Valorisation, formation, rayonnement à l’international, place au sein de la stratégie économique de l’État… Les Assises du design, fruit d’un intense travail de concertation entre tous les acteurs du secteur, ont posé les jalons de la future politique du design en France.

Dessiner la future politique du design français : c’est l’ambition revendiquée des premières Assises du design, organisées le 11 décembre par le ministère de la Culture et le ministère de l’Économie et des Finances. Celles-ci présentent le travail réalisé depuis huit mois par 200 participants et 1200 contributeurs. « Cet effort collectif est soudé par le sentiment que le design mérite plus de place qu’il n’en a aujourd’hui », soutient Thierry Mandon, directeur général de la Cité du design.

Une ambition qui s’incarne jusque dans la scénographie de l’événement, la mise en espace du Centre de conférences du ministère de l’Économie et des Finances, conçue par l’École nationale supérieure des arts décoratifs, étant directement inspirée par celle du Serment du Jeu de Paume, en 1789. « Nous souhaitions cette redistribution symbolique de la parole, assure Sylviane Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique au ministère de la Culture. Cette restitution, qui est une première dans sa façon d’aborder une politique publique sur un mode participatif, se veut comme un cahier des doléances de toutes les parties prenantes, professionnels, État, collectivités locales ».  

Créer un conseil national du design : c’est la mesure phare des Assises du design. Sa mission sera de conseiller le gouvernement sur le modèle du conseil national du numérique

Valoriser le design

« De même qu’il n’y a pas un design mais des designs, il n’y a pas qu’une manière de valoriser le design », lit-on dans les cahiers des Assises du design. Pas une seule manière certes, encore faut-il qu’elle ne soit pas « trop fragmentée, comme c’est encore souvent le cas », constate Dominique Sciamma, président de l’Agence pour la Promotion de la Création Industrielle.

Pour remédier à cette situation, plusieurs propositions émergent. La première est d’animer un réseau de coordination des acteurs territoriaux de la promotion du design. La création d’un grand prix international du design est la deuxième proposition. « Cette récompense, qui aurait pour nom de code French Global Design Awards, honorerait le design dans sa globalité, serait en accord avec les objectifs du développement durable et déconnecté des seuls enjeux économiques », précise Anne-Marie Sargueil, présidente de l’Institut français du design.

Dans le même registre, il est également proposé une France Design Week. « Il existe déjà plusieurs rendez-vous emblématiques, tels la biennale de Saint-Étienne ou la Paris Design Week. L’enjeu serait de donner une visibilité encore plus grande au design autour d’un événement fédérateur », souligne Lucile Galindo, cheffe de projet à l’Agence pour la Promotion de la Création Industrielle.

Dernière proposition : adapter la politique de présentation des collections publiques au design, autrement dit « concevoir un grand projet repensant l’exposition du design qu’il faut appréhender dans sa diversité », plaide Lucile Galindo. « Dans le contexte particulier d'une île comme la Corse, la valorisation du design a amené la valorisation du territoire lui-même », témoigne Marina Martelli, présidente de l’association Territoires Design et directrice de la première école de design en Corse, SupDesign.  

 

Intégrer le design dans la stratégie des entreprises

Denis Tersen, directeur général de Lille Métropole 2020, relève un paradoxe. « Nous avons des écoles reconnues, des designers internationalement célèbres, mais on ne repère pas la place du design dans l’économie française ». Pour consolider une meilleure prise en compte, la première proposition est de placer le design au cœur de la stratégie économique de l’État. « Il faut mettre le design là où les entreprises sont prêtes à investir, dans l’innovation, les mutations climatiques, la transition numérique », poursuit Denis Tersen. Mais ce n’est pas tout. Le design doit également devenir un grand dessein pour Bpifrance, l’organisme de financement et de développement des entreprises. « Pour cela, il faut que la présence d’une « dimension design » soit valorisée dans tout projet pour lequel une aide est sollicitée ».

