En compagnie de Line Renaud, Robert Hossein, Danyboon et François Morel, Audrey Azoulay et Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, ont inauguré le 7 novembre la maison-musée Raymond Devos, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, en dévoilant la plaque qui la consacre officiellement "maison des Illustres". Entretien avec la dernière photographe du grand humoriste, Micheline Pelletier-Decaux, vice-présidente de la Fondation Raymond Devos.
Dans cette maison qu’il appelait son « havre de paix », Raymond Devos a retrouvé le souvenir de sa petite enfance, à Mouscron en Belgique, à l’époque de la prospérité familiale. La Villa Hiéra surplombe un parc de deux hectares, au cœur de la vallée de Chevreuse. Dans ce paysage bucolique, où passe une harde de chevreuils, coule l’Yvette. L'humoriste y avait aménagé un petit étang, où Il venait chaque jour nourrir des cygnes et des canards, à qui il avait donné un nom. Devenu une vedette du music-hall, c'est en 1961 qu'il acquiert, avec sa femme Simone, la Villa Hiéra. "Devos s’est enraciné et investi avec force dans la vie de sa commune, en commençant - c’était son tout premier geste - par intégrer la fanfare municipale comme clarinettiste. En toute discrétion, il a toujours participé avec générosité à la vie locale en aidant des associations, participant à la restauration du toit de l’église ou encore à l’édition d’un livre historique sur le village. Cette générosité caractérisera toute sa vie", assure Micheline Pelletier-Decaux.
Comment est née l’idée de faire de cette propriété un musée ?
Après avoir visité la fondation de son ami Felix Leclerc au Canada, Raymond Devos et sa dernière compagne Françoise Maucq, par ailleurs sa productrice et attachée de presse, ont souhaité que la Hiéra devienne un lieu de partage. Il a souhaité que le maire de sa commune, Guy Sautières, soit son exécuteur testamentaire, à charge pour lui de créer une fondation d’utilité publique qui ait pour mission d’aider de jeunes artistes, de soutenir des œuvres caritatives et de créer un musée pour pérenniser son œuvre, transmettre son amour de la langue française et du spectacle sous toutes ses formes. Le projet était audacieux : il s’agissait de créer le premier musée d’Europe dédié à la vie d’un humoriste.
Le projet était audacieux : il s’agissait de créer le premier musée d’Europe dédié à la vie d’un humoriste
Présentez-nous la maison-musée Raymond Devos ?
Pour recevoir les visiteurs, il a fallu transformer une demeure du XIXe siècle en espace public, accessible aux personnes handicapées, tout en préservant son caractère et son charme. Le défi était d’en faire à la fois une maison-musée qui garde l’empreinte du maître du logis, et un musée-spectacle interactif où les gens puissent apprendre, rire et être émus. Nous avons donc créé des espaces thématiques. Sa vie d’homme et sa carrière sont retracées à travers un abécédaire numérique interactif choisi parmi les1600 extraits de l’INA et une centaine d’émissions de radio. Un cabinet de magie où l’on peut reproduire les tours de Devos, un salon de musique où ses instruments s’animent... Sa loge reconstituée... Dans les deux pièces restituées à l’identique, son bureau et ce qu’il appelait « mon petit musée », deux sons et lumières accueillent le public afin de faire comprendre le processus et l’environnement créatifs de l’auteur.
Que va-t-il s’y passer ?
Pour garder un lieu vivant, il faut y faire entrer la vie. Notre fondation le sait bien. Ainsi, chaque mercredi, le musée accueillera des enfants des Yvelines avec l’Association Rire 78 qui répand depuis 2008, à travers les écoles du département les sketchs et l’art du spectacle de Raymond Devos. Le prix « Où est Caen ?» a été créé en partenariat par les éditions du Cherche-Midi Fondation - le lauréat 2016 est Rudy Zalambani. Bientôt, un chemin vicinal longeant les bords de l’Yvette permettra de relier le Théâtre Raymond Devos – ex Espace Jean Racine – à la maison Raymond Devos. D’ici deux ans, nous espérons réhabiliter la grange, dans le parc, pour en faire un lieu d’expositions temporaires consacré aux grands du music hall des XXe et XXIe siècles : Brel, Bourvil,... Pour chacun d’eux, un humoriste sera appelé à donner sa vision, à la façon d’un « musée imaginaire ».
En quoi la labellisation du musée en « maison des Illustres » favorise-t-elle votre projet ?
Le label nous a été attribué le 11 octobre, et la plaque elle-même sera dévoilée le 7 novembre par Audrey Azoulay, la ministre de la Culture et de la Communication. Cette reconnaissance, qui consacre notamment des maisons d’écrivains, est très importante en ce qu’elle souligne la dimension de Raymond Devos - homme d’écriture, et pas seulement homme de scène. La première reconnaissance officielle remonte à 2003, date où fut créé par le ministère de la Culture, Jean-Jacques Aillagon - le Grand Prix Raymond Devos de la langue française. Le réseau des « maisons des Illustres » touche un public qui respecte le savoir. Nous touchons ainsi les deux bouts de la chaîne : les intellectuels et le grand public - mais aussi et surtout les jeunes. Dans cette maison, les jeunes qui n’auraient pas idée de prendre plaisir à la grammaire comprendront le bonheur de posséder une langue, d’utiliser les mots justes, de faire non pas des jeux de mots, mais des jeux d’esprit comme le disait Devos.
