Ouvert à toutes les esthétiques, inaugurant de nouvelles sections parallèles à côté de la compétition officielle, la 37e édition du Festival international de films documentaires, Cinéma du réel, fait la preuve de sa remarquable vitalité. Rencontre avec Maria Bonsanti, sa directrice artistique depuis 2013.

Comment qualifieriez-vous cette 37ème édition de Cinéma du réel ?

Cette édition est placée sous le signe de l’ouverture, que ce soit au niveau du langage – la plupart des films en compétition mais également dans les sections parallèles se distinguent par leur grande liberté formelle – ou dans la volonté d’accueillir des regards qui interprètent le réel de façon différente mais ont en commun d’aller au-delà des préjugés. Cette édition relève aussi de notre souhait d’envoyer un signe fort après les récents événements : le dialogue n’est possible que si l’on se met dans les yeux de l’autre, c’est exactement ce que fait le documentaire.

Le documentaire en raison de sa forme, de la possibilité qu’il se donne d’enregistrer le réel sur un temps long, n’est-il pas un antidote au fanatisme ?

Certainement si l’on part de cette idée que le cinéma que nous privilégions est un cinéma qui ne donne pas de réponses mais pose des questions. S’interroger, s’exprimer à travers les arts, c’est déjà une vision politique et sociale du monde. Nous avons le privilège de pouvoir dédier du temps et des énergies à la culture, certains pays n’ont pas cette chance. Le temps en particulier est une donnée fondamentale : c’est celui que le réalisateur prend pour s’approcher de son sujet, celui qu’il donne au spectateur pour entrer dans le film. Ceci dit, ce n’est pas toujours nécessaire. Certains documentaires de grande qualité saisissent le réel sur le vif. Mais si l’on pense au montage, il est vrai que l’on trouve rarement dans un documentaire un rythme similaire à celui qui existe dans la production montrée sur internet.

« le dialogue n’est possible que si l’on se met dans les yeux de l’autre »

Vous disiez que la forme cette année était très éclatée, qu’il y avait une diversité de langages ?

Certains des films programmés ont une forme tout à fait classique et illustrent parfaitement les qualités d’écoute et de cinéma vérité que l’on attribue au documentaire. Mais avec les changements techniques de ces quinze dernières années, le langage documentaire a naturellement évolué. La vocation de Cinéma du réel et du Centre Pompidou – dont le festival, à travers la Bibliothèque publique d’information, fait partie intégrante de la programmation – est de donner à voir ces évolutions. La création artistique est très présente dans les films de cette édition. Le film de Rachid Djaïdani – Encré – en est un exemple, mais aussi L’œuvre des jours du Québécois Bruno Baillargeon, ou encore The Cockpit, un film japonais. Enfin, dernier fil rouge, la présence dans les sections parallèles de films qui sont l’œuvre d’artistes et pas seulement de cinéastes. La section in between est ainsi inaugurée cette année avec une rétrospective consacrée à Shelly Silver dont le travail, ancré dans le réel, ne cesse depuis les années 80 de questionner la valeur des images à travers des formes sans cesse renouvelées.

Le festival a-t-il un côté « tête chercheuse » ?

Nous sommes à la recherche de pépites, la moitié de la programmation est faite de premiers et de deuxièmes films. Si de nombreux programmateurs viennent chaque année à Cinéma du réel, c’est parce que le festival a depuis toujours cette réputation de présenter des films de grande qualité. Dans mes précédentes fonctions, quand je venais à Paris en tant que programmatrice, j’étais toujours frappée par la qualité des débats qui suivaient la projection des films. C’est vraiment un aspect auquel nous apportons le plus grand soin, les membres des comités de sélection sont par exemple impliqués dans les débats. Les films sont vraiment accompagnés, les cinéastes, le public et les programmateurs le sentent.

Bande-annonce Cinéma du Réel 2015

L’environnement du Centre Pompidou, le relais assuré par la Bibliothèque publique d’information sont également importants ?

Les professionnels accrédités – environ 1000 chaque année – sont des programmateurs français et étrangers mais aussi des professionnels du réseau des bibliothèques et des médiathèques. Nos films circulent beaucoup dans ce réseau qui est d’une richesse incomparable sur le plan de l’éducation à l’image et complète celui des salles et des festivals. Sans compter que les réalisateurs apprécient que leurs films soient montrés ailleurs que dans les grandes villes. Nous avons également une activité hors les murs : nous organisons pendant et après le festival la reprise des films en compétition dans d’autres lieux que le Centre Pompidou, c’est vraiment un relai important. Cela nous permet d’être en prise avec l’extérieur, cette porosité fait écho au travail des cinéastes qui viennent eux-mêmes de milieux très variés. Beaucoup d’étudiants et d’élèves assistent aux séances de cinéma du réel.

En examinant la programmation, on se dit que certains films sont particulièrement attendus, on pense notamment à Encré de Rachid Djaïdani ?

Nous sommes honorés d’accueillir ce très beau film de Rachid Djaïdani, nous l’aurions choisi indépendamment de la notoriété de son réalisateur. Le film est passionnant et possède une qualité presque fictionnelle dans sa façon d’accompagner le spectateur jusqu’au moment où l’artiste filmé par Rachid Djaïdani réussit à préparer son exposition à New-York. On se retrouve embarqué dans un voyage autour du monde. La toile des œuvres de l’artiste incarne elle-même la rencontre des cultures avec d’un côté des femmes qui tissent en Algérie, de l’autre, l’artiste qui jette la couleur. Mais il y a beaucoup d’autres films magnifiques, je pense aussi à la sélection de courts métrages avec notamment Sergei Loznitsa, ou Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra Da Mata.

« Questionner la valeur des images à travers des formes sans cesse renouvelées »

Les prix décernés – en particulier celui de l’Institut français – sont de vrais coups de pouce pour le film documentaire.

Le prix de l’Institut français existe depuis trois ans. Il s’agissait au départ d’une mise à disposition du film sur la plateforme de l’Institut français, celle-ci est désormais assortie d’un prix de 7000 euros. L’objectif est que le film puisse circuler, c’est pour cette raison que le jury de la compétition française est composé d’un représentant de l’Institut français mais aussi de deux programmateurs de festivals étrangers. Plus largement, nous espérons que les prix attribués aideront les réalisateurs à se lancer dans un nouveau film.

Quelles sont les autres nouveautés de cette édition ?

Nous inaugurons cette année une collaboration avec le Jeu de Paume. Nous avons appris qu’une rétrospective consacrée à Avi Mograbi y était organisée au moment où avait lieu le festival, chercher un point de contact entre les deux événements nous semblait donc évident, c’est ainsi que nous avons découvert qu’Avi Mograbi était très proche de Shelly Silver. A côté de in between, nous sommes également très heureux de la mise en place d’une carte blanche dédiée à un producteur. A travers celle-ci, nous souhaitons mettre en valeur toutes les dimensions du festival qui est à la fois le lieu du cinéma mais aussi celui des rencontres professionnelles. On ne dit pas assez à quel point les producteurs dans le cinéma indépendant ou documentaire sont proches des réalisateurs qu’ils soutiennent. Keith Griffiths, auquel cette carte blanche est consacrée, travaille avec la même famille de cinéastes depuis longtemps. La construction de la section est à cheval entre la carte blanche et le portrait. Keith Griffiths a choisi des films qui l’ont inspiré mais aussi des films qu’il a produits ou réalisés. On perçoit toute la dimension intime, humaine, de son travail, on découvre toutes ces amitiés sans lesquelles beaucoup de films documentaires n’existeraient pas.