A l'occasion de l'édition 2019 de Livre Paris, le ministère de la Culture va mettre l'accent sur un thème emblématique : bibliothèques et territoires. A cette occasion, nous republions notre article du 17 décembre 2018 sur l'un de ses dispositifs phares, les contrats territoire-lecture.

Les contrats territoire-lecture, dont la première Journée nationale a eu lieu le 5 novembre dernier à la bibliothèque Oscar Niemeyer, au Havre, associent État et collectivités territoriales pour le plus grand profit du développement de la lecture publique sur l’ensemble du territoire. Retour sur les enjeux d'un dispositif d'avenir avec Anne Morel et Sophie Biraud, chargées de mission au service du livre et de la lecture du ministère de la Culture.

Les contrats territoire-lecture (CTL) ont été lancés en 2010. Quel en était l’enjeu ?

Inspirés des contrats ville-lecture, qui associaient l’État et les villes, les contrats territoire-lecture ont une visée plus large et soutiennent tout type de collectivité territoriale souhaitant s’engager dans un projet de développement de la lecture – étant entendu que celui-ci doit s’appuyer sur le réseau des bibliothèques présentes sur leur territoire. Il s’agit d’un dispositif très souple, d’une durée de trois à six ans, dont le contenu est variable d’un territoire à l’autre. La méthodologie peut se résumer ainsi : les partenaires dressent un bilan de l’existant, s’interrogent sur les points forts et les faiblesses éventuelles du réseau de lecture et de bibliothèques, et plus largement du territoire : existe-t-il, par exemple, des publics qui ont des besoins spécifiques ? S’il s’agit d’un territoire où il y a un problème d’illettrisme, est-ce que les bibliothèques peuvent y apporter une réponse ? De grandes priorités sont ensuite définies sur la base des besoins identifiés. Tout au long de la mise en place du projet, des comités de pilotages se réunissent ponctuellement. Enfin, à l’issue du contrat, un bilan, envisageant la manière dont certaines actions pourraient être pérennisées, est réalisé.

 

Le contrat territoire-lecture est un outil en phase avec l’évolution des bibliothèques. Il repose sur l’idée que les bibliothèques doivent s’ancrer dans un territoire, répondre aux attentes des habitants, travailler en partenariat avec d’autres structures

 

Quel est le rôle spécifique des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) dans le dispositif ?

Il est essentiel, le dispositif est entièrement déconcentré et les DRAC négocient directement avec les collectivités territoriales. Elles aident les collectivités à formaliser leurs projets et accompagnent les élus dans la connaissance et la prise de conscience du rôle que pourraient jouer les bibliothèques présentes sur leur territoire. Dès l’origine, l’ambition était que les collectivités soient à la manœuvre pour proposer ce qui leur paraissait le plus pertinent.

Si l’on devait faire une cartographie des contrats territoire-lecture, quelle serait-elle ?

L’évaluation est encore en cours mais les éléments dont nous disposons permettent déjà d’avoir une bonne appréciation de la situation : 161 contrats ont été conclus à ce jour, ce qui représente une augmentation importante du nombre des contrats territoire-lecture pour la période 2015-2017, celle-ci allant de pair avec les crédits supplémentaires affectés au dispositif sur la même période. Les CTL aujourd’hui sont majoritairement signés par deux parties, le ministère de la Culture et une collectivité territoriale, mais parfois aussi avec plusieurs collectivités ainsi que d’autres partenaires. Les bénéficiaires sont des départements, des régions, cas très rare, des communes, ou des communautés de communes. Sur la période récente, l’évolution la plus significative est la montée en puissance des contrats territoire-lecture signés avec des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : ils représentent 52% contre 36% lors de la période précédente. En termes de crédits alloués, on arrive aujourd’hui à un euro de l'État pour 1,24 euro de la collectivité, un chiffre qui ne concerne que les contrats que nous avons recensés récemment et qu’il faut prendre avec prudence mais qui témoigne d’une normalisation du dispositif qui commence à vivre en dehors de l’État.

 

 

La Journée nationale des contrats territoire-lecture organisée au Havre le 5 novembre dernier a été l’occasion de dresser un bilan des actions entreprises. Quel est-il ?