Parmi les autres propositions de leviers, notons le développement des dispositifs cohérents d’aides régionales au design et conforter les structures d’accompagnement au design dans les territoires. « Il est nécessaire de trouver un design adapté à leurs besoins, d’inciter à la création d’un dispositif de repérage », plaide Céline Savoye, directrice de Lille-Design. Autre proposition : développer les rencontres entre entreprises et designers et développer les formations en design dans les programmes de formation destinés aux salariés des entreprises. Selon la directrice de Lille-Design, « les entreprises sont de meilleures commanditaires dès qu’elles sont formées au design ».  

La preuve avec les Fonderies de Sougland qui, parce qu’elles ont intégré le design dans leur développement, sont aujourd’hui à la fois « une Entreprise du Patrimoine Vivant et une vitrine du futur », dit Yves Noirot, leur directeur général.   

Il faut mettre le design là où les entreprises sont prêtes à investir, dans l’innovation, les mutations climatiques, la transition numérique

Former au design

Né des traditions des arts décoratifs et influencé par les évolutions de l’économie et de la société, le paysage de la formation en design en France, « est aujourd’hui très divers, partagé entre structures publiques et privées, dépendant de quatre ministères », souligne Jacqueline Febvre, membre du conseil d’administration de l’Association nationale des écoles supérieures d’art.

Dans ce contexte, réaliser une étude sur l’offre française d’enseignement supérieur en design apparaît comme un préalable indispensable. « Si les professionnels ont du mal à s’y retrouver, c’est encore plus difficile pour l’étudiant ». Une étude à laquelle pourront s’arrimer de multiples actions : créer une vitrine nationale annuelle présentant des projets de diplômes d’étudiants en design (« ce serait un véritable coup de pouce pour l'insertion professionnelle », précise René-Jacques Meyer, directeur de l’école Camondo)  ; développer des rencontres entre jeunes designers et recruteurs dans les territoires ; faire reconnaître un diplôme bac +8 en design permettant « aux étudiants de considérer qu’ils ont un PhD, un statut spécifique » souligne Jacqueline Febvre ; développer la formation continue dans les écoles supérieures de design ; développer les approches pédagogiques d’initiation à la pratique professionnelle et à l’entrepreneuriat dans les écoles supérieures de design.  « Les designers ont une compétence en création mais ont parfois du mal à vendre leur projet » résume Jacqueline Febvre.

Camille Zonca, diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs et de la filière étudiant-entrepreneur PSL-Pépite, aujourd’hui co-fondatrice de Label Famille, évoque l’apport de son double cursus, où « le mouvement de sensibilisation et d’apprentissage se fait de l’entreprise vers le design et inversement ». Même tonalité chez Emmanuel Gagnez, président-directeur général de Sammode, qui dit s’être tourné vers le design, « par goût, par conviction et par raison ». Eloi Chafaï, designer, co-fondateur de Normal Studio, qui a conçu la nouvelle identité de l’entreprise, a eu quant à lui pour mission de « cordonner toute la création pour que le design soit un moteur de croissance »

 

Engager une politique internationale du design

Le design français est un levier à l’exportation des produits français et un élément de soft power pour rayonner à l’international. D’où la nécessité de développer une signature internationale pour le design français, autrement dit de « créer une bannière commune à l’international en s’inspirant d’une démarche de définition de marques » selon Frédéric Degouzon, directeur de la stratégie et de la recherche & développement à l’école de design Nantes Atlantique.

Une signature unique dont l’influence, à n’en pas douter, rejaillirait sur les autres propositions : favoriser la dimension internationale des entreprises par le design et les designers ; faire émerger une communauté de designers français à l’étranger ; doter la France d’un niveau de diplôme en design reconnu à l’international ; enfin, capitaliser sur l’expérience des métropoles pionnières dans la politique de valorisation internationale par le design.

Yohan Erent, jeune designer, qui, jusque-là, a principalement travaillé à l’étranger, aux États-Unis et en Italie, sur des thématiques digitales, voit d’un très bon œil la création d’un réseau de designers à l’étranger. Celui-ci permettrait notamment « de s’y retrouver sur les questions administratives et de statut ».     

