En se plaçant sous les auspices de Molière, la Semaine de la langue française et de la Francophonie explore les mille et un secrets de notre langue.

Quatre cents ans après la naissance de leur génial auteur, les pièces de théâtre de Molière n'en finissent pas de susciter notre admiration par leur rythme enlevé et leur verbe haut. Face au succès permanent de ses pièces, la Semaine de la langue française et de la Francophonie, dont l'objectif est de célébrer le français sous toutes ses formes, ne pouvait, à l'évidence, que placer sa 27e édition sous cet illustre patronage littéraire et linguistique.

« Ça (d)étonne » – c’est le thème de cette édition 2022 qui se tiendra su 12 au 20 mars – nous invite donc à explorer tous les secrets de la langue française, depuis les sonorités mystérieuses jusqu’à l’orthographe parfois inattendue, en passant par ses richesses étymologiques. Et pour incarner la vitalité inentamée de la langue de l'auteur de L'école des femmes et du Bourgeois gentilhomme, est-il meilleur parrain que le comédien Michel Boujenah, qui donnera une lecture d’une tirade de L’avare à l’occasion de la traditionnelle dictée francophone ?

Avant ce rendez-vous très attendu – et de nombreux autres – nous vous présentons, en guise d'avant-goût, trois façons dont notre langue nous (d)étonne...

« On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps ! » : la légende Molière

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Molière est mort en 1673, mais son œuvre est immortelle. Selon Martial Poirson, un spécialiste de l’auteur, il est l’un des rares artistes ayant suscité une légende spontanée presque de son vivant. En 1705, Grimarest, son premier biographe ne s’y est pas trompé, estimant que « ses pièces représentées sur tant de théâtres, traduites en tant de langues, le feront admirer autant de siècles que la scène durera ».

Effectivement, chaque génération a su trouver chez Molière des résonances avec la société et la culture de son époque. Au XVIIIe siècle, il est, pour Diderot et L'Encyclopédie,  un homme des Lumières avant les Lumières. C’est au XIXe siècle qu’il devient le symbole de « l’esprit français ». On émet alors l’idée que le sens critique porté par son œuvre serait en fait issu d’une longue tradition, qui irait des Gaulois à Molière en passant par Rabelais. C’est aussi à cette époque qu’apparait l’expression « langue de Molière » pour parler de la langue française.

De nos jours, les procédés comiques employés par les humoristes sont semblables à ceux qu’utilisait Molière. La gestuelle et les mimiques effrénées de Louis de Funès, les jeux de mots et calembours de Raymond Devos, le sens de la répartie de Djamel Debbouze ou la manière dont Coluche s’attaquait aux puissants et aux mœurs de notre époque… Ils sont tous les héritiers de cette longue tradition comique. Molière est véritablement l’inventeur de l’humour français.

Le jeu de mots (et de maux), de Tardieu à l’OuliPo

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De nombreux auteurs ont fondé leur œuvre autour des jeux de mots. Prenons Jean Tardieu, l’auteur de Un mot pour un autre en 1951. Dans cette pièce de théâtre les personnages sont affectés d’un trouble fort ennuyeux : ils remplacent les mots attendus par d’autres qui n’ont rien à voir. Et pourtant, la pièce demeure néanmoins étonnamment compréhensible pour le spectateur. Par exemple, le personnage de Madame accueille son amie la Comtesse de Perleminouze avec enthousiasme et avec ces mots totalement saugrenus : « Chère, très chère peluche ! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n’avais-je pas eu le mitron de vous sucrer ! ». Avec ses jeux de mots, Tardieu interroge le sens (ou son absence) de la vie.

