L’architecture française brille à l’international. Alors que le Pavillon France, impressionnant bâtiment-paysage conçu par l’agence XTU, crée, jusqu’au 31 octobre, l’événement à l’Exposition universelle de Milan, la réalisation du nouveau musée d’art moderne et contemporain de Singapour qui ouvrira ses portes en novembre a été confiée à l’architecte Jean-François Milou.
Au concours des pavillons nationaux rivalisant d’ingéniosité et d’inventivité à l’Exposition universelle de Milan, celui de la France se hisserait assurément sur les plus hautes marches. Pour illustrer le thème de la manifestation – « Nourrir la planète, énergie pour la vie » – la France propose un bâtiment monumental entièrement construit en bois massif, reflet de la diversité des territoires français, dont la scénographie est ajustée au millimètre. « Le cahier des charges imposait le bois et la notion de marché couvert. Pendant le concours, différents projets ont été imaginés dont une structure sphérique rappelant l’architecture de Richard Buckminster Fuller, mais les architectes de XTU, s’inspirant de la diversité du relief de la France avec ses vallées, ses montagnes, ses plaines, ont finalement eu l’idée d’une masse de bois dans laquelle ils ont sculpté un paysage, puis de la retourner pour en faire un paysage inversé », explique Adeline Rispal qui, associée aux heureux élus de XTU – Anouk Legendre et Nicolas Desmazières – dans le cadre d’un marché de conception/réalisation comprenant également l’entreprise italienne CMC di Ravenna, assure la scénographie du pavillon. Résultat : un bâtiment qui impressionne par sa puissance – tous les éléments en bois sont imbriqués les uns aux autres de sorte qu’enveloppe et volumétrie intérieure semblent ne former qu’un – et sa forme organique, conséquence de l’habitude de l’agence XTU de mener des projets dans des contextes climatiques et culturels très différents en privilégiant les éléments naturels. Elle travaille ainsi actuellement sur le musée des civilisations de la Réunion, premier musée à énergie positive dans l’Océan Indien. Un bâtiment, en outre, dont les larges ouvertures, version XXL de celles des anciennes Halles de Baltard, décuplent l’harmonie entre extérieur et intérieur.
Un bâtiment tout en bois, qui impressionne par sa puissance et sa forme organique
« Je voulais que le visiteur puisse sentir tout l’espace d’un coup, qu’il comprenne la vision globale et systémique de l’alimentation. Le bâtiment est d’une puissance incroyable, il fallait que la scénographie tienne bon dessous, mettre une scénographie traditionnelle n’aurait pas tenu la route, c’est en colonisant la structure que nous pouvions en capter la puissance », poursuit Adeline Rispal à qui l’on doit récemment la scénographie de l’exposition permanente du MuCEM, le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Coloniser la structure, cela a consisté entre autres à remplir les dizaines d’alvéoles sous les voûtes du bâtiment de centaines de produits vrais et de bandes de végétaux suspendus la tête en bas renvoyant tour à tour à la vision d’un immense marché ou à celle d’une installation artistique.
Cela a également consisté à installer des écrans géants sur des remorques agricoles diffusant des films d’animation qui présentent un état des lieux ainsi que les solutions proposées par la France en matière de sécurité alimentaire. Mais la visite des lieux commence en réalité aux abords du Pavillon. A l’extérieur, le paysagiste Thierry Laverne a en effet conçu un immense jardin agricole. « Dans des allées en zigzag, on part des grandes cultures céréalières pour passer à la polyculture mélangée avec l’élevage et enfin aux productions maraîchères et spécialisées », souligne Adeline Rispal. Précisons enfin que le bâtiment est entièrement démontable et remontable. Une réussite totale unanimement saluée lors de l’inauguration, un atout alors que la France souhaite accueillir l’Exposition universelle de 2025.
