Depuis quelques années, la série, genre jusqu’alors peu prisé des Français, est devenue, à la faveur de plusieurs productions passionnantes, un élément clé de la création audiovisuelle hexagonale. Pour en renforcer l’impact, Fleur Pellerin a confié une mission à Laurence Herszberg, directrice du Forum des images et fondatrice du festival Séries Mania. L'objectif de cette mission est de poser les bases d’un festival international de la fiction audiovisuelle. La France, pays du cinéma, bientôt fière ambassadrice de la série ? Premier volet de notre dossier (1/2)
Dans la lettre de mission que vous adresse Fleur Pellerin, deux objectifs sont assignés au futur festival international des séries : faire de la France un haut lieu de la série dans le monde mais aussi donner une exposition optimale à la production audiovisuelle française et internationale
La ministre de la Culture est consciente des enjeux culturels et économiques de la fiction et notamment des séries. Elle sait également que l’on n’est jamais aussi fort que sur son propre terrain : si l’on veut que la fiction française soit au centre de la réflexion en termes d’écriture, de production et de distribution, il faut que l’événement de référence pour la filière ait lieu en France. L’avantage concurrentiel est énorme : toute l’industrie se déplace, cela permet de faciliter les rencontres, de mettre les entreprises françaises dans la lumière, d’avoir une lecture attentive sur les projets français…En réalité, il n’y a que des avantages. Au festival ensuite d’être suffisamment subtil pour que cet avantage ne transforme par la manifestation en un festival franco-français, car les enjeux aujourd’hui sont internationaux. Il faut en outre capitaliser sur nos propres succès qui sont récents. Il n’y a pas si longtemps, nous étions encore le seul pays d’Europe dans lequel la fiction nationale était moins vue que la fiction américaine, mais nous avons à présent de beaux succès qui combinent qualité de scénario et de réalisation. Ceci dit, il n’y en a pas encore assez, le festival serait donc l’occasion de montrer plus de projets en amont, il permettrait aussi à notre fiction de se frotter à d’autres sujets. Par exemple, nous n’abordons pas encore suffisamment les sujets politiques et de société - même s’il y a eu Les Hommes de l’ombre et que tout le monde attend Baron noir - qui sont au cœur de beaucoup de séries à l’étranger. Ce qui est certain, c’est que les séries françaises ont aujourd’hui le vent en poupe, on aurait tort de ne pas en profiter.
« C’est en France que la série peut acquérir ses lettres de noblesse »
L’expression « Festival de Cannes des séries » a été utilisée pour parler de ce projet de festival international des séries
Une anecdote vaut parfois mieux qu’un long discours : au moment du lancement de Séries Mania, nous avons souhaité inviter les équipes des séries, elles ont tout de suite voulu venir. Pour elles, c’était la plus belle des reconnaissances : non seulement, leur travail était montré dans une institution culturelle, le Forum des images, mais qui plus est dans le pays qui, à leurs yeux, est celui du cinéma. C’est dire que la France a de sérieux atouts pour elle. En particulier, la formidable curiosité du public autant pour des œuvres qui marient divertissement et sens critique, en témoigne le film The Big Short qui vient de franchir la barre symbolique du million d’entrées, que pour de véritables découvertes telles qu’Une Séparation, le film iranien de Asghar Farhadi qui avait lui aussi, il y a quelques années, réuni autant de spectateurs. A chaque nouvelle édition de Séries Mania, nous constatons, de la même manière, les goûts éclectiques des festivaliers. Quel pays peut s’enorgueillir d’en faire autant ? Alors oui, c’est en France que la série peut acquérir ses lettres de noblesse.
Ce que l’on note aussi, c’est que Fleur Pellerin vous a demandé d’aller vite : la lettre de mission vous a été adressée mi-décembre et la remise du rapport est prévue pour fin février.
Même s’il y a des événements précurseurs en France comme Séries Mania, nous sommes dans un environnement extrêmement concurrentiel avec des festivals de cinéma, ceux de Berlin et Toronto, qui ont derrière eux une histoire prestigieuse et qui, depuis peu, se positionnent sur les séries. Ils ont des moyens colossaux, et s’ils lorgnent du côté des séries, ils ont clairement des atouts pour eux. Il faut donc aller vite pour ne pas risquer de se faire distancer.
L’offre concernant les séries est aujourd’hui particulièrement dense et diversifiée…
En effet. Outre Séries Mania, de nombreuses initiatives autour des séries ont vu le jour en France. Un rapide tour d’horizon permet de constater qu’elles sont très diverses : parfois, il s’agit uniquement d’un rendez-vous professionnel, d’autres, d’un événement public, mais toutes montrent que l’on s’interroge sur la série. On peut citer le Festival de La Rochelle, qui accorde aujourd’hui une belle part aux séries au sein de sa programmation, mais aussi le Festival de Luchon, le FIPA, le Festival Série Séries… ce foisonnement est très positif. Tout l’enjeu consiste à présent à concentrer notre action et nos moyens vers un événement fédérateur.