Cette reconnaissance du ministère de la Culture et de la Communication souligne la dimension de Raymond Devos - homme d’écriture, et pas seulement homme de scène
Il avait, en effet, un amour pour les mots et un humour jubilatoire illimités.
Devos a baigné dans un milieu musical et une grande joie de vivre jusqu’à l’âge de dix ans. C’était un élève brillant. Cela a été un choc pour lui de quitter ses études. Après-guerre, il a préféré entrer dans le monde de l’absurde et aller vers l’amour des mots, l’essence cachée des mots, à travers les jeux d’esprit. Si mon mari Alain Decaux a pu le faire entrer au Haut Conseil de la langue française avec Pierre Perret en 1989, en revanche Devos a toujours refusé de devenir académicien. C’était un garçon angoissé qui a mal vécu ses deux années de STO, comme le montre si bien « Les sens interdits», un de ses sketchs les plus connus écrit en 1956. Et malgré tout cela la légèreté domine chez lui, comme une politesse.
Poète et humoriste, écrivain, clown et musicien (il jouait de 17 instruments), auteur de nombreux sketches étudiés à l’école et joués par de nouvelles générations de comédiens, Raymond Devos continue à fasciner. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Ses textes sont intemporels, sans jamais aucune attaque, même voilée, ad hominem. Les situations absurdes dont in se sert partent toujours d’un fait ordinaire, du quotidien. Le sketch « Où courent-ils ? », sur la folie de nos villes, il aurait pu l’écrire en 2016. Devos est un admirable acrobate du mot. L’homme Devos est humble, humain. Comme tous les grands timides que sont la plupart de nos artistes.
Vous avez été la photographe exclusive de Raymond Devos pendant les quinze dernières années de sa vie. Quelle image gardez-vous de lui ?
C’était avant tout un travailleur acharné. Devos était un homme simple, axé sur son métier, pas forcément joyeux. Il avait en permanence un dictionnaire dans sa poche. Sa vie, c’était son écriture, son public et la scène. Pendant les repas, il testait ses sketches sur vous et il les adaptait en fonction de vos réactions. Dans cette mesure, on peut dire que le public était son premier partenaire. :« Moi, je suis vous. Et vous, vous êtes tous les autres que je suis. C’est vous dire si nous sommes très proches ».
2016, année Raymond Devos
Il y a dix ans, le 15 juin 2006, disparaissait un immense artiste du verbe et de la scène. A l’occasion de cet anniversaire, de nombreuses manifestations ont lieu à travers la France et le monde francophone. Une Année Raymond Devos est instituée, dont le maître d’œuvre est la Fondation Raymond Devos. L’ouverture, le 7 novembre, de la maison-musée Raymond Devos, en est l’un des temps forts. Partenaires de l’Année : la Comédie-Française, les Editions du Cherche-Midi, l’Institut national de l’audiovisuel et Universal Music France.
- Résidence. Dans la maison de l’artiste, à Saint-Rémy-Lès-Chevreuse, résidence du spectacle d’Elliot Jenicot, pensionnaire de la Comédie-française : « Les fous ne sont plus ce qu’ils étaient ». Ce spectacle – un montage des sketches de Raymond Devos - a été repris en avril par la Comédie-Française et entame une tournée en France.
- Prix. Le Grand Prix Raymond Devos de la langue française, créé en 2003 à l’initiative de l’artiste, a couronné en 2016 le comédien Jacques Bonaffé. Les précédents lauréats ont pour nom Fellag, Jean-Loup Dabadie François Rollin, Guillaume Gallienne... Par ailleurs, la Fondation remet des prix à de jeunes humoristes dans des festivals d’humour partenaires. Citons encore le tout jeune prix littéraire « Où est Caen », créé par la Fondation avec les Editions du Cherche-Midi, et remis à l’auteur Rudy Zalambani dans la maison de Raymond Devos.
- Ateliers. La Fondation accompagne depuis cinq ans des ateliers théâtre sur les textes de Raymond Devos. Ces ateliers sont organisés par l’association d’Eric Bouvron, Rire 78, dans les écoles et collèges de la région Ile-de-France. Ils ont pour but de développer leur connaissance de la langue et leur confiance en eux (plus de 1000 élèves sensibilisés).
- Editions. Cet automne, seront publiés plusieurs coffrets DVD de l’œuvre intégrale de Devos, ainsi qu’un album de mise en musique de ses textes pour le jeune public chez Universal et des livres pour enfants et adolescents aux éditions du Cherche -Midi... Sans oublier la radio Raymond Devoswww.radioraymonddevos.com avec tous ses sketches en boucle ! Où est Caen ?J’ai des doutes, Ouï dire, La mer démontée, L’Artiste, Où courent-ils ?...