Pour son projet de pièce de théâtre, "Ma vie d’ogre", Olivia Barron ne pouvait pas trouver lieu plus stimulant que le Pas-de-Calais et meilleurs partenaires d’écriture et de scène que les enfants. Suite de notre série de portraits de jeunes artistes participant au dispositif de résidences artistiques à l’école Création en cours (4/8).

C'est la directrice de l’école, Christelle Rochet, qui lui raconte la scène. « Elle me dit avoir entendu des élèves dont elle ignorait le son de la voix il y a encore quelques semaines ». À l’heure où approche la fin de sa résidence à l’école primaire Jules Ferry d’Arques, Olivia Barron, jeune dramaturge, diplômée de l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg depuis 2013, peut déjà s’enorgueillir d’un beau bilan.

Pour initier les enfants à l’écriture et au jeu, je trouvais intéressant de partir du Petit Chaperon rouge, un conte que tout le monde connaît et d’en étudier les différentes versions, celles de Grimm et de Perrault, mais aussi celle, contemporaine, de Joël Pommerat

Le choix pour la jeune artiste de s’installer pour quelques semaines à Arques, connue pour sa célèbre cristallerie – toujours en activité aujourd’hui bien qu’ayant perdu beaucoup de ses effectifs – ne relève pas du hasard. Non loin de là, à Boulogne-sur-Mer, elle avait un grand-père sauveteur en mer. Elle se souvient « d’un territoire marqué par les carnavals, le grotesque, les histoires de géants, et d’un patois, la langue chti, fourmillant d’expressions et pleine d’humour », mais aussi d’un lieu de l’enfance à la géographie fascinante que la résidence lui permet aujourd’hui d’explorer plus avant : « Je voulais y retourner pour les plages du nord, les bunker, les anciennes sucreries, les éoliennes, pour ce mélange entre un paysage industriel et un paysage maritime très délicat avec des dunes, des roseaux ».

Toutes choses en phase avec sa démarche artistique : « Je n’aime rien tant que mélanger les univers réalistes et oniriques, opérer une bascule de l’un à l’autre. Chez Ibsen, auquel je m’intéresse beaucoup, il y a souvent des trolls, des démons qui arrivent dans des univers extrêmement réalistes et qui finalement sont les fantômes ou les obsessions des personnages qui remontent à la surface. Ce sont toujours des univers intimes, de l’ordre de la psyché, cela m’intéresse énormément de les traduire par ces mondes oniriques ». Une démarche qui se traduit concrètement aujourd’hui par l’écriture d’un conte, Ma vie d’ogre, à laquelle la résidence à l’école primaire Jules Ferry offre une formidable opportunité : poursuivre le travail en cours et le refaçonner au gré des propositions issues des ateliers menés en parallèle avec les enfants.

Des ateliers en plusieurs étapes avec quatre classes, deux CM1, deux CM2 auxquelles se joignent des élèves en situation de handicap : « J’ai fait deux premières séances sur Le Petit Chaperon rouge. Pour initier les enfants à l’écriture et au jeu, je trouvais intéressant de partir d’un conte que tout le monde connaît et d’en étudier les différentes versions, celles de Grimm et de Perrault, mais aussi celle, contemporaine, de Joël Pommerat. Nous avons commencé à écrire des monologues, une forme dans laquelle les enfants peuvent mettre beaucoup de subjectivité en ce qu’elle est une recherche sur les états et les émotions: le monologue, c’est toujours le personnage qui s’épanche. Je leur ai ainsi fait écrire le monologue du petit chaperon rouge dans la forêt. Il est frappant de constater que ce qui en a résulté était très brut et relié à leur identité : il y avait des petits chaperons très rebelles, qui en avaient assez d’être envoyés chez leur grand-mère tous les week-ends, certains qui avaient commencé à boire la bouteille de vin et à manger la galette, d’autres encore qui avaient complètement oublié la rencontre avec la grand-mère ou qui trouvaient le loup très séduisant et voulaient se remettre du mascara en chemin ».

Des séances pendant lesquelles, en même temps qu’elle leur proposait de lire les différentes versions du conte, Olivia Barron montrait de nombreuses photographies aux enfants, leur livrait un matériau comparable à celui proposé à une authentique équipe de création théâtrale dans le but d’être au plus près de l’histoire, comme s’ils l’avaient vraiment vécue.  En marge des ateliers en classe, elle a aussi confié des dictaphones aux enfants afin qu’ils « s’enregistrent ou recueillent auprès de leur famille les histoires qui traversent le territoire ».

Le théâtre peut être inhibant mais, dans nos ateliers, il y avait un côté très ludique et même les plus timides ont osé. J’ai très vite senti ce plaisir qu’ils avaient à être à la fois auteur et acteur de leurs textes

Est venu ensuite le moment fatidique du passage sur le plateau : « Au départ, dans l’esprit des enfants, le théâtre c’était le texte bien dit, mettre le ton. À l’aide de la méthode de Jacques Lecoq très centrée sur les états et le ressenti, j’ai déconstruit tout cela. Pour travailler le tragique, je suis partie de la matière, de la glace et du bois pour montrer un personnage très dur, et même d’une boîte de spaghetti : j’ai demandé aux enfants d’imaginer qu’ils étaient une boîte de spaghetti sortie d’un placard puis jetée dans une marmite d’eau bouillante. C’est une autre approche pour essayer d’entrer dans l’état émotionnel des personnages. Ce sont des exercices que l’on m’a enseignés, que j’ai faits avec des adultes, mais c’était la première fois avec des enfants. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils se projettent et s’identifient complètement ».
 
Même méthode pour la deuxième partie du projet centré sur Ma vie d’ogre. « C’est un ogre complètement déprimé, triste et mélancolique, qui n’aime plus manger les enfants. Nous avons recommencé à regarder des images puis j’ai proposé aux enfants de proposer de nouvelles esquisses à partir des scènes que j’avais déjà écrites, celle par exemple du monologue de l’ogre qui appelle sa mère et se plaint de tout. Autant dire que le résultat a parfois été surprenant : un ogre a ainsi appelé sa mère pour lui raconter que la centrale de Tchernobyl avait explosé, et que depuis, les enfants avaient un goût acide et des pieds de dix mètres de long… ces éléments de réel qui surgissent par moments dans leur écriture sont vraiment intéressants ». Une implication dans l’écriture qui n’est peut-être pas indifférente à la liberté qui s’est ensuite exprimée sur scène : « Au fur et à mesure de la résidence, j’ai vu de plus en plus les enfants se laisser aller à éprouver les états et la couleur de leur personnage sur le plateau. Le théâtre peut être inhibant, or tout le monde s’est prêté au jeu : il y avait un côté très ludique dans les ateliers, et les plus timides ont osé. J’ai aussi très vite senti ce plaisir qu’ils avaient à être à la fois auteur et acteur de leurs textes ».

La résidence est une réussite à tous égards pour la jeune dramaturge : « Par le passé, j’avais déjà travaillé avec des collégiens et des lycéens mais je n’avais encore jamais dirigé des enfants de neuf-dix ans. C’est une première expérience passionnante : parce que les enfants ont lu et réécrit ma pièce, je sais à présent ce qui les intéresse, ce qui les amuse, ou au contraire ce qui est trop long et qu’il faut épurer. J’ignore encore si je vais écrire une pièce tous publics ou jeune public ». Nul doute qu’Olivia Barron rendra hommage à ses jeune co-auteurs lorsque la version finale de Ma vie d’ogre verra la jour.