Ici, le passé arrime pêle-mêle mémoire, absence, souvenir… "Un souvenir qui se porte" dans un présent qui file. L'exposition de Côme Clérino embrasse à la fois "voyage dans le passé, récit personnel et récit que l’on forge à travers les objets !" Un trait d'union entre aujourd’hui et déjà hier. Un hier si proche que l’artiste révèle au travers des "Objets que l’on porte, de génération en génération…", une invitation aux souvenirs et à la transmission.
Un souvenir qui se porte - Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
réécrire le récit personnel
Au centre de la galerie, il y a ce Personnage sans visage... : "Une silhouette emmitouflée, contraint dans ses gestes par les multiples couches qui l’habillent (…)" Deux voix se répondent. Et puis "La silhouette progresse et propose aux spectateurs qui se trouvent là de porter à leur tour les voix qui continuent la narration de leurs propres ascensions. Progressivement, il se dévêtit des habits qui le couvre et les pose délicatement sur les multiples patères qui ornent les murs. Par ce geste de dépouillement, le personnage construit autour de lui quatre sculptures faites de tulle, de tissus molletonnés et de toiles polyuréthanes thermoplastiques" observe Joséphine Dupuy Chavanat, commissaire de l'exposition
Un souvenir qui se porte - 1er souvenir, Côme Clérino 2022 et 3e souvenir, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
Ces souvenirs accrochés, noués à ces voix qui résonnent, suggèrent une héroïde dédiée à ceux qui ne sont plus. Cet espace ouvert figure comme un appel. Une évocation à se rappeler, une destinée à faire passer auxquelles le visiteur est convié.
Un souvenir qui se porte - CARERRO maille élémentaire, Côme Clérino 2022 et Fenêtre 1, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
Les souvenirs se font objets et avalent l’absence. Des souvenirs pour noircir la page et "réécrire le récit personnel". Côme Clérino capte ainsi "L'empreinte de son arrière-grand-mère, l’une des figures emblématiques de sa famille, à travers une fleur de son chemisier." Le visiteur est libre de percevoir une pâquerette fanée ou un edelweiss, symbole d’amour et d’affection pour la première, de pureté et d’amour, pour le second.
Un souvenir qui se porte - Recueil de pensées (détail), Côme Clérino 2022, Galerie CHLOE SALGADO - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
"Parler d’un souvenir c’est donner de la matérialité à la mémoire"
Un souvenir qui se porte, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
"De Flou après flou, cette image abstraite détient l’histoire de son aïeule et la possibilité pour l’artiste de renouer avec ses souvenirs d’enfance. Des souvenirs qui sont intimement liés aux plats italiens cuisinés affectueusement par son père, comme hommage à son propre grand-père immigré du nord de l’Italie pour fuir le fascisme de Mussolini. Invité à répéter la même chorégraphie culinaire dominicale, le père de Côme a cuisiné pour l’exposition le grand classique des spaghettis bolognese, laissées alors à la merci du temps et de la décomposition à l’intérieur d’une sculpture en verre réalisée à quatre mains avec l’artiste Hugo Servanin" témoigne Joséphine Dupuy Chavanat.
Un souvenir qui se porte - Finis ton assiette (détail), Côme Clérino 2022 et Porte-manteau & cintre, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
Au fur et à mesure, le visiteur se sent, peut-être, davantage saisi, emporté par le "qui se porte…" que par le "souvenir" qui le précède. Le souvenir qui constitue le bien commun de l'humanité.
Un souvenir qui se porte, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO 2022 - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
En cet espace, Côme Clérino a accueilli artistes et designers à proposer "Un ou plusieurs objets qui refléteraient leurs souvenirs et symboliseraient les histoires de famille marquées par les stigmates du départ et de l’absence" explique Joséphine Dupuy Chavanat.
des verres, un portrait, des bijoux, des couverts, des bonbons... un poème
"Ulysse Sauvage a déposé des verres qu’elle a elle-même créé pour ses grands-parents il y a de nombreuses années ; Pablo Jomaron a inséré le portrait de son père tenant le portrait de sa bien-aimée; Marius Perraud, ses propres bijoux et créations modelées avec les chardons cueillis autour de sa maison familiale en Corse ; Valentin Vie Binet, des couverts en céramique en hommage à sa grand-mère et aux grands repas familiaux qu’elle animait. Les bonbons de Luz Moreno ont le goût de clémentine et de rose, comme ceux qu’elle dégustait petite. Dans le poème écrit par Florian Cochet, chants lointains et souvenirs pluriels s’entremêlent, tel un héritage commun. Chaque objet est ici porteur d’histoires. Revenir à l’essence de leur matériau – la photographie, le verre, la cuisine, l’écriture..."
Rencontre avec Côme Clérino
Un souvenir qui se porte, pourquoi employer le singulier ? S’agit-il bel et bien d’une même et seule œuvre qui se décline sous le regard du visiteur ?
J’ai employé le singulier car je souhaitais évoquer la force que peut avoir un souvenir singulier pour une personne. Je parle de souvenir plutôt que de mémoire pour me permettre de concrétiser les choses. Parler d’un souvenir c’est donner de la matérialité à la mémoire. Car, même si je parle d’un souvenir mais qui n’a pas de visage et pas d’appartenance, il n’en a pas moins une forme, celles des œuvres. Celles-ci sont une simple évocation pour faciliter l’implication du visiteur. Je me suis servi d’un souvenir personnel comme point de départ pour la conception de l’exposition. Souvenir qui s’est ensuite décliné sous différentes formes, elles-mêmes issues de différentes collaborations avec d’autres artistes.
