Pour celles et ceux qu'il distingue, le titre de « Maître d'art » est un aboutissement, un point d'arrivée mais aussi de départ tant il fait le lien avec les générations futures. C'est bien le sentiment qui dominait parmi les lauréats de l'année 2013 et leurs élèves réunis le 15 novembre autour d'Aurélie Filippetti.
Inspiré par les « trésors nationaux du Japon », le titre a été créé en 1994 par le Ministère de la Culture et de la Communication afin de sauvegarder les savoir-faire utiles à la préservation et la réhabilitation du patrimoine et à la création artistique contemporaine. S'insérant dans un dispositif plus large de soutien du ministère aux métiers d'art, il est en quelque sorte la pointe émergée de l'iceberg.
L'un de ses objectifs, reconnus par l'Unesco, est de mettre en œuvre de véritables contrats de génération entre un professionnel ayant au moins 15 années d'expérience professionnelle, le « Maître d'art », et un plus jeune professionnel ayant au moins cinq ans d'expérience, « l'élève ». A l'issue de l'examen par l'Institut national des métiers d'art des 67 dossiers de candidature, huit nouveaux Maîtres d'art ont été distingués en 2013
Paroles de lauréats et d'élèves
Nelly Gable, Graveur de poinçons typographiques à l'Atelier du Livre d'Art et de l'Estampe de l'Imprimerie nationale
« A mon arrivée à l'Imprimerie nationale en 1989, aucune femme avant moi n'avait travaillé dans ce métier. Le fait qu'on le reconnaisse aujourd'hui comme un métier de femme est extraordinaire ! En outre, en 1989 nous étions trois graveurs, aujourd'hui je suis seule, c'est dire la nécessité de la transmission, d'autant qu'il y a peu de mots pour transmettre, c'est très difficile d'expliquer les gestes, je m'aide beaucoup de dessins ».
Son élève, Annie Bocel :
« Ce titre est pour moi l'occasion d'approfondir le métier, de rentrer dans la dynamique d'une création de livres, de conserver un savoir-faire et de l'exposer. L'opportunité de travailler la lettre est quelque chose d'unique, c'est presque inespéré. Dans la gravure, c'est à chaque fois unique et c'est difficile d'apprendre cela dans des livres, rien ne remplace la relation Maître/Elève ».
Yves Dorget, Passementier à Paris dont la famille est depuis plusieurs générations dans le métier ; son élève Anne-Valérie Blezot va apprendre le métier de retordeur
« Avec la manufacture Prelle, nous sommes déjà présents aux États-Unis mais un titre comme celui-là va nous ouvrir des portes, faciliter les contacts avec d'autres interlocuteurs, les musées notamment. On n'imagine pas à quel point l'artisanat français est reconnu à l'étranger. Le retordeur a un rôle capital dans l'atelier, il est chargé de tous les apprêts, il faut trois mois pour connaître les rudiments du métier, cinq ans pour être un bon retordeur, aujourd'hui, il n'y a pas plus de quatre retordeurs en France ».
Denis Mallejac, Restaurateur du bâti ancien en Ille-et-Vilaine
« Plus personne ne travaillait sur le matériau terre quand j'ai décidé il y a 25 ans d'en faire la base de mon travail de maçon. La démarche n'avait donc rien d'évident, le titre démontre en quelque sorte que je ne m'étais pas trompé. J'éprouve aussi une grande fierté à l'idée qu'un maçon soit pour la première fois récompensé, c'est un métier qui n'a jamais été vraiment considéré, je suis heureux qu'il ait aujourd'hui les honneurs de la république ».
Son élève Marc Bruneau :
« Ce titre est une grande chance, la construction en terre, si on y mettait les moyens, pourrait devenir incontournable, c'est un matériau que l'on trouve partout en abondance, qui ne pollue pas et les enduits sont beaux. Les chantiers ne manquent vraiment pas pour redonner à la terre ses lettres de noblesse. Je fais partie d'une équipe, nous sommes sept en tout, l'un de nous ne connaît pas la maçonnerie mais est spécialiste en science des matériaux, c'est une belle alchimie que Denis a mise en place. Il faut que des marchés s'ouvrent, pour l'instant nous sommes dans une petite niche ».
