Le bosquet du Théâtre d’eau, créé à Versailles par Le Nôtre, puis détruit en 1775, est aujourd’hui entièrement réinventé par le paysagiste Louis Benech et l’artiste Jean-Michel Othoniel. Ouverture le 11 mai.


Somptueuse découverte en vue pour le public du Château de Versailles : le bosquet du Théâtre d’eau entièrement réinventé par le paysagiste Louis Benech et l’artiste Jean-Michel Othoniel est en effet inauguré le 11 mai. Fidèle à l’esprit d’André Le Nôtre, accueillant, original autant qu’audacieux avec ses sculptures fontaines, rappelant la danse du roi, installées sur le site de manière pérenne, le projet de création contemporaine du tandem devrait rapidement rallier tous les suffrages.

Louis Benech : « La démarche de Le Nôtre m’a inspiré »

En réinterprétant le bosquet du Théâtre d’eau, vous vous glissez dans les pas d’André Le Nôtre au point, comme celui-ci pour certaines de ses réalisations, d’avoir souhaité travailler en tandem ?

Le Nôtre a en effet souvent fait appel à d’autres compétences créatives, on pense spontanément à Le Brun, à François et Pierre de Francine, ou aux sculpteurs qui ont travaillé à ses côtés. Cette démarche m’a naturellement inspiré. En m’adressant à Jean-Michel Othoniel, j’étais certain de son expression, c’est un artiste qui peut parler aux enfants et qui, entre autres grands talents, a celui d’un ornemaniste du XVIIe siècle, une qualité évidente dans un endroit comme Versailles. J’ai également agi de cette façon pour une autre raison : Le Nôtre, à la demande de Louis XIV, a souvent implanté de très grands arbres – Louis XIV, comme tous les grands sur terre, avait une envie de maturité –, or c’est une aberration quand on sait qu’un arbre planté « adulte » a dix fois moins de capacité à s’enraciner proprement. A côté de l’if et du buis que j’ai conservés, j’ai donc procédé à de nouvelles plantations. Mais cela a pour conséquence que le jardin n’est absolument pas spectaculaire pour le moment. Dans l’impatience du monde contemporain où tout va vite, il était donc important d’avoir autre chose à raconter qu’un seul jardin. Comme j’étais terriblement intimidé d’avoir à travailler dans un endroit comme Versailles – comment réécrire une histoire qui en soit digne ? – j’ai pensé que Louis XIV, Le Nôtre et Le Brun pourraient en quelque sorte être ma propre mythologie et se substituer à la mythologie antique pour réinventer ce lieu.

Vous évoquiez à l’instant l’if et le buis que vous avez conservés...

Je m’inspire là encore de la démarche de Le Nôtre. On sait en effet que, lorsqu’il travaille dans les Jardins de Trianon pour son bosquet des sources, Le Nôtre dessine ses bassins autour et à côté des arbres existants, il ne fait pas table rase de l’endroit. Ces deux arbres sont en outre probablement des encens. C’est une seconde génération par rapport à ce qui a été planté initialement par Le Nôtre mais ce sont des semis spontanés. Un arbre s’est abattu sur l’if lors de la tempête de 1999. Depuis, tous ses anneaux de croissance en gardent la trace. Conserver des arbres qui ont un peu de maturité quand tout ce qui a été replanté ressemble pour le moment à de petites allumettes donne tout de suite plus de panache à l’endroit.

« C’est un endroit destiné à être une distraction et un plaisir digne de Versailles » (Louis Benech)

Dans cette réinterprétation contemporaine, vous inventez un autre paysage tout en conservant des repères.

Je respecte totalement la seule authenticité qui reste dans cet endroit. Celle-ci est invisible autant que tellurique dans les lieux de l’histoire. Ce que j’ai trouvé merveilleux dans mon travail avec Jean-Michel Othoniel, c’est que l’on a retrouvé des morceaux de pâtes de verre bleus dans les fondations de la nappe d’eau, et Jean-Michel Othoniel s’en est resservi pour faire le bleu – qui n’est pas un bleu roi – de certaines de ses perles des quatre fontaines. Il s’est dit : à côté de l’or, je vais réintroduire une autre couleur et ce sera le bleu. Dans notre travail, il y a donc aujourd’hui en surface une pensée et un hommage à quelque chose qui existait. Sans aucun mimétisme : une perle n’est pas un morceau de pâtes de verre brisé.

Le bosquet est un lieu ouvert, il pourra en permanence accueillir des visiteurs

Il n’était pas question de faire quelque chose de fragile, il fallait que cela soit suffisamment charmant pour être vécu facilement, y compris par les enfants. J’espère que le lieu ne sera pas aménagé, qu’il y aura du monde tous les jours. C’est un endroit destiné à être une distraction et un plaisir digne de Versailles mais où l’on puisse aussi se poser et être au calme, ce que permet sa situation en dehors du tracé de la promenade axiale.

