Dispositif original du ministère de la Culture et de la Communication pour soutenir la jeune création, les Albums des jeunes architectes et paysagistes 2014 ont distingué 13 équipes d’architectes et 5 équipes de paysagistes. Du 5 novembre 2014 au 5 janvier 2015, elles sont présentées à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. Entretien avec Alice Bialestowski, commissaire de l’exposition, et rencontre avec trois équipes lauréates.

Quelles sont les tendances de cette promotion des AJAP ?

Ce sont globalement des équipes très engagées, qui ne se contentent pas de concevoir un bâtiment techniquement parfait mais souhaitent également trouver des alternatives à la conjoncture actuelle à travers des démarches très personnelles et innovantes. Ce sont des regards aussi. L’architecte Marc Barani, qui a co-présidé cette promotion avec la paysagiste Jacqueline Osty, parle de regards poétiques. En tout cas, ce sont des univers clairement affirmés.

A vous entendre, on serait tenté de dire que la démarche est politique ?

J’ai posé cette question à la plupart des lauréats. En réalité, ils réfutent le mot de politique et lui préfèrent celui de citoyen. On en trouve l’illustration dans la manière dont ils travaillent avec la maîtrise d’ouvrage. Dans le dialogue qui s’établit, on sent véritablement l’envie d’élaborer des projets ensemble, voire de les repenser si en cours de route les données changent.

Comment avez-vous organisé l’accrochage ?

Le catalogue, qui est essentiellement destiné à la maîtrise d’ouvrage, distingue clairement architectes et paysagistes. Pour l’accrochage en revanche, j’ai procédé par ordre alphabétique sans tenir compte du métier, afin de ne pas faire de scission à l’intérieur de la promotion. Les travaux des paysagistes, comparés à ceux des architectes, sont visibles dans un temps beaucoup plus long ; de même, leur métier est encore assez méconnu : pour le grand public, le paysagiste est celui qui met du vert et plante de jolies fleurs ; il arrive même encore que le milieu professionnel ait du mal à le voir comme un maître d’œuvre. J’ai donc pris le parti de mélanger les projets, d’autant que ce sont des professions qui travaillent ensemble, les architectes se réfèrent au travail des paysagistes et vice versa, et dans les écoles d’architectes, on essaye de plus en plus d’intégrer le paysage.

Qu’attendez-vous de cette exposition ?

Je souhaite montrer tout ce qui fait le prix et la spécificité du dispositif des AJAP. La France peut s’enorgueillir de disposer d’un tel dispositif. Mais aujourd’hui il y a une telle crise chez les architectes qu’il ne faudrait pas que les AJAP deviennent uniquement un label. Les jeunes architectes sont tellement aux abois économiquement qu’ils voient les AJAP comme un moyen privilégié d’accéder à la commande. C’est le but, bien sûr – il n’y a qu’à regarder les lauréats des éditions précédentes, certains sont très connus à présent – mais il ne faudrait pas les réduire à cela. Les AJAP doivent aussi rester un laboratoire d’expérimentation : à travers les AJAP, je souhaite que les maîtres d’ouvrage se penchent sur d’autres façons de faire. Il y a des projets à petite échelle et d’autres transposables à des échelles plus grandes. Aux maîtres d’ouvrages de s’en emparer. Enfin, l’exposition va circuler pendant deux ans : après la Cité de l’architecture et du patrimoine, elle ira un peu partout en France avant d’être présentée à l’étranger. La promotion se fera aussi à travers le catalogue.

Quelques lauréats dont le travail vous plait particulièrement ?

Ils sont très nombreux, je pense spontanément à Onsite, installé aux Etats-Unis, qui imprime sa marque à chaque étape du projet – dans les aspects budgétaires autant que sur le volet social –, à Boris Nauleau dont le dialogue avec ses clients fait partie intégrante du processus de conception – il ne montre des plans qu’après avoir finement analysé les attentes réelles –, ou encore à Julien Boidot et Emilien Robin, à l’Atelier PNG, à R-Architecture, chez les paysagistes à l’Atelier Altern… les talents ne manquent pas !

AJAP PLAGE

Paroles de lauréats

« Dissoudre les frontières entre paysagiste et architecte »

Gauthier Le Romancer, né en 1980, est diplômé de l’École nationale d’architecture de Paris-Val de Seine. Guillaume Derrien, né en 1979, est diplômé de l’École nationale supérieure du paysage de Versailles. Ils créent une association en 2008.