Un souvenir qui se porte - Finis ton assiette (détail), Côme Clérino 2022 Galerie CHLOE SALGADO - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
On est presque "davantage" saisi, touché, impliqué, emporté par le "qui se porte…" que par le "souvenir" qui le précède ?
"Qui se porte…" indique une charge, un poids que l’on charrie avec nous, comme un souvenir qui, parfois, se fait ressentir physiquement. Par ailleurs, le souvenir sur lequel cette exposition repose est finalement un souvenir d’une absence. Celle d’une personne qui portait en elle le germe d’histoires à venir, celles de ces descendant.es. Avec ce titre, je voulais donc créer un double sens : des vêtements qui se portent et pèsent leurs poids tout en matérialisant nos souvenirs, eux-mêmes parfois difficiles à porter.
Comment définir l’intention dans votre œuvre ?
L’intention était de raconter une histoire à travers celle de la disparition d’une personne qui m’a en partie construit. J’ai donc voulu traiter ce sujet qui n’était pas forcément le deuil mais plutôt celui de la permanence de l’empreinte d’une personne malgré son absence. Puis pour alléger ce que j’avais moi-même à porter, je l’ai partagé avec d’autres artistes, que j’ai invité à rejoindre mes questionnements. Ce partage m’a permis de trouver un sens interrogations, grâce à la façon dont ils et elles s’en emparaient.
Comment est né le besoin de conjuguer et d’unir ce temps présent à ce voyage dans le passé ?
Je me rends maintenant compte que, lorsque j’ai commencé à imaginer l’exposition, j’étais à un tournant dans mon travail artistique. Fondé sur de nombreuses expérimentations plastiques et ancré dans une dynamique de renouvellement, j’avais cette fois besoin d’aller vers quelque chose de plus personnel, touchant directement à l’intime. Je me suis donc assez naturellement tourné vers mon histoire familiale et vers les façons dont elle m’a construit. C’est évidemment un sujet assez vaste dont je ne prétends pas avoir fait le tour en si peu de temps, mais j’ai pu amorcer ce travail qui, je le crois, a profondément modifié ma pratique. Et j’avais envie d’amener plusieurs personnes avec moi dans ce tournant. Tout d’abord parce que je crois qu’il est important, stimulant, de penser et de produire collectivement, mais également parce que j’avais envie d’inviter d’autres artistes à prendre ce tournant avec moi et de voir ce que cela pouvait également redéfinir chez ces artistes.
Un souvenir qui se porte - Fenêtre 1 et 2, Côme Clérino, Galerie CHLOE SALGADO - Photo : Grégory Copitet © Galerie CHLOE SALGADO
Votre œuvre est-elle l’écho d’un moment de votre histoire, écho que vous transgressez par la création ou bien est-elle le témoignage du bien commun de l’humanité en général ? (L’intime qui rejoint l’universel ?)
Le flou laissé quant à la nature exact et du souvenir évoqué me permet de tendre à une certaine universalité. Les collaborations artistiques participent également de ce mouvement. C’est un partage de plusieurs vécus qui, tout en étant chacun singuliers, se rejoignent à différents endroits. Ma proposition, mon souvenir, sont le fil conducteur autour duquel tout s’articule.
Une tête sans visage… Pourquoi ?
Car les souvenirs n’ont pas un seul visage s’ils se veulent universels. Je voulais que chacun puisse y mettre le visage qui lui semble le plus juste. Un visage possède trop d’affect, de symbolique, de connotation. Si nous l’ôtons, nous enlevons également l’identité unique et nous gardons l’idée d’un corps et de ce que cela évoquer à travers l’histoire que nous lui rattachons.
Avez-vous déjà pensé aux larmes et au réconfort aussi que votre œuvre fait naître dans le cœur et l’esprit du visiteur ?
Je n’avais pas vraiment anticipé cela au début du projet. Je m’en suis rendu compte lors de sa présentation aux artistes avec lesquels j’ai collaboré. Souvent, cela faisait ressurgir des souvenirs intimes et parfois difficile à partager. Ce furent des moments important durant lesquels j’ai compris l’effet que cela pouvait avoir sur eux, en tant que collaborateurs mais également en tant que visiteurs du reste de l’exposition. Cela me donne donc une idée de la façon dont l’exposition peut être actuellement reçue par celles et ceux qui la découvre.
Quel a été le rôle de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) dans votre projet AIC 2022 ?
L’Aide Individuelle à la Création a été fondamentale puisqu’elle m’a permis de concrétiser ce projet comme je l’avais imaginé au départ. C’était un projet ambitieux car il mobilisait beaucoup de personnes et corps de métiers différents. Il me fallait donc être soutenu financièrement afin de rémunérer tout ce travail à sa juste valeur.
Votre itinéraire ?
J’ai été diplômé de l’École Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris en 2016, avec les félicitations du jury. Depuis, je développe une pratique pluridisciplinaire mêlant le dessin, la sculpture, céramique, textile et installation. Mon travail a était exposé dans plusieurs lieux tels que Le centre d’art Le Grand Café (Saint-Nazaire), Le Bel Ordinaire (Pau), ou encore dans plusieurs des galerie comme La galerie Chloé Salgado à Paris, Etage Project à Copenhague ou la 20C gallery à Shanghaï. Actuellement, je travaille sur plusieurs expositions pour l’année 2023. Je développe également de nouvelles directions créatives que j’aimerais expérimenter comme celle de l’architecture. Enfin cette exposition m’a permis aussi de mettre un premier pied dans la performance et la danse, qui sont pour moi des pratiques qui m’a m’ont toujours intimidé. Je suis très heureux d’avoir eu cette première expérience que j’aimerais désormais approfondir.
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