Progressivement, le design s’est coulé dans l’action publique locale. C’est une source fédératrice et démocratique. Les designers sont la cheville ouvrière d’une démarche participative

Ancrer durablement le design dans les politiques publiques

« Les politiques publiques peuvent-elles être un nouvel environnement pour le design ? » Cette question, qui irrigue la réflexion sur la place du design, Laura Pandelle, designer à la « 27e région », laboratoire de transformation des politiques publiques et territoriales, l’a « reformulée ». « Nous avons en effet constaté qu’il ne s’agissait nullement d’un sujet nouveau », justifie-t-elle, en mettant en avant une problématique plus spécifique : « comment garantir un design d’intérêt général, un design responsable ? »

Pour apporter cette « garantie », deux propositions émergent. D’abord, développer l’innovation par le design dans l’action publique. « Il faut que l’accès au design soit favorisé pour un grande variété d’acteurs de terrain », estime Laura Pandelle, qui plaide pour « une nouvelle génération d’appels à projets ».  Ensuite, la designer souligne l’importance de développer la formation des designers et la sensibilisation des acteurs publics au design. En effet, en dépit de l’engouement suscité par le design des politiques publiques, « les collectivités locales peinent aujourd’hui à recruter des designers spécialisés », regrette Nathalie Arnould, design manager au service des collectivités à la Cité du design.
 
Christian Paul, élu local en Bourgogne et enseignant à Sciences Po Lyon, revient sur le rapport entre design et politiques publiques. « Progressivement, le design s’est coulé dans l’action publique locale. C’est une source fédératrice et démocratique. Les designers sont la cheville ouvrière d’une démarche participative. Ils imaginent l’avenir du village avec la volonté de le programmer à long terme. C’est un antidote extraordinaire à la dictature de l’urgence ».

Le design, qui n’est ni un secteur, ni une discipline, mais un paradigme

Structurer l’écosystème du design

Créer un conseil national du design : c’est la mesure phare des Assises du design, co-construite par tous les groupes de travail. « Les défis auxquels nous sommes confrontés nécessitent une rupture avec les anciennes méthodes, explique, radical, Dominique Sciamma. Cette approche a un nom : le design, qui n’est ni un secteur, ni une discipline, mais un paradigme. Ce conseil national aura pour mission de conseiller le gouvernement sur le modèle du conseil national du numérique ».

Cette mesure a trois corollaires. D’abord, mobiliser le programme d’investissement d’avenir (PIA) sur les projets d’innovation par les usages. « Ce dispositif mis en place pour favoriser la compétitivité, la croissance et l’emploi pourrait être un bon outil pour accompagner les différents acteurs du design », souligne Isabelle Vérilhac, directrice Innovation & International à la Cité du design. Deuxième proposition : lancer un portail national de services sur les ressources en design présentes dans les territoires.

Enfin, mesurer l’impact économique du design. C’est précisément l’objet d’une étude que le MEDEF vient de commander à la Cité du design. Céline Savoye, directrice de l’observatoire mis en place à Lille-Design, souligne l’intérêt « d’un tel dispositif dans chaque région ».

 

Franck Riester : « Le design est au cœur de tout »

« Le design est au cœur de tout ». Cette conviction, le ministre de la Culture l’a illustrée par le travail de la designer Charlotte Perriand (1903-1999) présenté en ce moment par la Fondation Louis-Vuitton, à Paris. « Cette exposition, qui remporte un succès mérité, montre que l’intérêt de cette très grande designer se portait sur tous les objets de la vie quotidienne », a expliqué Franck Riester.
Impressionné par « la qualité de la mobilisation de tous les acteurs du design lors de ces assises », le ministre de la Culture s’est dit déterminé « à accompagner les différents projets de manière pédagogique et opérationnelle ». De son côté, le ministre de l’Économie et des Finances a été séduit par l’idée d’une « signature » unique. « Cette bannière permettra au design français d’avoir une force de frappe au niveau européen et international ». Il a également plébiscité l’idée de faire participer le design au Plan d’investissement d’avenir. Les deux ministres se donnent un an pour mettre en œuvre l’ensemble des mesures.