Chaque mois, un expert témoigne sur son métier et son intervention pour la restauration de la cathédrale de Nantes.

Pourriez-vous nous présenter votre métier ?

J'ai créé ma propre entreprise, la SARL Manufacture Bretonne d'Orgues à Nantes en 1987, après dix années de formation. Je souhaitais œuvrer dans le domaine du patrimoine avec une grande exigence. J'estimais qu'il y avait un réel travail de recherche pour retrouver des techniques et des protocoles de restauration qui respectent totalement le patrimoine historique. J'ai très rapidement travaillé pour les Monuments Historiques sur de petits instruments dont je suis toujours très fier :  Plougasnou (22), Richelieu (37), Villacourt (54).

Mon entreprise a progressé, s'est étoffée et j'ai pu accéder à des projets plus importants. Il s'agissait de reconstruire de toutes pièces des instruments partiellement ou totalement disparus. Ces projets m'ont passionné par l'ampleur du travail intellectuel nécessaire à leur réalisation.

Lorsque l'on doit reconstituer un instrument il faut s'immerger dans les techniques et l'esprit de son créateur d'origine. Cela implique de retrouver les divers instruments du facteur, les visiter, les étudier dans chaque détail. Il faut fouiller les inventaires, compiler les archives...

Le métier de facteur d'orgues rassemble des savoir-faire très différents. La base du métier est le travail du bois qui entre à 80% dans les matériaux d'un orgue. Mais le bois est aussi bien utilisé en charpente qu'en toutes petites pièces mécaniques de quelques millimètres.

C'est pourquoi nous faisons plutôt appel pour notre recrutement à des candidats déjà formés aux métiers du bois.

Notre métier comporte également une facette de travail du métal, pour la fabrication des tuyaux en alliage plomb/ étain. Une formation spécifique de tuyautier en orgue pour maîtriser ce domaine bien particulier est nécessaire.

Les métaux entrent aussi dans les procédés de fabrication de pièces mécaniques, que ce soit les laitons, le fer doux, parfois l'aluminium. Le facteur d'orgues va donc forger, braser, souder, percer…

N'oublions pas que l'orgue est un instrument à vent. Toute l'étanchéité à l'intérieur d'un orgue, des systèmes de réserves et de régulations, est obtenue avec des peaux de mouton qui seront tranchées, parées pour former des joints, des charnières, des aines (la partie mobile sur un soufflet). Ces peaux sont collées à chaud avec des colles animales, de peau, de nerf ou de lapin suivant les qualités intrinsèques de chacune.

Il faut un grand ordonnateur pour conduire tout ces éléments : le facteur d'orgues qui transforme en réalité une idée créatrice. Idée visuelle pour s'inscrire dans une architecture, musicale pour répondre aux besoins des musiciens en choisissant les timbres et les sonorités futures de l'orgue, ingénieuse pour mettre en plans. La conception de l'instrument demande une grande gymnastique de l'esprit pour fixer en deux dimensions ce que le facteur d'orgues voit en trois dimensions. Plus grande encore pour transposer en corps résonateurs de bois et de métaux un son qui n'existe que dans son imaginaire.

Une fois l'ensemble monté, en place, les tuyaux sont sur leur vent. Leur premier son pourrait ressembler au vagissement d'un nouveau né. Il faut alors rassembler des centaines de tuyaux dans un ensemble harmonieux. Seule l'oreille compte. Le facteur d'orgues réagit très exactement comme un chef d'orchestre sur les courbes, les fluctuations, les attaques sonores.

C'est comme un jaillissement pictural. Parfois, un travail très rapide et impressionniste donnera les meilleurs résultats, comme un tableau pointilliste qui ne s'apprécie que de loin alors que dans d'autres cas, il faudra rechercher l'ascèse et la pureté en passant des heures et des heures à gommer le moindre défaut. Tout dépend des canons esthétiques. En apothéose se révèlera la musique.

Quel est votre rôle dans la restauration de la cathédrale ?

J’interviens à la cathédrale Saint Pierre de Nantes en tant qu’expert pour le tri et l’inventaire des déblais de la tribune.

Ma grande connaissance de l’orgue, que j’entretenais depuis 20 ans, me permet d’isoler les éléments suivant leur situation d’origine, de les classifier en vue de leur conservation.

A mon grand désespoir, les parties en état sont très rares et pratiquement rien ne pourra être re-utilisé mais nous conserverons des témoignages émouvants de parties de décor et certains petits éléments techniques pour les utiliser en copie.

Le métal qui a fondu et s’est répandu sur la tribune en grandes flaques fait l’objet d’une recherche plus particulière et est en cours d’analyse pour déterminer les éléments qui le compose. En vue d’une éventuelle réutilisation pour fabriquer de nouveaux tuyaux.