Pendant sept mois, il aura rebattu les cartes de la création artistique, en mêlant, dans "Studio Venezia", l’installation qu’il a présentée au Pavillon français de la biennale de Venise, musique, art et architecture. Aujourd’hui, alors que la biennale s’achève, Xavier Veilhan nous promet, les 25 et 26 novembre, une clôture en beauté avec de nombreux musiciens, dont Brian Eno, Sébastien Tellier ou Nicolas Godin. Une session à ne pas manquer avant de nouveaux rendez-vous en Argentine et au Portugal en 2018. A cette occasion, nous republions l’entretien que l’artiste nous avait accordé le 9 mai dernier.

Écrin haut de gamme pour les musiciens qui ne cesseront de s’y succéder et le public invité à en découvrir la production, « Studio Venezia », conçu par le plasticien Xavier Veilhan, est un studio d’enregistrement d’un genre inédit. « Ce qui m’intéresse, c’est l’art de l’exposition, l’exposition en tant qu’œuvre », explique celui dont l’approche artistique joue depuis toujours sur l’interaction entre les arts. Connu notamment pour ses sculptures à facettes dans l’espace public, Xavier Veilhan revient pour nous sur l’installation qui représente la France lors de la 57e biennale internationale d’art de Venise jusqu'au 26 novembre.

La musique a toujours eu une place considérable dans votre travail de plasticien. Comment avez-vous décidé qu'elle serait au cœur de « Studio Venezia », l'installation que vous avez conçue pour la biennale de Venise ?

À la façon d’un puzzle, ce projet est une somme des expériences que j’ai pu conduire autour de la musique et des musiciens par le passé. Lorsque j’ai pris la décision d’être candidat pour représenter la France lors de la Biennale internationale d’art de Venise, j’ai immédiatement voulu un projet vivant, ouvert. Très rapidement, j’en suis venu à imaginer une installation autour de la musique en raison de toutes les pistes que j’avais déjà explorées. Dans un processus créatif, il n’est pas rare que l’on ne parvienne pas à développer un projet à un moment donné mais que l’occasion se présente quelques années plus tard. L’installation présentée à Venise permet de mettre au premier plan une partie de mon travail qui a toujours été très importante mais qui était moins visible il y a quelques années.

L’enjeu est de mettre le spectateur dans une situation exceptionnelle où la dimension live de la musique procurerait une surprise comparable à celle que l’on peut avoir en surprenant un animal dans un jardin 

Vous prenez le contrepied de l’opinion communément répandue qui fait de la participation à la Biennale de Venise un moment de consécration dans la carrière d’un artiste.

Être sélectionné pour représenter la France à la Biennale de Venise est un immense honneur, mais il ne faut pas oublier la fugacité de ce moment. Parmi les artistes qui ont représenté la France par le passé, on trouve des personnalités de grand talent, à la renommée internationale, Matisse, Rodin, ou plus près de nous, Christian Boltanski, et d’autres qui ont complètement disparu. Par ailleurs, aujourd’hui, les nations ne sont plus représentées comme il y a cent ans, et la façon dont un artiste envisage de représenter son pays a elle-même évolué. Je souhaitais que le projet, sans être explicitement international, traduise une ouverture à l’international. La musique, que l’on n’écoute pas en fonction de sa nationalité, permettait cela.

Avec « Studio Venezia », le spectateur sera, dites-vous, « propulsé au cœur d’un studio d’enregistrement comme s’il avait poussé la mauvaise porte». De quelle façon souhaitez-vous qu’il vive l’expérience que vous lui proposez ?

L’enjeu est de mettre le spectateur dans une situation exceptionnelle où la dimension live de la musique procurerait une surprise comparable à celle que l’on peut avoir en surprenant un animal dans un jardin ou lorsqu’on est témoin d’un phénomène météorologique lors d’une promenade. Ce qui arrive est d’autant plus touchant que ce n’est pas prévu. Le spectateur n’assiste pas à un concert, il n’écoute pas non plus de la musique enregistrée. Ce qui va se passer n’est pas écrit. C’est une situation en amont de ce dont il a l’habitude par rapport à la création, un moment auquel il n’a normalement pas accès.

À la manière des photos en noir et blanc dans les livrets des disques, vous semblez jouer avec l’image de lieu fantasmé associée au studio d’enregistrement.

La mythologie liée à la création musicale, aux objets, aux instruments de musique, à l’enregistrement et aux dispositifs techniques, est très belle. Cela m’intéressait de soulever le voile de ce côté. L’expérience est transformée par le fait que le spectateur entre dans le dispositif. Il n’y a pas d’interaction à proprement parler mais une légère perturbation de ce qui va se passer dans le Pavillon du fait du cadre de la biennale et de sa transposition vers quelque chose de musical. L’introduction de la musique dans le Pavillon n’est pas en elle-même exceptionnelle, elle était au cœur des projets d’Anri Sala en 2013 et de Céleste Boursier-Mougenot en 2015. La particularité consiste à créer un lieu où l’on s’intéresse à la musique avant qu’elle soit terminée.    

Les musiciens et les spectateurs sont-ils en quelque sorte coproducteurs de ce qui arrive ?

Cela pourra être le cas. Certains musiciens ont déjà l’intention de solliciter le public mais nous souhaitons avant tout que ce qui se passe dans cet espace un peu métaphorique soit vécu comme un spectacle. Mon souhait est de rendre l’expérience exceptionnelle par son incongruité et son caractère inédit.