Stéphane Bondu, Joaillier-boîtier, formé à l'école de la bijouterie du Louvre, a fondé « l'Atelier de l'Objet » en 1999 à Paris
Au moment où l'on souhaite s'entretenir avec Stéphane Bondu après la remise des titres de Maître d'Art, on apprend qu'il vient de s'envoler pour New-York....pour le Joaillier-boîtier, la démarche à l'export a déjà commencé, nul doute que le titre va encore la faciliter !
Son élève, Claire-Marie Polo :
« En tant que sous-traitant, nous travaillons beaucoup pour les autres et n'avons pas forcément l'occasion de nous lancer dans des projets propres. Avec ce titre nous allons disposer de davantage de temps pour créer des objets ».
Michel Heurtault, Créateur et restaurateur en parasolerie à Paris ; son Elève Andrea Millerand a d'ores-et-déjà passé deux ans auprès de lui
« Quand j'étais enfant, le parapluie était mon objet préféré, je démontais, je remontais. J'ai travaillé ensuite comme que costumier en reconstitution historique et corsetier mais je n'ai jamais oublié la parasolerie, je l'ai toujours étudiée jusqu'à ouvrir ma propre maison en 2008. Ce prix est la reconnaissance d'un métier. Je veux la mettre à l'honneur et lui donner un sens, transmettre aux générations futures un savoir-faire qui s'était peu à peu perdu. Les parapluies de la boutique des « Parapluies de Cherbourg » étaient français de A à Z, c'est après que toute la fabrication est partie en Asie, mais dans les années 60, quand vous vous promeniez dans le quartier Saint-Denis, à Paris, les gens qui vendaient des parapluies choisissaient leurs tissus, leurs baleines, leurs poignées, c'était une vraie création ».
Francine Nicolle, Brodeuse au boutis dans le Gard
« Je suis très émue, l'art du boutis avait été oublié, négligé, mon travail a été de restituer son histoire mais aussi son savoir-faire. En résultent aujourd'hui une association, un atelier d'art et un musée. Ces techniques remontent au Moyen-Age en Sicile. Nous avons ainsi reconstitué une tenture médiévale qui nous vaut aujourd'hui d'être invités un peu partout dans le monde. Il y a vingt ans quand j'ai créé l'association, j'ai d'abord travaillé avec des boutis anciens que j'ai démontés. J'ai recréé les gestes à partir des boutis que j'avais démontés, demain c'est Muriel Perez, mon Elève, qui prendra la relève ».
Didier Mutel, Graveur dans le Jura
« Quand Pierre Lallier mon Maître d'art a été nommé ici en 1995, je le connaissais depuis 1988, soit depuis 25 ans, le temps d'une génération. Aujourd'hui alors que je deviens à mon tour Maître d'art, c'est toute cette aventure avec Pierre Lallier qui est couronnée. C'est aussi une reconnaissance collective. D'un point de vue professionnel, le symbole est aussi très fort notamment vis-à-vis de l'étranger où l'on suit l'histoire de cet atelier emblématique. Qu'il soit transmis dans ces conditions est formidable. Il faut être habité par toutes ces choses sensationnelles pour pouvoir bien les transmettre. Avec mon Elève, Elsa Maillot, que je connais depuis huit ans, le titre est l'occasion d'ouvrir une nouvelle page, c'est une belle aventure qui commence ».
Le mot de la fin revient à Jacques Loire, Maître verrier à Lèves en Eure-et-Loire, nommé à titre honorifique - sans Elève désigné - fier représentant de l'art du vitrail
« J'ai participé à la mission des métiers d'art dès l'origine aux côtes d'Etienne Vatelot et m'y suis beaucoup investi. Dans la mesure où j'avais transmis mes savoir-faire à mes fils, je n'estimais pas nécessaire de briguer le titre pour moi-même, j'avais le sentiment que je serais plus utile au sein de la mission. Je reçois ce titre avec beaucoup de joie et d'émotion. A étudier les dossiers qui nous sont soumis chaque année, on découvre des métiers passionnants ».