La manifestation Séries Mania n’a cessé d’évoluer au fil des éditions
La première édition était uniquement tournée vers le public, nous sommes partis de l’idée que si le Forum des images était le lieu de toutes les images, les séries, genre en plein renouveau, y avaient donc naturellement leur place. C’était en quelque sorte une édition pilote pour reprendre le vocabulaire des séries, mais le public a tout de suite été au rendez-vous, et, plus surprenant, les professionnels aussi. Lors de la deuxième édition, nous avons créé une Video Library spécialement à leur attention, leur permettant non seulement de voir les programmes sélectionnés en salle de cinéma mais aussi de disposer d’un aperçu sur la production mondiale. Le succès a de nouveau été au rendez-vous, les professionnels passaient des heures à visionner des programmes anglais, israéliens, québécois… C’est une formidable vitrine sur la créativité mondiale. Dès le début, Séries Mania, a mis l’accent sur la découverte de la création internationale. C’est là sa spécificité.
Dernière pierre à l’édifice, le Forum de coproduction…
Par le passé, à l’exception des séries anglaises et américaines, les séries étaient très locales, elles ne sortaient pas de leur territoire. Il y avait bien parfois des remakes ou encore des « Euro-pudding » permettant d’agréger des financements européens mais on ne peut pas dire que le sens et la qualité artistiques étaient toujours au rendez-vous. Puis, on a vu émerger peu à peu des envies de véritables coproductions. Le succès de Borgen a été de ce point de vue un déclic : c’était une série en danois sur la vie d’une femme, premier ministre du Danemark…On ne pouvait pas faire plus local. Or le public l’a plébiscitée, c’est donc qu’il y avait un champ de possibles. La priorité était de permettre à la profession de se rencontrer, pratique très courante dans le cinéma où les professionnels ont l’habitude des coproductions et se déplacent de marchés en marchés mais qui ne l’était pas dans le milieu de la télévision. Des israéliens et des français, notamment, nous ont dit qu’ils avaient du mal à réunir tous les financements dans leur pays et que la possibilité d’élargir le financement à l’international sans quitter leur marché les intéressait. C’est ainsi qu’est né le Forum de coproduction. Concrètement, nous procédons par la voie d’un appel à projets que nous complétons en allant chercher nous-mêmes des projets. Nous sollicitons les projets en anglais et étudions environ 200 propositions. Nous en avons retenu 12 l’an dernier et en prévoyons 15 cette année. Nous demandons impérativement à ce que ce soit un pitch en images pour que l’on puisse immédiatement sentir l’esprit de la série.
Autre nouveauté annoncée pour la prochaine édition du festival Séries Mania, une compétition de premières mondiales
Cette compétition a pour objectif de nous donner un avantage concurrentiel par rapport aux autres festivals, d’attirer en amont les meilleures séries, mais aussi de renforcer notre attractivité. Soumettre des œuvres à l’appréciation d’un jury est toujours un formidable coup de projecteur et permet de créer une attente très en amont. On ne lance pas une série comme un film, la temporalité est différente. Mais, de la même manière qu’un film auréolé d’un prix prestigieux à Cannes a déjà quelques longueurs d’avance au moment de sa sortie, une série qui remportera un prix lors du festival, sera immédiatement mise dans la lumière. En revanche, il faut encore arriver à convaincre les distributeurs et les diffuseurs de jouer pleinement le jeu.
Combiner l’aspect créatif et l’aspect économique, est-ce en quelque sorte la « silhouette » du futur festival international des séries ?
Le pari de lancer un festival international des séries est un pari collectif concernant l’ensemble de la filière. A Séries Mania, nous sommes un lieu de rencontres, un lieu où se créent très en amont, dès le scénario, les liens nécessaires autour des projets et où l’on peut rencontrer les décideurs de la profession à une échelle humaine. C’est cela qu’il faut développer.
Fleur Pellerin : "Je veux développer l'écosystème de la série télé"
> A l’issue d’un déplacement à Los Angeles du 3 au 5 février, où elle a présenté aux majors d’Hollywood (Paramount, Universal pictures, Disney studios, Warner Bros ou encore Amazon studios) le relèvement du crédit d'impôt international, Fleur Pellerin a indiqué que 2016 était annoncée comme une « année record » pour les tournages de films en France. La ministre a notamment cité le tournage d’une superproduction sur la Seconde Guerre mondiale signée Christopher Nolan, Dunkirk, qui raconte la bataille de Dunkerque,mais aussi plusieurs projets dans le secteur de l’animation et des séries télévisées, dont Befikre et Riviera, qui serait tournée sur la Côte d'Azur et réalisée par Neil Jordan.
> Depuis le 1er janvier 2016, en effet, le taux ducrédit d’impôt international, dont le but est d’encourager les tournages de films étrangers en France, est passé de 20% à 30% et son plafond est relevé à 30 millions d'euros. « Selon nos calculs, a précisé au Figaro du 8 février Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma, cela va représenter environs 200 millions d’euros d’activités supplémentaires en France en 2016, et la création de 10 000 emplois. Grâce à cela, la France va redevenir l’un des pays les plus compétitifs au monde et va créer des emplois sur tout le territoire ».
> Autre volet de la visite de la ministre à Los Angeles : rappeler la vitalité de la fiction audiovisuelle hexagonale. « Je veux développer l'écosystème de la série télé », a-t-elle affirmé, avant de rencontrer des universitaires de la prestigieuse université de Californie (UCLA) et de l'école des arts cinématographiques (The USC School of Cinematic Arts) autour de la formation à l'écriture de scénario de séries audiovisuelles. Forte de nombreux atouts dans ce secteur en pleine expansion, la France compte des séries d'une grande qualité qui s'exportent de plus en plus dans le monde, à l'image d'Engrenages ou des Revenants. La ministre souhaitedonc profiter de ce dynamisme pour développer davantage cette filière et tous ces métiers.