Nommée par Aurélie Filippetti à la tête du Conservatoire national supérieur d'art dramatique, Claire Lasne Darcueil, comédienne et metteur en scène, représente, avec Irina Brook au CDN de Nice, Mathilde Monnier au Centre national de la danse ou Philippe Quesne et Nathalie Vimeux au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, la nouvelle vague des nominations dans le spectacle vivant plus féminisée et davantage tournée vers le terrain. Elle présente les grands axes de son programme pédagogique.
« Comédienne », c'est ainsi que Claire Lasne Darcueil se définit. Pas comme directrice de scène publique (elle a dirigé pendant douze ans le Centre dramatique Poitou-Charentes), ni comme metteur en scène (elle poursuit, entre autres, une intégrale remarquée des pièces de Tchekhov) ou comme « oreille » attentive des auteurs (elle a animé un lieu de résidences d'artistes, la maison Maria-Casarès, entre 2010 et 2013). La nouvelle directrice du Conservatoire national d'art dramatique – Aurélie Filippetti l'a nommée il y a trois mois à la tête de cette institution prestigieuse – se reconnaît plutôt dans son « métier » d'origine, celui qu'elle a appris, précisément, au Conservatoire, où elle a fait ses premières armes.
Pourquoi simplement comédienne, alors que votre expérience est beaucoup plus large ?
Depuis l'âge de dix ans – grâce à un professeur qui m'a fait découvrir l'univers de la scène – je pratique le théâtre. Ce qui signifie que j’ai tout de suite été plongée dans le bain, à travers la lecture des pièces et à travers le jeu ; la mise en scène est venue par la suite, à vingt-six ans. Depuis, ça n’a jamais changé. Le théâtre, pour moi, c’est tout sauf un divertissement ; c’est le lieu où se joue quelque chose de beaucoup plus essentiel, qui a à voir avec les échanges, les mots, le silence, la présence, l’absence, l’amour. Sur scène, le comédien porte seul une grande responsabilité, celle de rendre les mots à tout le monde.
Au Conservatoire la « matière première » de votre travail est le devenir de chacun de ces futurs comédiens. Comment allez-vous procéder ?
Pour moi, ce travail est avant tout un travail d'écoute. De même que, dans mon approche de metteur en scène, j'écoute « ce que me dit » une pièce de théâtre, de même, au Conservatoire, je suis à l'écoute des élèves, quels sont leurs désirs, leurs peurs, ce qui les freine, ce qui les gêne, ce qui les enthousiasme. Très souvent, l'expression de leurs difficultés, de leurs problèmes, comprend elle-même la réponse. Simplement, ils ne l'entendent pas, ou mal, ou pas complètement. Il faut les aider, les mettre sur la voie, leur faire des suggestions. Mon travail est de rendre ces solutions, ces réponses, audibles à eux-mêmes.
Comment la scolarité va-t-elle s'organiser ?
D'abord, il faut renforcer la logique propre aux trois années de formation au Conservatoire. On n'a pas les mêmes attentes, quand on entre au Conservatoire et quand on est arrivé au bout de la formation. Pour retrouver un mouvement, une dynamique, entre ces trois années, j'ai redistribué les missions de chacune d'entre elles. La première étant destinée à assurer un socle solide d'enseignements fondamentaux, en poursuivant notamment l'attention qui a été portée à la danse, au clown, au masque, au chant, et en travaillant le rapport au texte, à la place du corps. En dernière année, en revanche, les élèves n'auront plus que des ateliers de création, la formation étant tournée vers la réalisation d'un objet artistique, en vue de la professionnalisation. La deuxième année sera un mélange des deux : les cours seront rythmés par des master-classes (de deux jours à trois semaines) animés par des professionnels du monde de la scène.
Ce « mouvement » va-t-il donner lieu à d'autres initiatives ?
Pour valoriser la formation d'excellence que constitue le Conservatoire, j'aimerais qu'une itinérance soit mise en place. Cela permettrait aux élèves de se frotter à d'autres publics et aux régions d'avoir accès aux richesses de nos propositions. La première ville a avoir répondu présent est Grenoble. Par ailleurs, j'aimerais développer notre production de films et faire en sorte que non seulement le Conservatoire soit producteur d'images mais qu'il les distribue, les diffuse. Il faudrait créer une « adresse » pour que nos films aient un destinataire et ne soient pas simplement archivés.
Les « passerelles » entre les formations supérieures culture vont-elles être renforcées ?
En effet, nous travaillons déjà avec la Fémis [école nationale supérieure des métiers de l'image et du son]. De façon plus générale, j'ai commencé à rencontrer l'ensemble des écoles d'art. L'idée est de trouver ou d'intensifier les axes de coopération, de développement, avec chacune d'elles, mais surtout d'essayer de travailler à quelque chose de fédérateur – une manifestation commune ? – pour l'ensemble de l'enseignement supérieur culturel. Par ailleurs, pour développer la diversité des profils, je vais créer dans des zones dites défavorisées (en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne, par exemple) des classes préparatoires gratuites pour accéder au Conservatoire.
Entre 1998 et 2010, vous avez dirigé la Comédie Poitou-Charentes. Vous avez montré que les idées pour toucher le public – en particulier un public rural, mais aussi le public handicapé – sur un territoire ne dépendent pas seulement des moyens financiers.
À la Comédie, mon travail – la programmation, les différents publics que nous avons amenés à s'intéresser au théâtre, le fait de jouer sous un chapiteau – m'a donné beaucoup de joie. J'espère que les élèves du Conservatoire pourront trouver eux aussi dans leur travail la faculté d'être joyeux.