Nous travaillons beaucoup dans le cadre de marchés publics ; grâce aux AJAP, nous espérons accéder à la marche supérieure et ne plus être limités par le plafond de verre qui ne nous permet pas encore d’accéder à des marchés plus importants. C’est d’ailleurs maintenant, avec la médiatisation autour de l’exposition, que nous pourrons en mesurer l’impact. Nous sommes architecte et paysagiste, nous essayons de dissoudre un peu les frontières entre les deux disciplines dans notre pratique quotidienne. Architectes et paysagistes peuvent avoir des angles d’approche similaires, même si les professions restent différentes. C’est à travers la façon dont nous prenons en compte les usages dans l’espace public que l’on peut se faire une idée de notre engagement. Nous essayons vraiment de nous calquer sur l’existant, d’être dans la continuité des usages. En conception, nous travaillons entre autres actuellement sur un projet de station SNSM dans le port de Plouguerneau. Typiquement, on a une station qui va être sur une digue en plein milieu d’une rade exceptionnelle. Même si nous travaillons sur un bâtiment, la prise en compte du paysage est fondamentale, la forme et l’implantation du bâtiment seront déterminées par l’environnement dans lequel il s’insère.

«  Nous travaillons dans des territoires parfois exclus de la réflexion architecturale »

Boris Bouchet, né en 1980, est diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand. Il a fondé son agence en 2007.

Les AJAP valorisent la dimension culturelle des projets, c’est la raison pour laquelle cette distinction a tant de valeur pour moi. Par ailleurs, si l’agence a accès à la commande depuis plusieurs années, le fait qu’elle soit située en région nous empêche parfois de nous positionner sur des projets plus emblématiques. Le label AJAP va peut-être nous permettre de lever cet obstacle. Nous travaillons beaucoup en milieu rural et dans des villes petites et moyennes, des territoires parfois exclus de la réflexion architecturale et urbaine. Il ne faut pas confondre l’engagement pour la profession qui est indispensable et l’engagement citoyen qui est l’affaire de chacun. Nous faisons bien notre métier, c’est une chose importante, mais nous ne sommes pas non plus les sauveurs du monde. Notre engagement doit être avant tout pour la culture ; si nous travaillons sur des sujets de société, ce sont plus des thèmes qu’un engagement. Pour la génération à laquelle j’appartiens, il y a une fusion complète entre projet urbain, projet architectural et espace public. Les écoles d'architecture ont clairement pris cette orientation.

« Etendre le champ d’intervention de l’architecte »

Marie Zawistowski, née en 1980, est diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais. Elle fonde son agence, OnSite, en 2003.

Nous souhaitons partager notre approche de l’architecture et inciter à la réflexion : quel est le rôle de l’architecte dans la société aujourd’hui ? Comment peut-on concevoir des projets d’une manière différente? Je suis une architecte française mais je travaille aussi beaucoup aux Etats-Unis où nous avons fondé avec mon associé Keith Zawistowski le design/buildLAB, rattaché à l’université de Virginia Tech. Nous concevons et construisons des projets pour des communautés qui n’ont pas accès à l’architecture, ni à aucun autre service public. De notre point de vue, il faut étendre le champ d’intervention de l’architecte. Quand nous travaillons avec ces communautés, il faut les aider à définir leurs besoins et à y répondre. Le processus de réalisation d’un projet est aussi important que le résultat final. C’est une expérience partagée. La place de l’architecte est vraiment centrale, nous sommes des agitateurs, nous sommes même souvent à l’initiative des projets que nous réalisons. Je suis convaincue que l’approche que nous avons aux Etats-Unis est tout à fait viable en France. D’ailleurs, le projet présenté dans l’exposition est une boutique Emmaüs. Nous l’avons réalisé avec des personnes en insertion.

AJAP, un dispositif original pour soutenir la jeune création

Les Albums des jeunes architectes et paysagistes sont organisés tous les deux ans par le ministère de la Culture et de la Communication avec la Cité de l’architecture et du patrimoine. Ils sont ouverts aux jeunes diplômés européens ou étrangers ayant réalisé un projet ou participé à un concours en France. Dispositif de promotion autant que tremplin pour les lauréats, ils visent à favoriser l’accès à la commande des jeunes architectes et paysagistes.