Pas de bâtiment créé ex nihilo à Singapour mais des joyaux de l’histoire de l’île situés en plein cœur de l’ancien Singapour qui vont connaître une seconde vie. En 2006, le gouvernement décide de réunir ces deux piliers de la République que sont le City Hall et la Supreme Court – c’est dans le premier que Lord Mountbatten a accepté en 1945 la capitulation du Japon mettant fin à l’occupation de l’Empire du Soleil levant en Asie du Sud-Est – pour en faire un nouveau musée dédié aux arts visuels, la National Gallery Singapore. Au terme d’un concours international où pas moins de 111 architectes étaient candidats, le Français Jean-François Milou, connu pour son respect du contexte propre à chaque lieu et sa sensibilité à des formes simples, est choisi. Alors qu’il présente le projet dans le cadre somptueux du Carreau du Temple rénové – à domicile en quelque sorte puisqu’il s’agit d’une de ses réalisations récentes – il revient sur l’originalité de la démarche des autorités de Singapour : « C’est atypique de la part d’un gouvernement de faire une grande institution d’art moderne contemporain en utilisant deux monuments historiques, c’est complètement à contre-courant de ce que l’on observe à Hong-Kong, Bilbao ou Abu Dhabi où l’on parie sur l’innovation, utiliser la contrainte de la réutilisation en pensant qu’elle est susceptible de produire de meilleurs résultats est très judicieux ».
« C’est atypique de faire une grande institution d’art moderne contemporain en utilisant deux monuments historiques »(J.F. Milou)
Un témoignage auquel répond en écho celui de Didier Repellin, architecte en chef des monuments historiques, partenaire du studioMilou à travers l’agence Repellin Larpin et associés pour les projets à venir, éminent représentant de l’expertise française, à qui l'on doit le projet de réhabilitation de l'Hôtel-Dieu de Lyon : « Je suis allé à Singapour pour la première fois en 1986 dans le cadre d’une mission d’inventaire au cours de laquelle je devais identifier les éléments du patrimoine méritant d’être conservés. A cette époque, les autorités singapouriennes cherchaient le moyen de retenir les visiteurs plus longtemps sur leur sol. Je me suis vite aperçu que s’ils détruisaient leur patrimoine, les Singapouriens perdaient leur identité. Ces monuments racontent l’histoire du savoir-faire de cette ville depuis 1819. Il y avait là une approche différente, à la fois économique et identitaire ».
Pour la National Gallery, l’enjeu consistait selon Jean-François Milou à trouver un geste architectural extrêmement simple qui signerait la conversion du bâtiment tout en respectant l’existant. D’où l’idée d’un voile de verre et d’acier flottant sur les toitures terrasses et les coupoles des deux bâtiments historiques et venant délicatement s’ajuster au nouveau musée. « Si l’ajustement est bien fait, il n’y a pas de conflit », précise Jean-François Milou. L’innovation est omniprésente par petites touches : dans les espaces d’exposition, la lumière de Singapour, naturellement plate et forte, est adoucie grâce à un système de filtres, le sous-sol a été conçu pour que l’on ait l’impression qu’il a été glissé en-dessous, un contre-mur vient se glisser contre le mur historique… « Cette finesse de l’articulation entre ce qui est nouveau et ce qui existait avant donne, me semble-t-il, un sentiment de grand respect et de liberté, il est impossible de créer instantanément une grande institution d’art, cela mettra des années, des décennies peut-être mais les premières choses sont en place », conclut Jean-François Milou. Alors que le festival Singapour en France bat son plein jusqu’au 30 juin, Tan York Chor, ambassadeur de la République de Singapour à Paris, présent au Carreau du Temple est ravi : « C’est vraiment le meilleur projet qui a été choisi ».
Fleur Pellerin : « Une stratégie pour l’architecture destinée à développer notre rayonnement »
Malgré des réussites incontestables – qu’on songe seulement, sur le plan international, aux deux Pritzker, l’équivalent du prix Nobel de l’architecture, attribués à Christian de Portzamparc et Jean Nouvel, ou encore à l’audacieux pavillon français de Jacques Ferrier lors de l’exposition internationale de Pékin, l’un des seuls à être conservés tels quels par la Chine – la culture architecturale française est à la croisée des chemins. Pour « réaffirmer la valeur ajoutée de l’architecture pour la société et celle de la profession d’architecte dans l’économie de la construction et de la création », Fleur Pellerin a décidé de lancer, le 2 février, un large chantier destiné à définir une véritable stratégie pour l’architecture. « L’amélioration du cadre de vie, la ville de demain, la transition énergétique, le logement, la création, mais aussi le rayonnement de la France, tant sur le plan culturel qu’économique, sont autant de thèmes dans lesquels la profession a un rôle important à jouer », a ajouté la ministre. Placés autour de trois thématiques – mobiliser et sensibiliser, innover, développer – les travaux, qui réuniront architectes confirmés et jeunes professionnels, sont attendus en juin 2015.