Quelle est valeur ajoutée des différents secteurs culturels ? Laure Turner, économiste au département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture, revient sur les principaux résultats et analyses de l'étude qu'elle vient de publier sur "Le poids économique direct de la culture en 2017". Entretien.

Aujourd'hui, le poids économique de la culture est une donnée essentielle pour analyser les activités culturelles. Avec 2,3% de l'ensemble de l'activité économique en 2017, la culture s'impose comme un acteur important de l'économie française. Comment analysez-vous cette situation ?

Portrait de Laure Turner

En 2017, le poids économique direct de la culture, c’est-à-dire la valeur ajoutée de l’ensemble des branches culturelles, est de 47,5 milliards d’euros. Cette somme est en progression depuis trois ans mais elle croît à un rythme comparable à celui de l’économie dans son ensemble, ce que traduit la stabilité du poids économique de la culture autour de 2,3 %.

Une telle progression n’efface cependant pas entièrement les effets défavorables de la conjoncture économique d’abord au moment de la récession de 2008-2009, puis à la suite de la contraction historique de la consommation des ménages français en 2012, dans un contexte de recul de leur pouvoir d’achat. Ces contrecoups ont en outre été doublés de l’impact négatif des attentats en 2015 et 2016 sur l’activité culturelle. L’évolution actuelle est donc plutôt positive au regard de la morosité des années 2008 à 2013.


La valeur ajoutée des différentes activités culturelles continue de fluctuer. Quelles sont les principales évolutions ?

Un lent mouvement de transformation de l’équilibre des différentes branches est en train de s’opérer, avec un recul du poids des secteurs de l’imprimé (presse et livre). La branche de la presse papier est particulièrement en repli : deuxième secteur culturel en termes de valeur au début des années 2000, son poids dans l’ensemble des branches culturelles est passé de 18 % en 2000 à 11 % en 2017, derrière le spectacle vivant (15 %).

Le patrimoine, très impacté en 2016 à la suite des attentats, reste peu dynamique en 2017. Cependant ses perspectives sont favorables au regard, par exemple, de la hausse de la fréquentation des monuments nationaux, et son poids au sein des branches culturelles progresse, de 6% en 2000 à 9% en 2017.

L’audiovisuel reste dynamique en 2017, et même si sa croissance est moindre que l’année précédente, il est le premier contributeur à la valeur ajoutée de la culture dont il représente 27 %, soit 12,8 milliards d’euros. Ce secteur est porté par l’édition de jeux vidéo, qui continue à connaitre un essor remarquable, et la production de films pour le cinéma. L’édition de chaînes généralistes est, en revanche, en recul.

La branche des arts visuels bénéficie, quant à elle, de la forte croissance des activités de design et la croissance solide des arts plastiques. Qui plus est, les activités photographiques se stabilisent après un long repli. En 2016, cette branche pèse donc 4 milliards d’euros et connait une croissance soutenue.

Enfin l’architecture conforte sa reprise et voit sa part dans l’ensemble des branches culturelles progresser, atteignant les 8 % en 2017.

 

Festival international de théâtre de rue d'Aurillac, 2018 © Thierry Zoccolan / AFP

 

Peut-on parler, au vu des difficultés rencontrées par les secteurs de l’imprimé, d’une crise structurelle de la presse et du livre ?

Une crise structurelle s’évalue généralement par plusieurs années de recul de la croissance, ce qui est le cas pour les secteurs de la presse et, dans une moindre ampleur, de ceux du livre.

Les causes de ce recul sont sociales, techniques et économiques. Elles se cumulent mais n’affectent pas de la même manière la presse et le livre. Elles sont en outre liées à la concurrence des écrans, qui n’est pas nouvelle - elle existait déjà avec la télévision - mais qui s’est intensifiée avec le multi-équipement des Français, l’apparition et la généralisation du smartphone et la quasi-généralisation de la couverture territoriale du haut-débit. La diffusion rapide d’internet a profondément modifié, en quelques décennies, les modes d’accès à l’information, au savoir et aux loisirs ; et en aval, le modèle économique des secteurs de l’imprimé.


En 2017, trois actifs sur dix des secteurs culturels sont indépendants, contre seulement 12% dans la population active. Faut-il y voir un signe de la précarisation de l’emploi culturel ?

Non, car il y a toujours eu plus d’indépendants dans le domaine culturel, c’est une de ses caractéristiques fortes : ces derniers forment environ un tiers des secteurs et des professions culturelles. C’est un statut très lié à l’entreprenariat et constitutif de certaines professions de la création, notamment dans les arts visuels et l’architecture.

En revanche la précarité se repère bien du côté du salariat. Elle se traduit par une surreprésentation du salariat à durée déterminée (CDD, vacation, stages, emplois aidés, …) toujours deux fois plus élevé dans la culture qu’ailleurs : d’après la dernière enquête Emploi, on relève pour les salariés du champ culturel 32% de contrats temporaires contre 15% dans la population active. Elle transparaît également dans la progression du temps partiel qui peut être subi - ce dernier est en effet plus répandu et plus souvent contraint dans les professions culturelles.

Les métiers – et c’est particulièrement vrai pour ceux de la culture - évoluent de plus en plus vers de la flexibilité et de l’hybridation de compétences, ce qui joue sur le cumul de différents statuts juridiques et fiscaux dans l’emploi ainsi que sur les conditions de travail. Des mesures et analyses fines sont donc nécessaires pour bien comprendre les évolutions qui sous-tendent la permanence des 30% d’indépendants dues, entres autres, à l’externalisation de certaines activités connexes au cœur d’activité des unités économiques, au le développement de la pluriactivité…


Laure Turner, "Le poids économique direct de la culture en 2017", département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture, 16 pages, 2019. Etude téléchargeable sur www.culture.gouv.fr/Etudes-et-statistiques et sur www.cairn.info