Recherche d’un concept, travaux d’écriture scénaristique, création de pilotes… Aujourd’hui, les séries télévisées bénéficient elles aussi, au même titre que le cinéma, de formations de tout premier plan. Suite et fin de notre enquête auprès de deux des plus prestigieuses écoles de l'image : la Fémis et le Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (2/2).

« Le projet de fin d’étude d’une élève de la première promotion, Irresponsable, a déjà été tourné et sera diffusé sur OCS, celui d’un élève de la deuxième promotion est en cours de développement chez un producteur financé par Canal+, et beaucoup d’autres sont promis à un bel avenir », Marc Nicolas, le directeur général de la Fémis a tout lieu de se réjouir. Trois ans à peine après son lancement, le « cursus création séries TV » de la prestigieuse école de cinéma engrange déjà de beaux succès.

A la Fémis, le cursus "Création de séries TV" est piloté par de prestigieux professionnels, Emmanuel Daucé, producteur d’Un village français et Des Hommes de l’ombre, Franck Philippon, scénariste de Maison close, et Frank Pugliese, l’une des plumes de House of Cards.

Ouvert à une douzaine d’étudiants âgés de moins de trente ans, d’une durée d’un an, il balaye tout le spectre de la formation, de l’enseignement de la dramaturgie spécifique à la série aux travaux d’écriture proprement dit – depuis l’écriture d’un épisode jusqu’à la création d’une série – en passant par des modules de formation spécifiques, et une présentation complète de l’environnement économique et juridique de la télévision française et de la coproduction européenne. Et s’offre le luxe d’être piloté par de prestigieux professionnels, Emmanuel Daucé, producteur d’Un village français et Des Hommes de l’ombre, Franck Philippon, scénariste de Maison close, et Frank Pugliese, l’une des plumes de House of Cards. « Au moment où nous étions en train de définir le programme des études, je suis allé à New-York rencontrer des auteurs qui intervenaient déjà ponctuellement à l’école, j’ai demandé à Frank Pugliese s’il accepterait d’être l’un des directeurs du département série, j’ignorais que six mois après il serait embauché par l’équipe de House of Cards  », se souvient Marc Nicolas. Une ouverture vers les États-Unis, l’eldorado des séries, qui se traduit également par l’organisation d’un voyage d’étude pendant la scolarité : les élèves passent une semaine à New-York, une autre à Los Angeles, où ils rencontrent la fine fleur des auteurs, producteurs et diffuseurs. Une manière d’inscrire le renouveau de la série en France dans l’incroyable dynamique américaine des vingt dernières années.

« En réalité,  nous apprenons deux choses à nos auteurs de séries : inventer et écrire une série entièrement nouvelle et pouvoir s’intégrer à une série déjà existante », souligne encore Marc Nicolas. Pari gagné là aussi : à la suite de l’exercice organisé pendant la scolarité qui consiste à écrire un épisode d’une série déjà existante sous la conduite du créateur de la série, les producteurs souhaitent pour la deuxième année consécutive acheter l’épisode écrit pendant l’exercice.

Passer de l’écriture de la série à sa réalisation, voilà bien le principal enjeu de la formation, et l’opinion du directeur de la Fémis à cet égard est toute faite : « L’école forme des élèves, mais participe aussi à la structuration du champ de la réflexion sur les séries à côté des grands acteurs du secteur, raison pour laquelle nous bénéficions d’une grande complicité de la part de ces professionnels ; pour la deuxième année consécutive, TF1, France Télévisions et Canal+, ont accepté de participer financièrement à la réalisation les pilotes écrits pas nos élèves, c’est très emblématique, ces chaînes qui ne sont pas des mécènes acceptent de nous aider à faire des pilotes, un moyen de recherche développement encore peu utilisé dans l’industrie française de la télévision mais précieux entre tous pour tester un projet et vérifier qu’un scénario et une direction artistique donnent lieu à un univers de séries ».