Parmi les musiciens invités, on retrouve des artistes avec lesquels vous avez déjà travaillé – Sébastien Tellier, Christophe Chassol, Éliane Radigue, Nicolas Godin notamment –, mais également de nombreux artistes vénitiens. Autre signe de cet ancrage local, vous vous installez à Venise pendant toute la durée de la biennale !

C’est quelque chose qui s’est précisé au fur et à mesure. Avec Christian Marclay, co-commissaire de l’installation avec Lionel Bovier, nous avons fait le choix d’inviter trois programmateurs musicaux vénitiens qui s’intéressent à des styles de musique très différents les uns des autres. En réalité, il existe une volonté de synchroniser la ville avec le Pavillon à travers la durée de mon séjour, celle induite par la musique, ou encore celle du travail. Le studio, c’est aussi ce moment où l’on condense le temps : on part d’un temps étendu – certains artistes sont connus pour rester très longtemps en studio de jour comme de nuit – pour aboutir à quelques minutes de musique. Cette contraction est intéressante. Il me semblait intéressant d’utiliser le temps long de la biennale pour créer quelque chose d’assez doux, comme un parfum qui se diffuse, et non de l’ordre de la démonstration ou du quantitatif. De ce point de vue, travailler avec des musiciens locaux et des institutions locales – à l’image du Teatrino di Palazzo Grassi – qui sont de potentiels relais, était important.

Être dans ce temps long, n’est-ce pas aussi une manière de favoriser l’inattendu ?

Je ne veux pas déterminer ce qui va être créé – je ne suis pas musicien – mais proposer un lieu propice à la création et permettre ensuite aux musiques d’avoir leur parcours propre. « Studio Venezia » me permet en quelque sorte de me dissoudre d’une manière positive. Le projet fonctionne sur le mode de l’invitation et non sur celui du contrat, c’est un point essentiel. Il est en rupture avec la façon dont les musiciens apparaissent habituellement. Il permet de sortir de cette tension où tout est organisé à l’avance, les lieux, les dates, le rapport entre le public et les artistes. « Studio Venezia » permet d’être à l’abri mais en même temps faussement à l’abri puisque le public est là.

Je ne veux pas déterminer ce qui va être créé – je ne suis pas musicien – mais proposer un lieu propice à la création et permettre ensuite aux musiques d’avoir leur parcours propre

S’agissant de la structure elle-même, vous vous êtes inspiré du « Merzbau », conçue à partir des années 1920 par Kurt Schwitters. En quoi cette installation vous séduit-elle ?

Dans l’histoire de l’art, la citation du « Merzbau » correspond au moment où l’on a commencé à concevoir une sculpture comme une architecture, ou plutôt recommencé, puisque c’était déjà le cas à la Renaissance, et que les grottes de Lascaux et Chauvet sont aussi des exemples d’art total sollicitant tous les sens. Je souhaite que l’expérience soit autant physique que visuelle. On a trop souvent tendance à séparer ce qui est de l’ordre de l’intellectuel de ce qui est formel. Or les formes n’ont d’existence que quand elles sont traitées par rapport à un passé ou à une connaissance que l’on a d’elles. Ce qui m’intéresse, c’est l’art de l’exposition, l’exposition en tant qu’œuvre. Il est selon moi assez naturel que l’œuvre s’étende au-delà d’un objet que l’on peut déplacer et devienne un objet dans lequel on se déplace. À l’extérieur, nous avons essayé de déconstruire la symétrie du Pavillon afin que le visiteur ne puisse pas le reconnaître. Encore une fois, l’œuvre prend le pas sur l’architecture.

Après Venise, il est d’ores et déjà prévu que le studio musical fasse étape à Buenos Aires et Lisbonne…

L’objectif est de faire en sorte que le pavillon, à travers les différentes formes qu’il adoptera, restitue l’environnement artistique, musical, et architectural des villes dans lesquelles il s’installera. Aujourd’hui, nous sommes dans les Giardini, demain, dans des centres d’art. Ce qui m’intéresse n’est pas de transporter un objet fini d’un lieu à un autre mais de voir comment un concept peut se transformer dans un contexte différent.

 

Biennale de Venise : une édition placée sous le signe de l’ouverture

Aux côtés de la Biennale d’architecture et de la Mostra pour le 7e art, elle est l’une des plus prestigieuses manifestations consacrées à l’art contemporain. « C’est un moment exceptionnel pour les artistes du monde entier et pour tous les amateurs d’art », soulignent les ministres des Affaires étrangères et de la Culture et de la Communication, en soulignant que la biennale promeut, tous les deux ans, un véritable vivier d’artistes talentueux.

Signe de la vitalité particulière de la scène artistique française, et de sa reconnaissance à l’international, c’est la Française Christine Macel, conservatrice au Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, qui a été choisie pour être la commissaire générale de la 57e biennale de Venise qui se tient du 13 mai au 26 novembre 2017.

Le Pavillon français accueille, quant à lui, l’installation Studio Venezia, conçue par Xavier Veilhan. Mêlant les disciplines, cette œuvre généreuse sera ouverte, durant les sept mois de la Biennale, à une centaine de musiciens de tous horizons. Offrant au public une expérience immersive, Studio Venezia est une nouvelle occasion d’être séduit par l’audace de l’un des acteurs des scènes artistiques les plus prospectives