Jean-Michel Othoniel : « Trouver la justesse d’un geste contemporain dans une lignée classique »

Vous dites que vous êtes intervenu sur le paysage à la façon d’un architecte ?

En réalité, c’est la première fois que je travaille à l’échelle du paysage. J’avais jusque-là plutôt fait des œuvres qui se posaient dans le paysage, comme Le Kiosque des noctambules place Colette, à Paris. Pour le bosquet du Théâtre d’eau, c’est le travail sur l’eau qui fait le lien entre le paysage et les fontaines, qui les ancre dans le paysage. Dès que l’eau se met en marche, ces sculptures sont surmontées de constructions cristallines allant jusqu’à sept mètres de haut qui créent un vrai dialogue avec le paysage et notamment la façade de Versailles. Le projet va évoluer avec le temps, c’est ce qui en fait aussi toute la beauté. Aujourd’hui, les fontaines sont très présentes mais progressivement les arbres vont pousser, on aura l’impression d’être dans une clairière, le visiteur découvrira les fontaines et les sculptures à travers les arbres. Les perceptions seront également très différentes selon les saisons.

« Un vrai dialogue avec le paysage et notamment la façade de Versailles » (Jean-Michel Othoniel)

C’est un projet qui raconte une histoire, vous vous êtes inspiré, je crois, des théâtres de verdure sur lesquels le roi dansait...

Quand Louis Benech a dessiné le projet, il a remplacé les scènes de théâtre qui existaient au temps de Louis XIV par deux bassins tout en veillant à conserver des repères historiques. Quand j’ai dû trouver ma place dans le projet, ces scènes me sont apparues comme un terrain d’expression évident : c’était des espaces vierges, il y avait ce jeu avec le ciel qui se reflète dans l’eau et ce rapport à l’espace. J’ai donc eu envie de me poser sur l’eau. Le rapport à l’écriture du chorégraphe Raoul-Auger Feuillet mise en place pour Louis XIV a ensuite été la clé qui m’a permis de faire un lien avec mon écriture contemporaine de sculptures elle-même basée sur cette idée de nœuds et d’entrelacs. J’ai été bouleversé par cette écriture. Elle est très belle, contemporaine, on a l’impression d’être en face d’un dessin de Chillida. D’où cette idée de redessiner l’alphabet qu’avait créé Feuillet pour faire danser le roi mais cette fois sur l’eau et trois cents ans plus tard ! Puis je me suis dit que l’on pourrait transformer ces sculptures en fontaines en acheminant l’eau à travers les structures qui supportent les calligraphies. L’eau en outre vient amplifier le geste de la calligraphie et amène également une autre notion importante dans le ballet, celle du son. Louis Benech a voulu un bosquet vallonné. La musicalité évolue selon l’endroit et la hauteur par rapport aux fontaines : le son apparaît et disparaît.

Il fallait oser proposer un tel geste...

Dans ce projet, le message le plus fort est celui adressé par le Château de Versailles lui-même. C’est dire ! Quand il n’y a plus de traces archéologiques, ni de quoi faire une restauration de l’antique, plutôt que de fabriquer un faux décor, faisons confiance aux artistes contemporains. Lorsque nous nous sommes retrouvés ici pour la première fois à creuser le sol de Versailles, c’était très émouvant. Le bosquet du Théâtre d’eau est pérenne, il va s’inscrire dans l’histoire, c’est quelque chose d’extraordinaire et d’unique, mais cela n’avait rien d’évident au départ. Il a fallu créer une unanimité autour du projet, rallier le jury à notre cause. Il y a eu une vraie prise de risque de la part de Louis Benech. Ensuite, nous avons dû ensemble convaincre de la justesse d’un geste contemporain dans une lignée classique. Nous avons eu la chance de bénéficier du soutien sans faille de la présidence du Château de Versailles. Catherine Pégard a eu la grande générosité et l’intelligence de continuer ce projet décidé par son prédécesseur Jean-Jacques Aillagon et de le porter jusqu’au bout. On se retrouve aujourd’hui avec une réalisation et une sensibilité qui, tant au niveau du jardin que des sculptures, s’adressent au public d’aujourd’hui.

Une inauguration sous le signe de la danse

Benjamin Millepied, actuel directeur du ballet de l’Opéra national de Paris, a été invité, avec la compagnie du L.A. Dance Project dont il est le directeur-fondateur, à participer à la renaissance du bosquet du Théâtre d’Eau. Ainsi, les 10 et 11 mai 2015, lors des inaugurations officielles, les danseurs du L.A. Dance Project, exceptionnellement accompagnés du performeur Lil Buck, interpréteront O’de, une pièce chorégraphique inédite spécifiquement créée pour l’occasion par Julia Eichten et directement inspirée par Les Belles Danses de Jean-Michel Othoniel.