Dans les salles du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA) où l’on passe une tête en compagnie de Patrick Vanetti, son directeur, l’ambiance est studieuse. Pas de cours mais quelques élèves qui travaillent en petits groupes. Pas question de déranger les futurs scénaristes. Car avant de devenir, peut-être, les professionnels des séries de demain, les élèves qui sortent du CEEA, qui fête cette année ses vingt ans, sont avant tout des scénaristes. « Les membres de notre conseil d’administration sont les fabricants de la fiction à toutes les étapes, notre pédagogie est ancrée sur la réalité du métier, indépendamment de la série, qui nous occupe beaucoup, notre mission consiste à former des auteurs de fictions audiovisuelles et notre première préoccupation consiste à leur donner un maximum d’outils et d’exercices sur différents formats pour leur permettre de repérer leurs points forts et d’exprimer leur personnalité d’auteur sur le monde » précise d’emblée Patrick Vanetti.

« Au Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle, une campagne de taxe d’apprentissage à l’attention des entreprises du secteur a été mise en place afin d’aider les talents qui n’ont pas forcément les moyens de financer leur scolarité à préparer le concours d’entrée »

Des personnalités d’auteurs potentiellement très différentes, la formation, dispensée à douze élèves pendant deux ans, est en effet ouverte à des candidats âgés de 20 à 40 ans, un choix délibéré qui profite aux ateliers organisés tout au long de la scolarité où les élèves travaillent ensemble. Une campagne de taxe d’apprentissage à l’attention des entreprises du secteur a par ailleurs été mise en place afin d’aider les talents qui n’ont pas forcément les moyens de financer leur scolarité à préparer le concours d’entrée.

La formation longue, naturellement très axée sur la série – avec notamment toute une réflexion sur le sens de la série, son sujet et son thème – bénéficie d’aménagements récents qui lui permettent d’être encore plus en prise avec la profession : « Nous avons avancé le calendrier de l’atelier de création de série afin que nos élèves aient terminé de travailler sur un concept et un épisode de série dialoguée au mois de juin et puissent présenter le pilote aux producteurs et recueillir leur appréciation fin juillet », explique Patrick Vanetti. Autres modifications, la mise en place d’un module sur la psychologie des personnages ainsi qu’un atelier d’analyse et d’expression en anglais autour de la fiction et des termes de la fiction. Enfin, dernière nouveauté, un atelier de création de série de programme court : « Les élèves inventent les concepts de série puis mettent leur travail entre les mains des élèves réalisateurs de deux écoles privées, l’ESEC et l’Eicar, qui vont tourner les pilotes, et du Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris, qui composent la musique. Nous avons réussi à fédérer quatre établissements qui travaillent dans le même sens. Le travail qui en résulte est précieux. Les scénaristes ne doivent pas rester enfermés, ils doivent apprendre à connaître le plus vite possible le travail du réalisateur. Par la même occasion, ils comprennent que la fiction est une œuvre de collaboration autant, parfois, qu’un sport à risque ».

Autre force du CEEA, un foisonnement de formations continues sur les séries, « Le policier en 52’ » et « Fiction et enquête judiciaire » notamment, mais surtout « Le grand atelier série » organisé chaque année entre septembre et décembre, soit 210 heures exclusivement consacrées à la conception de séries. De plus en plus d’auteurs y participent depuis la mise en place d’un fond de formation continue pour les auteurs. « Chaque stagiaire arrive avec son projet original et personnel de série, nous commençons par l’accompagner dans le développement de son concept, puis nous organisons une rencontre avec des producteurs et des diffuseurs afin qu’ils prennent conscience de tous les enjeux, et enfin nous terminons avec une séance de pitch avec les producteurs, nous sommes très satisfaits, généralement, à l’issue de la formation, les stagiaires passent un cap professionnel ou intègrent le métier pour de bon. La famille Katz et Origines sont directement issues de cet atelier ».

Résultat : un taux d’insertion professionnelle de 80 % avec des élèves qui parfois font tout autre chose en sortant de l’école avant de revenir au métier, et d’autres qui rejoignent d’emblée la profession et collectionnent les succès. La longue liste des prix et distinctions remis aux élèves ces dernières années est de ce point de vue éloquente. Les anciens du CEEA sont partout et ils écrivent ou produisent. Pour la série, c’est le cas notamment de Jimmy Desmarais, le producteur délégué des Revenants ou de Christine Palluel, productrice entre autres de Nina. « Les champs d’expression de nos scénaristes ou des élèves qui ont reçu un bagage chez nous est très large, mais tous restent dans la fiction », se félicite Patrick Vanetti.