L’Ouvroir de littérature potentielle, plus connu sous l'acronyme d’OuLiPo, est sans conteste le mouvement littéraire qui va pousser le plus loin l’expérimentation en matière de jeux de mots. Fondé en 1960 par le mathématicien François Le Lionnais et par l’écrivain Raymond Queneau, l’OuLiPo a pour but de développer de nouvelles formes du langage au moyen de contraintes et de jeux d’écriture. L’écrivain qui a donné le plus grand écho aux expérimentations de l’OuLiPo est Georges Perec. Il écrit en 1969 La disparition, texte qui ne contient pas la lettre « e », la lettre la plus utilisée en français ! Il s’agit d’un lipogramme, une contrainte formelle qui consiste à se passer d’une lettre dans un texte. S’imposer cette contrainte oblige évidemment l’auteur à quelques petits ajustements, ainsi l’expression « se mettre sur son trente-et-un » devient « se mettre sur son vingt-huit plus trois » : « Chacun gagna son local privatif, puis réapparut, un instant plus tard, mis sur son vingt-huit plus trois. ».     

Si le défi littéraire est amusant (et exigeant), il est très loin d’être futilement utilisé. En faisant disparaître une lettre de son œuvre, Pérec écrit en filigrane comme une métaphore de la Shoah et de la disparition des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Preuve s’il en était besoin que le jeu de mots peut être sérieux et utile pour dire les maux.

Parler en verlan, est-ce parler français ?

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Si c’est en 1968 que le mot verlan revêt une orthographe officielle et attestée, son histoire traverse le temps et les frontières tant sociétales que linguistiques. Mais parler verlan est-ce pour autant parler français ?

Dans la tradition orale, le verlan c’est l’histoire de secrets et de codes pour faire passer des messages que l’on adresse à quelques initiés. Parler verlan, c’est au départ parler à rebours de règles et parfois d’entraves. N’en déplaise, ce mode d’expression ne date pas de l’avènement du rap et de l’expression dite des « téci », mais fait son apparition au XIIe siècle au plein cœur de l’amour courtois et de Tristan (Tantris) et Iseult. Il se développe ensuite au XVIe avant d’être fortement utilisé durant la Seconde Guerre mondiale pour crypter les messages au nez et à la barbe des Allemands, puis dans les milieux populaires de Paris et de sa banlieue. De l’élégance à la française au choix d’imposer sa vision politique, le verlan s’érige ainsi depuis presque toujours comme une langue dans la langue et – pourquoi pas ? – comme le français des Français.

 Si la langue de Voltaire passe aujourd'hui pour le parangon de la langue classique, sachez que Voltaire lui-même, de son vrai nom, François-Marie Arouet a choisi son nom d’auteur en inversant les syllabes de la ville d’Airvault ! De la même manière qu’il surnommait Denis Diderot, « Monsieur Tompla », en référence à Platon. Les arts et la littérature n’ont eu de cesse de verlantiser leurs noms jusqu’à aujourd’hui, lisez Straome, reconnaissez le « Maestro » ! Et puis c’est en 1953, avec le roman policier Du rififi chez des hommes d’Auguste Le Breton qu’est formalisé le « verlen » ou « vers-l’en ». A partir de là, rebelles et amoureux de la vie hors-cadre ne cesseront d’en user, en commençant par Jacques Dutronc qui chanta avoir « la vellecère qui zéfeu des gueuvas » et par qui depuis le verlan a investi les banlieues parisiennes.

« - Saïd tema la vache ! » C’est dans La Haine, film sorti en 1995 que toute une génération se reconnait encore aujourd’hui. De l’argot acidulé ou sentimental de Renaud (« laisse béton ») dans les années 1980 au rap de NTM (« passe le oinj ») dans les années 1990 ou de Fianso (Sofiane de son vrai prénom) aujourd’hui, le verlan s’est imposé comme l’expression d’une société s’affranchissant de règles mais qui en propose de nouvelles construites sur la richesse des cultures. Ainsi, le verlan ne s’arrête pas à une simple figure de style inversant les syllabes mais crée un laboratoire de mots et de sonorités aux couleurs d’un pays ouvert sur tous les possibles. Car s’il est question d’identités, c’est peut-être à leurs rencontres que se que créée celle de la France, aux rythmes (d)étonnant des mots et de ses diversités. Alors pourquoi ne pas considérer que parler verlan c’est possible sans pour autant en perdre son latin !