Les axes de travail qui se dégagent de l’évaluation correspondent aux orientations qui avaient été données : agir auprès des territoires prioritaires, mettre en place des actions d’éducation artistique et culturelle, en particulier en direction des publics jeunes, enfin, soutenir les projets de mise en réseau des bibliothèques dans le cadre de la prise de compétences en matière de lecture publique et de culture des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). S’agissant des territoires prioritaires, il a été demandé aux DRAC de concentrer les moyens en direction des publics qui en ont le plus besoin. Pour les CTL, cela s’est surtout traduit par un travail en direction d’une part des territoires ruraux et d’autre part, des quartiers de la politique de la ville. Il apparaît en effet que les bibliothèques sont un outil d’intervention très intéressant auprès des habitants. Résultat : sur 161 contrats évalués, 84 comportaient dans leur périmètre un quartier prioritaire de la politique de la ville, et parmi eux, 30 consistaient à mettre en œuvre une politique à l’attention des habitants des quartiers concernés.

Quel est le bilan s’agissant des publics jeunes, de la mise en réseau des partenaires ?

S’agissant des publics jeunes, les contrats territoire-lecture s’insèrent dans les dispositifs d’éducation artistique et culturelle et revêtent des modalités très différentes. Certains sont axés sur la petite enfance quand d’autres ciblent les publics jeunes dans leur ensemble. Enfin, la mise en réseau, et son corollaire, la mise en place d’une politique de lecture globale à l’échelle d’un EPCI, sont des axes particulièrement forts du dispositif. Cela passe notamment par un travail des acteurs autour de la définition d’objectifs communs, notamment à travers la mise en place d’un schéma de la lecture publique, par le fait de proposer la même offre de ressources numériques à l’échelle de l’ensemble du territoire ou de former les personnels à travailler ensemble, ou encore par la mise en place d’une saison d’actions culturelles communes sur tout le territoire. En marge de ces grands axes de travail, le contrat territoire-lecture peut aussi avoir d’autres fonctions : dans le cas par exemple de la préfiguration d’une nouvelle bibliothèque, il permet de prendre le temps de mûrir le projet, d’associer la DRAC, de mener éventuellement une étude préalable auprès des habitants pour concevoir un projet qui soit adapté aux besoins du territoire, enfin, d’avoir une réflexion prospective sur le rôle que pourrait jouer la bibliothèque.

 

 

Un exemple de réussite ?

Le contrat territoire-lecture mis en place par la ville du Havre entre 2012 et 2015 était particulièrement ambitieux : il visait à accompagner la politique de développement de la lecture publique de la ville dans le cadre d’un grand plan transversal, « Lire au Havre », aux objectifs multiples. Il s’agissait notamment de donner accès au livre sur l’ensemble du territoire urbain, en particulier en mettant à disposition des relais dans des structures recevant des publics en difficulté, de définir un nouveau projet de bibliothèque – c’est dans ce cadre qu’a été créée la nouvelle bibliothèque Oscar Niemeyer, très bel équipement pensé comme un tiers-lieu – et de mettre en place un festival littéraire, « Le goût des autres ». Une démarche qui a servi de modèle : la ville de Paris vient de signer un contrat territoire-lecture qui a lui aussi vocation à accompagner un grand plan formalisant l’engagement de la ville en faveur des bibliothèques et du développement de la lecture.

Quel est le principal défi pour les prochaines années ?

Le contrat territoire-lecture est un outil en phase avec l’évolution des bibliothèques. Il repose sur l’idée que les bibliothèques doivent s’ancrer dans un territoire, répondre aux attentes des habitants, travailler en partenariat avec d’autres structures, non seulement culturelles, mais intervenant dans le champ social, éducatif. Les contrats territoire-lecture, en mettant cette question des partenariats au centre, incitent les bibliothèques à se positionner en sens. Il s’agit d’un outil souple dont les collectivités se sont emparées et continuent de s’emparer. Pour preuve, les nombreuses demandes de nouveaux contrats qui nous ont été adressées dernièrement.

 

Lecture publique : un dispositif complémentaire en faveur de la ruralité

Depuis 2018, les contrats départementaux lecture-itinérance (CDLI) viennent renforcer les réseaux de lecture publique dans une logique d'action culturelle mobile et de proximité. « Le dispositif, qui a été mis en place dans le cadre du plan Culture près de chez vous, est extrêmement structurant. Destiné spécifiquement à l'échelon départemental, il est complémentaire des contrats territoire-lecture en matière de développement de synergies et de mise en réseau des acteurs, tout en ciblant prioritairement la ruralité. Les premières collectivités à avoir signé des contrats départementaux lecture-itinérance correspondent à des territoires comportant des zones enclavées où il est important de faire venir la culture et l’ingénierie de la bibliothèque départementale au plus près des petites bibliothèques et des habitants pour garantir une égalité d’accès à la culture sur l’ensemble du territoire », explique Thierry Claerr, chef du bureau de la lecture publique au service du livre et de la lecture du ministère de la Culture. Sept contrats ont déjà été conclus et 500 000 euros seront affectés en 2019 au dispositif.