Le succès des Journées nationales de l'archéologie vient, une fois encore, confirmer la popularité de cette discipline. Au même moment, une découverte archéologique exceptionnelle était faite le 2 juin à Pont-Sainte-Maxence (Oise) : un vaste sanctuaire du IIe siècle est mis au jour lors d'un diagnostic diligenté par la Drac Picardie sous un ancien terrain de football destiné à accueillir un Centre Leclerc. Véronique Brunet-Gaston, archéologue à l'institut national de la recherche archéologique (Inrap), raconte.

Lors de la découverte du temple romain, quel vestige a refait surface en premier ?

Comme le veut la procédure lorsqu'un terrain fait l'objet d'un projet commercial, le ministère de la Culture et de la Communication – en l'occurence, la Direction régionale des affaires culturelles de Picardie – déclenche une procédure de diagnostic archéologique préalable. Le but est de s'assurer que le sol ne recèle pas de traces ou de vestiges archéologiques. Ici, l'emprise totale (c'est-à-dire la quantité de sol occupé par la fouille) est de vingt-deux hectares. Elle correspond à la surface occupée jusque là par deux terrains de football (un terrain adultes, un terrain enfants) et un parking. C'est en sondant le terrain, à cinquante centimètres à peine de la terre végétale, au ras du sol foulé par les footballeurs, que les archéologues chargés du diagnostic tombent sur un vestige protohistorique inattendu : un imposant griffon assis, les ailes déployées. Personnellement, c'est à ce moment que j'interviens : je suis sollicitée pour expertiser le griffon, en tant que chercheur spécialisé en architecture antique et blocs architecturaux à l'Inrap. On est bien en Gaule romaine, mais le style de la statuaire s'inspire du grand art romain ou grec.

A quel moment comprenez-vous que vous êtes devant une découverte exceptionnelle, unique en France ?

En expertisant le griffon, je suis frappée par sa qualité d'exécution. La taille de ce premier « bloc » architectural atteste de la monumentalité de la porte qu'il avait pour vocation de décorer, avec sept autres griffons semblables. Porte axiale du sanctuaire, celle-ci s'est effondrée d'un seul tenant, en entraînant la façade entière – 10 mètres de haut sur 90 mètres de long – avec ses dix-sept entrées : des dimensions exceptionnelles en Gaule romaine. Ce type d'accident pour vice de construction ne s'était jamais rencontré en France. Projetés en un chaos de milliers de blocs et fragments, les ornements sculptés de la muraille ont certes pâti du fait que la façade se soit écroulée sur le côté lisse. Néanmoins, le sol sableux gorgé d'eau leur a tenu lieu de masque protecteur. Le spectacle offert par ce puzzle de pierre géant est saisissant. Cinq cents blocs pesant huit cents kilos pour les plus lourds. Un millier de fragments de vingt kilos. De ce chaos de prime abord indéchiffrable, émergent des formes ciselées, animales, végétales, géométriques... Des formes humaines et des scènes pétrifiées, en plein mouvement : des têtes monumentales, une oreille humaine énorme pointée vers le ciel, une Vénus accroupie, le visage d'une vieille, la main en cornet comme pour chuchoter un secret... La qualité de cette statuaire, sans équivalent en Gaule romaine, laisse supposer l'existence d'un atelier grec.

« De ce chaos de prime abord indéchiffrable, émergent des formes ciselées, animales, végétales, géométriques... »

Un atelier grec ? C'est-à-dire ?

Peut-être des artistes venus de Rome, voire de Grèce, ont-ils œuvré au monument. On retrouve en effet tous les canons de la statuaire hellénistique, avec une technique encore plus relevée que sur le temple de Champlieu, à quarante kilomètres de là. Certains visages arborent les mêmes expressions que sur le grand autel de Pergame. On reconnaît le rictus grimaçant caractéristique de la Méduse, son air glacial...

Qu'apportent tous ces éléments à la connaissance scientifique ?

Bien des questions se posent après cette découverte. Pourquoi un temple volontairement aussi imposant, placé à proximité de la voie antique entre Senlis et Beauvais ? Quelle était la fonction d'une façade ornée aussi monumentale ? On ne connaît pas de grande agglomération gallo-romaine proche qui aurait pu justifier la construction d'un édifice aussi monumental. En cette période particulièrement faste (la fin du règne d'Antonin), il pourrait donc être le fait de riches propriétaires qui voulaient honorer les dieux du panthéon gréco-romain. D'autre part, plusieurs siècles se chevauchent sur cette fouille. Cela va de l'époque gauloise pour les fossés trouvés sous le sanctuaire, jusqu'au IVe siècle, matérialisé par quantité de minuscules monnaies. La « post-fouille » nous en apprendra plus. D'autres spécialistes – céramologue, numismate, carpologue – étudieront les reliefs alimentaires de banquets, les petits animaux mangés, les graines, la vaisselle cassée, le four de potier avec ses deux états d'âge...

Que vont devenir ces vestiges ?

Le 4 juillet, le terrain doit être libéré pour accueillir un autre temple – de la consommation, celui-là. Le site archéologique de Glanum, sur la commune de Saint-Rémy-de-Provence, modèle d'une ville antique intégralement préservée sur place, est hélas trop rare en France. Le plus souvent, on retrouve les vestiges ou leurs fac-similés dans des institutions. Certaines, comme le musée de l'Arles antique, imaginent pour eux une scénographie imposante. La découverte de Pont-Sainte-Maxence mérite une vraie présentation dans un grand musée national. Des séquences entières – par exemple la quasi totalité de la façade – peuvent être facilement restituées. Le centre Leclerc entend bien concourir à la valorisation de cette découverte : il financera une restitution à l'échelle réduite de deux arcades, une présentation d'objets dans la galerie commerciale, une matérialisation au sol, par une bande engazonnée, de l'emprise de fouille. Une autre découverte faite par l'Inrap à Pont-Sainte-Maxence – des quais de déchargement de l'époque antique – semble indiquer que d'autres vestiges restent à découvrir à proximité. Notre sous-sol est encore très riche.