de fortes améliorations à la loi du 4 juillet 2010. La commission des Affaires culturelles et la commission des lois ont poursuivi ce même objectif avec des approches parfois différentes. Il nous appartient de trouver ensemble le point d’équilibre qui permettra à ce texte tant attendu d’être adopté !

Parmi ces améliorations, je veux citer l’obligation faite aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge de la liberté et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle s’effectuait a posteriori dans la loi de 2010. C’est une avancée majeure !

Je voudrais aussi citer l’extension de la protection du secret des sources à tous les collaborateurs de la rédaction et au directeur de la publication, bref, à toute la chaîne de la recherche de l’information, là où la loi de 2010 ne protégeait « que » les journalistes.

Je veux citer encore l’interdiction de condamner un journaliste pour le délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, d’une violation du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée.

Sur tout ceci nous sommes d’accord et c’est le premier bénéfice de notre travail commun.

Il nous parait aujourd’hui nécessaire de mieux définir aussi la notion « d’impératif prépondérant d’intérêt public »  au nom duquel il peut être justifié de porter atteinte au secret des sources.

Face aux risques d’interprétation de toute formule trop vague, préciser ce qui peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en définissant ce qui est « grave », donne au juge un cadre précis pour agir.

Cette définition correspond à un équilibre que je vous présente au nom du Gouvernement, et qui est raisonnable. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de notre discussion.

Nous aurons également l’occasion de revenir sur les autres amendements que je vous propose, et sur lesquels je ne m’attarde pas.

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Mesdames, Messieurs les Députés,

Défendre la culture, protéger la liberté de la création, garantir l’indépendance des médias, c’est faire échec à la guerre contre la culture. C’est dire quel projet de société nous portons. C’est aussi adresser un message de confiance de notre société envers elle-même, sa capacité à être transparente et à construire son avenir, les yeux grands ouverts.

Je vous remercie.