L’histoire étonnante d’une chapelle édifiée dans le bidonville de Noisy-le-Grand, en 1957, classée monument historique.
Le documentaire "La Chapelle de tout le monde" réalisé par Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui, soutenu par la DRAC Île-de-France, porte avec force l’histoire impressionnante de ce modeste édifice construit en 1957 dans l'ancien bidonville de Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis, berceau de l’association ATD-Quart Monde. Les deux cinéastes donnent la parole aux témoins qui ont connu ce lieu dans son bidonville puis dans son quartier, ainsi qu’aux experts du patrimoine.
Vue aérienne du camp © ATD-Quart Monde (« Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski)
Récit unique que le destin aussi bouleversant qu'inespéré de cette chapelle, construite en 1957 dans le "camp de Noisy" par des hommes et des femmes de religions et de pays différents. Son histoire s'attache à raconter avec force le combat difficile et insoupçonné pour ce lieu bâti, déplacé en 1969 et qui échappa de peu aux bulldozers. En 1970 les hommes du camp, toujours aidés par des bénévoles, l’ont démonté pour la remonter pierre par pierre trois cents mètre plus loin, sur le lieu qu’elle occupe actuellement, à l’angle des rues Jules-ferry et des Hauts-roseaux, tout à côté du centre de promotion familiale d’ATD-Quart Monde. Elle fait partie aujourd'hui du quartier des hauts bâtons.
Vues de "La Chapelle de tout le monde" © ATD-Quart Monde ("Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski")
Quelques années plus tard, en 1974, pour éviter la destruction de la chapelle qui du fait de son toit en fibrociment se trouve menacé de destruction, le combat pour garder trace de l’Histoire amène Joseph Wresinski à demander à un jeune architecte, futur volontaire d’ATD-Quart Monde, de trouver un moyen pour empêcher cette destruction. Voilà la chapelle solidifiée par un entourage de murs et par la construction d’un nouveau toit au-dessus de l’ancien faitage. Consolidé en 1974, il est un des rares bâtiments attestant de l’histoire des bidonvilles en France.
Classée au titre des monuments historiques en avril 2016
Labellisée "Patrimoine du XXe siècle", classée au titre des monuments historiques en avril 2016, puis restaurée à partir de l'été 2019, elle a été inaugurée le 18 septembre 2021 lors des Journées européennes du patrimoine. Ce classement, cette restauration et cette inauguration figurent aujourd’hui pour les familles du camp et les bénévoles qui l’ont bâtie comme une authentique reconnaissance. La chapelle de "Notre-Dame-des-Sans-Logis-et-de-Tout-Le-Monde" se révèle à la fois comme un temple fondamental contre l'oubli et la reconnaissance d'un lieu pour ceux qui n'ont rien et dont le courage et l’action sont souvent passés sous silence dans l’Histoire.
"La Chapelle restaurée", captures d’écran du film "La chapelle de tout le monde" © Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui
Reconnaissance de dignité pour les personnes en grande précarité
Ce lieu témoigne de la pensée visionnaire du fondateur d’ATD-Quart Monde. Nommé par son évêque en 1956 afin de devenir une sorte de curé auprès de cette population exclue, le Père Wresinski a grandi lui-même dans la grande pauvreté. Proche du monde ouvrier, il s’était également occupé d’une paroisse rurale très pauvre, Tergnier dans l’Aisne, avant de rejoindre le camp. Plus que personne, il connaissait la soif spirituelle des personnes en grande précarité. En plaçant l’immatériel avant le matériel, il reconnaissait aussi leur soif de fierté. Le simple fait que les pères de famille du camp aient fait l’effort de construire de leurs propres mains ce lieu de culte, simple mais beau, était d’ailleurs une affirmation très forte de ce besoin de dignité.
La chapelle, témoin des moments forts de la vie
Tant d’événements forts se sont déroulés dans et devant cette chapelle : les fêtes religieuses bien sûr, mais aussi des événements qui ont marqué son histoire. Parmi les enterrements, demeure ainsi le souvenir de cette messe en décembre 1960 autour des corps de deux petits enfants décédés lors d’un incendie dans un "igloo ". C’est au cours de cette cérémonie funèbre que Francine de La Gorce a pris la décision d’un engagement définitif, devenant ainsi la première volontaire permanente de cette toute jeune association, ATD-Quart Monde. C’est en partageant la prière désespérée aux côtés des familles du camp, que Geneviève de Gaulle a senti un appel à s’engager durablement. D’une certaine manière cette messe d’enterrement dramatique dans la chapelle sera un événement fondateur dans l’histoire de ce combat pour la dignité.
Garder et transmettre les traces de son histoire
Alors que les bâtiments destinés aux personnes en grande précarité, sont en général construits de manière provisoire et de ce fait, souvent rasés, la petite chapelle est toujours là pour témoigner. Témoigner de la beauté et de la solidarité, vécues, ressenties, partagées au fil de années dans sa petite nef.
Charpentiers, tasseau renforcement de la faîtière, captures d’écran du film "La chapelle de tout le monde" © Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui
Pose plaque en zinc - vissage profil en pied, captures d’écran du film "La chapelle de tout le monde" © Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui
Par ses matériaux de récupération, son élégante simplicité, ses vitraux dessinés par le peintre Jean Bazaine et réalisés par la vitrailliste Marguerité Huré, elle parle directement au cœur.
Aujourd’hui, alors que le bidonville a laissé la place à des HLM et à une cité de promotion familiale animée par ATD-Quart Monde, ce quartier social de Noisy-le-Grand est très fier d’abriter ce monument historique.
© "Archives famille Bazaine"
Les travaux de restauration ont commencé en juillet 2019. La rénovation a permis de mettre aux normes le bâtiment et lui permet de se projeter dans l’avenir tout en respectant le plus possible la structure d’origine.
Pose des vitraux, captures d’écran du film "La chapelle de tout le monde" © Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui
Les étapes principales des travaux : dépose de la couverture en fibrociment, restauration de la charpente et de la toiture, rénovation des murets latéraux et des vitraux. Restauration de la statue de la Vierge, nettoyage des trois vitraux existant de Jean Bazaine tandis que les deux vitraux manquants seront remplacés par des créations respectueuses de l’artiste.
Fruit d’un combat contre l’exclusion
Inauguration le 18 septembre 2021 lors des Journées européennes du patrimoine, captures d’écran du film "La chapelle de tout le monde" © Claire Jeanteur et Brahim Sahraoui
La restauration dont elle a bénéficié, lui a permis de développer également une vocation au carrefour de la culture et de la spiritualité, toujours au service de la fraternité. Fruit d’un combat contre l’exclusion, aujourd’hui encore, elle accueille chacun dans sa différence.
Programmation : Un film inédit diffusé lundi 14 février 2022 à 20h40 sur KTO