Une collaboration entre les services régionaux des Douanes et ceux du ministère de la Culture
Le service régional des Douanes de Bretagne a restitué à la paroisse de Crozon les deux statues à l’occasion d’un chantier de rénovation du presbytère de cette commune.
La cérémonie s’est tenue en présence des agents de la brigade des Douanes de Roscoff ayant intercepté la première statue à sa sortie de France, et d’officiers du Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) ayant réalisé l’enquête qui a permis de retrouver la seconde statue.
Les deux statues restituées à la paroisse de Crozon © DRAC Bretagne
L'origine de la découverte date du 22 octobre 2019 lors du contrôle des passagers à l’embarquement d’un ferry à destination de Plymouth. Les agents des douanes de Roscoff découvrent à cette occasion une statue sculptée en pierre. Le ressortissant britannique qui la détient indique l’avoir achetée à un antiquaire de la région. Il ne peut présenter aucun document autorisant la sortie de France de cet objet, les douaniers bloquent donc la statue et sollicitent une expertise.
Celle-ci est réalisée par la conservatrice régionale des monuments historiques de la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne. Elle confirme l'intérêt patrimonial majeur de la statue qu'elle date du XVIIe siècle. La sculpture est réalisée dans un bloc de kersantite, une roche volcanique grise provenant d'affleurements majoritairement localisés en bordure de la rade de Brest. La pièce géminée représente dos à dos Saint-Pierre et Saint-Jean l’Évangéliste. Cette disposition donne à penser qu'elle provient d'un calvaire démembré. Elle est attribuée au sculpteur Roland Doré, dont les œuvres sont très répandues dans les enclos paroissiaux bas-bretons. La statue correspond bien à la définition de « bien culturel » au sens du code du patrimoine : pour pouvoir quitter la France, elle aurait dû être accompagnée d’un certificat délivré par le ministère de la culture.
Les faits sont dénoncés au parquet de Brest, qui saisit le Service d'enquêtes Judiciaires des finances (SEJF). Le non-respect des formalités relatives aux biens culturels constitue à la fois un délit douanier et un délit pénal.
L’enquête révèle que la statue a été volée à l’occasion d'un chantier de rénovation du presbytère de Crozon. Le voleur, qui a également dérobé une deuxième statue, est identifié. Un antiquaire de la région est également mis en cause. Il avait vendu la première statue à un autre antiquaire pour une exportation en Angleterre et la deuxième statue à un particulier français.
L’auteur du vol et l'antiquaire ont été condamnés par le tribunal judiciaire de Brest le 4 juillet 2022 et les deux statues restituées à la paroisse de Crozon le 14 décembre 2022 grâce à la vigilance et à la sagacité des douaniers de Roscoff complétées par l'expertise des services régionaux du ministère de la Culture.
Statue d'évêque bénissant © DRAC Bretagne
Statue géminée représentant dos à dos Saint-Pierre et Saint-Jean l’Évangéliste © DRAC Bretagne
Autres restitutions rendues possibles grâce au travail entre les forces de l’ordre et les services de la DRAC Bretagne
Le partage d'informations entre la DRAC et l'Office centrale de répression du trafic de biens culturels (OCBC) a ainsi permis de retrouver et de restituer en 2013 une statue de vierge en albâtre dérobée le 30 juin 1980 dans l'église du Vieux-Bourg de Pléherel sur la commune de Fréhel dans les Côtes d'Armor.
Quatre des sept panneaux en albâtre d'un devant d’autel dérobés dans la nuit du 13 avril au 14 avril 1969 dans l'église Notre-Dame-du-Tertre à Châtelaudren dans les Côtes d'Armor, ont pu être retrouvés entre 1990 et 2015 aux Pays-Bas, en Belgique et dans une collection privée anglaise.
Plus récemment, les échanges entre le Service régional de l’archéologie et l'OCBC ont confirmé l'origine d'une exceptionnelle plaque équestre armoriée en émail champlevé. Confiée au musée de Cluny, elle vient en réalité de la prospection illégale d’un détectoriste et non d'une collection privée morbihannaise comme l'annonçait le catalogue de la maison de ventes.
Roland Doré, "architecte et sculpteur du roi en Bretagne"
L'homme
Le musée des Jacobins de Morlaix a consacré à Roland Doré une exposition en 1988 qui a réuni de nombreuses pièces et documents d'archives. La vie de l'artiste reste cependant largement méconnue. Il nait entre 1585 et 1560, peut-être à Landerneau et certainement en Bretagne bretonnante. Il apparait dans plusieurs registres de paroisses landernéennes ou naissent ses enfants sous le nom de Rollandus an Allaouret. Des archives témoignant des commandes qui lui sont faites font apparaitre Roland Doré ou Le Doré, traduction française du nom local. De son union avec Jeanne Sanquer naissent au moins quatre filles entre 1612 et 1629.
Alors que l'on connait les étapes de formation de plusieurs orfèvres landernéens de son époque qui font escale à Rennes, Paris, Bordeaux et Toulouse, on ignore tout du cheminement d’apprentissage de Roland Doré. Il s'identifie lui-même comme "architecte et sculpteur du Roi en Bretagne". Artiste contemporain de Louis XIII, de Richelieu, de Georges de La Tour et de Philippe de Champaigne, Rolan Le Dorée de Plessis-Meur serait décédé chez l'une de ses filles, dame Kerdelent, et aurait été enseveli le 13 février 1663 en l'église de Plouédern, où se trouve un baptistère qu'il a signé.
Le sculpteur
En 2014, dans l'ouvrage Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, Emmanuelle Le Seac'h publiait le catalogue raisonné du sculpteur du Roi Roland Doré. Actif de 1618 à 1663 à Landerneau, il réalise exclusivement ses sculptures en kersanton. La kersantite extraite des carrières proches de la rade de Brest est aussi résistante que le granit mais son grain est plus fin et plus aisé à sculpter après son extraction. Roland Doré travaille pour plus de 82 paroisses, principalement du Léon et du nord de la Cornouaille. Emmanuelle Le Seac'h dénombre et lui attribue 89 statues pour 25 paroisses, parmi lesquelles 54 apôtres sous les porches. S'y ajoutent les personnages d'une petite centaine de croix et calvaires, mais aussi des fontaines, des fonts baptismaux et même quelques gisants.
Le style de Roland Doré est proche de l'épure et se reconnait aisément à travers quelques traits : ses personnages présentent des yeux dont l'amande en forme de losange est soulignée d'un trait creux et dont les pupilles sont souvent creusées. Les visages sont ronds à partie inférieure triangulaire dotée d'un petit menton rond. La bouche, très caractéristique, est fine, figée en demi-sourire énigmatique, avec des commissures creusées en fossettes. Leur anatomie se cache sous des étoffes lourdes mais aux plis naturels et les mains, souvent disproportionnées par rapport au reste du corps, sont stylisées.
En savoir plus :
- sur la restitution des deux statues de Roland Doré le dossier de presse du service régional des Douanes
- sur la recherche de bien volés ou disparus
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