L'autoproduction favorise-t-elle la diversité culturelle ? Les anonymes soutiennent-ils les mêmes projets que les producteurs professionnels ? Autant de questions auxquelles un ouvrage passionnant du ministère de la Culture apporte des réponses inédites à partir de l’exploitation des données de grandes plateformes de financement participatif. Second volet de notre dossier : où va le mécénat ? (2/2)

Si le financement participatif n’est pas nouveau puisque la légende veut que Mozart y eut recours au XVIIIe siècle pour financer un concert, son principe a été largement amplifié par la révolution numérique. Depuis un peu plus d’une décennie, ce mode de financement connaît, pour de nombreux projets artistiques et culturels, un réel engouement. En 2017, les fonds collectés par ce mode participatif représentent 45 millions d’euros pour la culture.

Mais qu’implique l’existence de ce modèle de financement pour les projets culturels ? Afin d’en savoir davantage, le département des études, de la prospective et des statiques (DEPS) du ministère de la Culture et le Laboratoire d’excellence Industries culturelles et création artistiques (Labex ICCA) ont lancé en 2015 un appel à proposition de recherche intitulé « Le financement participatif dans les arts, la culture et les médias ». Six études, reposant sur l’exploitation inédite des données de trois plateformes de don françaises - Ulule, KissKissBankBank et Touscoprod by ProArti -, ont ainsi été menées. Le 15 janvier dernier, à l’occasion de la parution de l’ouvrage Financement participatif : une voie d’avenir pour la culture ? co-édité par le ministère de la Culture et les Presses de Sciences Po, une restitution des résultats de ces recherches a été organisée à l’INHA. 

Après une première table ronde dédiée aux interactions sur les plateformes de financement participatif – dynamique des effets de réseau, profil et influence des internautes qui multiplient les contributions, stratégies de captation de l’attention des plateformes… -, un second débat a porté sur une question cruciale : les effets du financement participatif.

La place du public dans le financement de projets culturels

Le financement participatif sera-t-il substituable ou complémentaire d’autres modes privés de financement ? C’est ce qu’ont cherché à savoir Anna Bernard (Catolica Lisbon School of Business & Economics) et Marco Gazel (SKEMA Business School). A cette fin, les deux chercheurs ont sélectionné un ensemble de projets musicaux sur Ulule comprenant 50% de « succès » - c’est-à-dire de projets intégralement financés par financement participatif et lancés – et 50% d’«échecs », c’est-à-dire abandonnés faute d'avoir pu atteindre le montant de financement visé. Ils ont ensuite demandé à des « experts » de l’industrie musicale, producteurs et diffuseurs professionnels, d’indiquer quels efforts financiers ils auraient été prêts à consentir pour soutenir ces mêmes projets.

Les résultats obtenus indiquent que le public intéressé et l’industrie du disque s’accordent globalement sur la qualité des projets musicaux et sélectionnent majoritairement les mêmes projets. La foule semble toutefois prête à soutenir des projets qui n’auraient pas été financés par l’industrie. « Les montants engagés par la foule sont, sur certains projets, supérieurs à ceux de l’expert », précise Anna Bernard. Ces données suggèrent que le financement participatif peut être complémentaire au financement traditionnel. « Cette complémentarité ne réside pas tant dans la manière dont les fonds sont alloués que dans le stade auquel intervient le financement », souligne Anna Bernard. « La foule joue en effet un rôle de détecteur, elle a tendance à intervenir au tout début de la carrière des artistes, avant qu’il ne soient repérés par l'industrie musicale », ajoute-t-elle.

Les contributeurs préfèrent financer des projets similaires à ceux dont ils ont l'habitude

Un vecteur de diversité culturelle ?

Si le financement participatif est susceptible de financer des projets qui, autrement, ne seraient pas ou peu soutenus par les structures traditionnelles, favorise-t-il pour autant la diversité culturelle ? Pour répondre à cette question, Fabrice Rochelandet (Université Sorbonne Nouvelle – Paris III) a analysé près de 6000 projets audiovisuels - longs métrages, courts métrages de fiction, documentaires, émissions TV…- lancés sur KisskissBankbank, Touscoprod et Ulule entre 2010 et 2016.

Le chercheur a observé, dans un premier temps, que les projets qui avaient échoué ne différaient pas significativement des projets qui avaient réussi : ils comprenaient les mêmes genres, dans la même proportion – avec, par exemple, une majorité de fictions dans les deux cas. Il a également constaté que le financement participatif ne favorisait pas mécaniquement les projets les plus originaux, qui s’avéraient souvent difficiles à évaluer pour les contributeurs. « En fait, cette différenciation peut être un atout mais à une condition : qu’elle soit intelligible, c’est-à-dire que le projet soit compréhensible, avec une présentation très claire », explique Fabrice Rochelandet. « Si cette condition est remplie, alors le nombre de contributeurs tend effectivement à augmenter », ajoute-t-il. Enfin, les résultats de l’enquête mettent en avant l’existence de comportements mimétiques de la part des contributeurs mais aussi des porteurs de projets - une tendance qui s’avère plutôt défavorable à la diversité de ces mêmes projets. « Les contributeurs préfèrent financer des projets similaires à ceux dont ils ont l’habitude », observe Fabrice Rochelandet.

 

Distances géographiques entre porteurs de projets et financeurs

Mariannig Le Béchec (IAE Poitiers) et Sylvain Dejean (Université de la Rochelle) se sont intéressés, enfin, aux liens existants entre territoires, projets financés et géographie des contributeurs. Après tout, le crowdfunding permet-il réellement de démocratiser l’accès au financement ? Pour le savoir, les auteurs ont appliqué une méthode à la fois quantitative, par le traitement statistique et économétrique de données de la plateforme Ulule, et qualitative, au moyen d’entretiens auprès d’un échantillon de porteurs de projet et de financeurs. Ils ont ainsi obtenu une photographie de la répartition d’un vaste échantillon de projets et des financements sur le territoire français.

Premier constat : il existe une forte concentration des projets et des financeurs dans les départements abritant de grandes métropoles. « Paris concentre 1700 projets là où la Creuse, la Corse du Sud ou encore la Haute-Marne en rassemble moins de 10 ou 20 », observe Sylvain Dejean. Le dynamisme économique, la présence d’équipements culturels et d’actifs spécialisés dans le secteur de la culture sur un territoire contribuent donc à l’essor du financement participatif. Les disparités territoriales en matière d’implication citoyenne et associative influencent, elles aussi, les dynamiques de développement de ce mode de financement. En dépit des technologies numériques, l’attachement territorial des projets et des financeurs reste donc très fort. Les projets culturels demeurent néanmoins plus égalitairement répartis dans l’espace que d’autres activités économiques, centrées sur le service et l’industrie. « Nos résultats sont assez intuitifs mais ils ont l’avantage de bannir l’idée que le financement participatif va, de manière magique, permettre à des lieux qui de moyens de générer du profit », conclut Sylvain Dejean.

 

Publication : Financement participatif, une voie d’avenir pour la culture ?

Écrit sous la direction de François Moreau et Yann Nicolas, co-édité par le ministère de la Culture et les Presses de Sciences Po, "Financement participatif, une voie d’avenir pour la culture ?" présente les principaux résultats de l’appel à proposition de recherche sur le financement participatif dans les arts, la culture et les médias lancé conjointement par DEPS et le Labex ICCA. Ses trois premiers chapitres portent sur les interactions entre les différents types d’acteurs économiques du financement participatif tandis que les trois chapitres suivants concernent les effets produits par ce dernier.

Il est possible de le commander sur le site des presses de Sciences Po ou de l’acheter en version numérique.