Le monde de la culture, qui s’est mobilisé pendant la crise sanitaire au bénéfice de la collectivité tout entière, prépare déjà le monde d’après. Second volet de notre enquête : comment des théâtres lyriques et des étudiants en design se sont engagés dans la fabrication de masques (2/2).

Étudiants de la filière design, petites mains des opéras de Toulouse, Paris, Bordeaux, Nantes-Angers ou Rennes... Ils sont nombreux à avoir mis leurs compétences au service de la fabrication de masques et autres équipement de protection. Reportage sur les acteurs du monde de la culture qui se sont réinventés lors de la crise sanitaire.

L'exceptionnel engagement des théâtres lyriques

Au-delà du très bel hommage vidéo adressé par le Ballet national de l'Opéra national de Paris aux travailleurs impliqués dans la lutte contre la pandémie, un grand nombre de théâtres lyriques se sont mobilisés, au cours de ces deux derniers mois, de façon exceptionnelle sur tout le territoire. De Lyon à Rennes en passant par Paris, Bordeaux et Lille, couturiers et artisans se sont en effet attelés à la fabrication d'équipements de protection. L'équipe de l'atelier costume de Marseille a ainsi été l'une des premières à s'engager dans la production de masque en tissu : au 14, rue Gaillon – l'adresse de l'atelier – 15 couturiers se relaient par équipe de 5 depuis le début du mois d'avril, créant près de 150 masques par jour. Au total, 25 000 masques devraient être conçus par leur soins. Ils seront distribués aux personnels municipaux, puis aux habitants de Marseille.

 

Masques opéra national de Paris

 

A Paris, confinement oblige, c'est à domicile que les petites mains s'activent. Les masques "faits maison" sont récupérés par Christine Neumeister, la directrice des costumes de l'Opéra de Paris, qui les livre aux institutions qui en ont le plus besoin : Croix-Rouge de Clichy, maternité du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, Armée du Salut... A Bordeaux, la distribution est assurée les chauffeurs de l'Opéra, qui sont également chargés de faire parvenir les matières premières aux couturiers.

Les masques ne sont toutefois pas les seuls produits réalisés, comme en témoigne l'initiative des couturières de l'Opéra national du Rhin, qui ont pris part à une chaîne de réalisation de sur-blouses pour l'hôpital de Saverne. Qui plus est, ces élans de solidarité donnent parfois lieu à de nouvelles collaborations, comme à Lille, où l'atelier de costume travaille main dans la main avec la collectif solidaire "Le souffle du Nord" et, plus étonnant, l'entreprise Lemahieu (Le Slip Français).

 

"Notre travail, qui est le métier d'art dans toute sa splendeur, peut aussi servir en temps de crise"

 

Une action valorisante

Si les opéras disposent des ressources et du personnel nécessaires pour entamer une telle démarche, celle-ci ne va pas pour autant de soi. "Nous faisons habituellement un travail très varié, artisanal, et aujourd'hui nous sommes sur un travail en série", souligne l'un des artisans de l'Opéra de Rennes dans un reportage de France 3. Cet "effort de guerre" semble toutefois bien vécu par les principaux concernés. "C'est valorisant. Notre travail, qui est le métier d'art dans toute sa splendeur, peut aussi servir en moment de crise", observe Christine Neumeister. Isabelle Daumas, couturière à l'Opéra de Toulouse, se dit elle aussi "ravie de prendre part à une action concrète" . "Au bout de quelques mois, on a envie de faire quelque chose avec nos compétences", explique-t-elle.

Au-delà du savoir-faire, la matière peut également être mise à profit : à Marseille, les stocks de tissus utilisés pour les finitions des costumes font partie intégrante de la réalisation des masques textiles. "On allait pas non plus mettre du brocard à 300 euros le mètre", précise avec humour Alain Gaudessart, chef de cet atelier costume, avant de se déclarer "particulièrement satisfait" de faire un travail "utile à la collectivité".

 

 Permettre de mieux comprendre le présent en vue de mieux appréhender l'avenir, soit une autre manière, pour la culture, de répondre aux enjeux posés par la crise sanitaire.

 

De la création de visières à l'expression du "vécu" : l'ENSCI mobilisée

Cet élan de générosité et de volontarisme se retrouve également dans d'autres pans du secteur de la culture, comme en témoigne l'engagement des Ateliers, à l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI). Celle-ci s'est associée au collectif "Initiative 3D" destiné à mobiliser tous les moyens de fabrication additive disponible en France pour assister le personnel médical face à la pandémie. L’École a ainsi mis à disposition d'un groupe de diplômés volontaires ses imprimantes 3D, qui ont été utilisées pour créer plus de 1200 visières de protection, ensuite distribuées aux soignants d'île-de-France. Initiative 3D a salué la qualité des produits ainsi que "leurs couleurs joyeuses", allant du vert sapin au jaune moutarde en passant par le rose pastel.

"Après plusieurs tests de différentes versions de modèles, nous on en avons sélectionné un qui répondait correctement à tous les critères : bonne tenue sur le front, économie de matière, temps de fabrication faible, assemblage simple...", explique Johan da Silveira, responsable de l'atelier CFAO (Conception et Fabrication Assistée par Ordinateur) de l'Ecole. A partir de là, la mobilisation d'une poignée de jeune diplômés de l'ENSCI fait le reste. "Tout au long du mois d'avril ils se sont déconfinés à tour de rôle, leur attestation en poche, pour fabriquer, poncer et préparer les visières. Nos élèves en cours de scolarité ont aussi réussi à se rendre utile, par des dons de matière première ou la mise à disposition de leurs petites machines d'impression 3D personnelles", souligne l'enseignant. "J'espère que notre travail aura permis de sauver des vies ou en tout cas, permettre à ceux qui les sauvent de le faire dans de meilleures conditions", déclare Samy Bernoussi, l'un de ces diplômés. "Cela démontre, quoiqu'il en soit, le potentiel de production locale inhérent aux technologies de partage d'information et de production non standard, comme l'impression 3D", estime-t-il.

 

Opéra de Marseille

 

La crise a également incité l'ENSCI à donner à ses étudiants l'opportunité de mener un travail en lien avec le contexte actuel. Deux nouveaux ateliers de projets ont ainsi été mis en place au sein de l'école - l'un sur "le design en temps de crise" et l'autre sur "les nouvelles formes de solidarité humaine". Ils ont d'ores et déjà donné lieu à plusieurs initiatives prometteuses, dont un projet intitulé "1991 fictions" – en référence au roman "1984" de George Orwell et au chiffre 19 associé au virus – centré sur la collecte "des récits de fiction des imaginaires collectifs nés lors de l'épidémie de coronavirus" à partir d'un compte internet et d'un compte instagram.

Un autre projet, "Ressentis en couleur", vise, quant à lui, à illustrer le ressenti d'une aide-soignante volontaire pendant la crise du Covid-19. Un travail de mise en mot et en images salutaire pour nous permettre de mieux comprendre le présent en vue d'appréhender l'avenir – soit une autre manière, pour la culture, de répondre aux enjeux posés par cette situation exceptionnelle.