Alors que les cendres de Jean Zay vont entrer au Panthéon le 27 mai avec celles de trois autres personnalités de la Résistance, le ministère de la Culture et de la Communication se penche sur le parcours du ministre du Front Populaire assassiné par la Milice en 1944 à travers plusieurs expositions. Ses filles, Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay, témoignent.
Fleur Pellerin vient d’inaugurer en votre présence une exposition conçue sous le péristyle du Palais-Royal par les Archives nationales : « Jean Zay, une vie d’engagements ». Quel est votre sentiment à chaud ?
Catherine Martin-Zay : D’abord, un sentiment très particulier, car une telle exposition remue toute notre vie, en mêlant les moments intimes aux moments de la vie publique. On a l’impression de se retourner sur ces années-là où nous étions de jeunes enfants, notamment sur la période 1940-1944, avec ce qu’elles ont pu avoir de joyeux mais aussi de dramatique, de douloureux. Ensuite, j’ai vraiment l’impression d’être face à une vie – enfin – réunifiée.
Hélène Mouchard-Zay : J’insisterai sur ce dernier aspect : le travail de mémoire a permis de recomposer un portrait global de Jean Zay, où chacun de ses engagements entre en résonance avec les autres. Le fougueux député radical soucieux de faire évoluer la société avec le captif qui rédige jusqu’en 1944 des projets de réforme pour la fin de la guerre. Le ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front Populaire qui conçoit une politique ambitieuse avec le détenu qui s’interroge sur les raisons de la défaite de 1940.
L’exposition a été réalisée à partir des importantes sources inédites que vous avez données en 2010 aux Archives nationales. En quoi ces archives privées permettent-elles de réévaluer le parcours de Jean Zay ?
HMZ : Pour moi, elles constituent avant tout une formidable possibilité de développement des études sur Jean Zay, grâce au travail magnifique d’inventaire réalisé sur ce fonds par Caroline Piketty aux Archives nationales, mais aussi d’historiens comme Antoine Prost ou Annette Wieviorka. Si l’on connaît bien – entre autres – le ministre de l’Éducation nationale, son action en faveur de la culture est, par exemple, assez largement méconnue. Or, celle-ci est loin d’être négligeable, il suffit de jeter un coup d’œil sur son bilan pour s’en rendre compte. De plus, la cohérence profonde de sa politique éducative et de sa politique culturelle s’inscrit pleinement dans les valeurs et le projet politique du Front Populaire.
Jean Zay apparaît en effet comme le précurseur des ministres de la Culture « modernes », plusieurs décennies avant la création du ministère par Malraux...
CMZ : Il concevait ses deux missions – éducation et culture – comme indissociablement liées. Ce qui a eu un certain nombre d'implications directes pour le public : baisse des tarifs des théâtres et des musées, création de grands établissements, comme le Palais de la Découverte, dont les missions sont les expositions et l’éducation populaire aussi bien que la recherche... Derrière ces mesures concrètes, on retrouve une grande idée qui a toujours cours aujourd’hui : la démocratisation culturelle. S’il n’y a eu depuis lors qu’un seul département ministériel similaire unissant éducation et culture, celui de Jack Lang en 1992, ces deux domaines sont réunis aujourd’hui avec le développement de l’éducation artistique et culturelle.
Jean Zay disposait aussi de la confiance des artistes et des écrivains...
HMZ : Dans l’exposition du Palais-Royal, on peut voir des lettres de Jean Cocteau et de Joseph Delteil, des échanges avec Louis Jouvet, Jacques Copeau, qu’il nomme artistes associés à la Comédie-Française... Elles traduisent le crédit important dont jouissait Jean Zay auprès des artistes. Ceux-ci se sont sentis, pendant son mandat, réellement entendus. Il a voulu également réformer le droit d’auteur pour faire de l’auteur le véritable bénéficiaire de son œuvre, annonçant les grands thèmes de l'exception culturelle à la française.
«Cocteau, Jouvet, Dullin... les lettres présentées au Palais-Royal traduisent le crédit important dont jouissait Jean Zay auprès des artistes » (Hélène Mouchard-Zay)
En 1921, il s’engage aux Jeunesses laïques et républicaines. Ces deux mots – laïcité et République – ne rendent-ils pas l'image la plus fidèle de votre père ?
HMZ : Pour Jean Zay, il existe de multiples façons de résister, y compris dans l’action politique. Il alerte contre la montée du fascisme dès le début des années 1930. En 1937, pour contrer la Mostra de Venise dont le palmarès a été dicté par les dictateurs il crée le 1er festival de Cannes : seule la guerre en empêchera l’ouverture… Il a aussi déposé un projet de loi créant l’ENA – on peut le voir au Palais-Royal – afin de démocratiser le recrutement des hauts fonctionnaires et constituer un solide socle de fonctionnaires qui soient acquis à la République.
CMZ : Selon les mots de François Hollande, « Jean Zay, c’est la République ». En effet, les valeurs auxquelles il est resté fidèle toute sa vie sont les valeurs républicaines. C’est pourquoi son entrée au Panthéon est importante. Car l’hommage qui lui sera rendu par la Nation dépasse son seul parcours. A travers cette reconnaissance, sa vie fait la synthèse de bien d’autres vies.