Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents, Cher Mikhaïl CHVYDKOÏ, Cher Louis
SCHWEITZER,
Messieurs les Commissaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
« Eh bien, prince, que vous disais-je ? Gênes et Lucques sont devenues les
propriétés de la famille Bonaparte. […] Asseyez-vous ici, et causons ».
Non, ce n’est pas le début d’un roman de BALZAC ou de STENDHAL !
Certains d’entre vous, j’en suis sûr, l’auront reconnu : c’est le début – en
français dans le texte – de Guerre et Paix de TOLSTOI, cette géniale épopée
moderne où les nombreuses incursions dans la langue de MOLIERE – comme
dans nombre de romans russes de cette époque – témoignent non seulement
de la familiarité de la haute société russe avec elle, mais plus généralement
des échanges nourris, intenses et profonds qui se sont développés, depuis des
siècles, entre la France et la Russie.
Le beau concept de « transferts culturels », mis à l’honneur par les chercheurs
en sciences humaines, me semble parfaitement rendre compte de la qualité de
ces échanges, de la relation réciproque, dont cette Année croisée France-
Russie constitue à la fois le témoignage, l’illustration et un nouveau vecteur
tourné vers l’avenir. Une relation tissée de rencontres, d’influences, de
correspondances – au sein épistolaire, mais aussi baudelairien du terme –
entre nos deux cultures, qui, par-delà une distance géographique qui aurait pu
les séparer, se sont continument fascinées et façonnées au contact l’une de
l’autre.
C’est DIDEROT séjournant auprès de CATHERINE II de Russie, la
« Sémiramis du Nord » célébrée par VOLTAIRE, c’est le Français Jean-
Baptiste Alexandre LE BLOND nommé par PIERRE LE GRAND « Architecte
général » de la nouvelle capitale Saint-Pétersbourg, mais c’est aussi, plus tard,
Ivan TOURGENIEV qui se lie d’une étroite amitié avec FLAUBERT, avec
George SAND et avec la grande cantatrice Pauline VIARDOT. C’est Marc
CHAGALL, ou encore Serge DIAGHILEV arrivé à Paris il y a tout juste un
siècle avec ses Ballets russes, qui modifièrent radicalement le paysage musical
français, singulièrement par la création du Sacre du printemps de
STRAVINSKY, symbole de notre entrée fracassante dans la modernité du XXe
siècle… La liste de ces affinités électives serait infinie, voire vertigineuse, et
elle se décline dans tous les domaines : la littérature (avec TOLSTOI,
DOSTOIEVSKI, GOGOL, POUCHKINE qui était à ce point fasciné par la
culture française que ses camarades de lycée le surnommaient « Le Français –
Frantsouz »)… et tant d’autres auteurs qui font partie de notre patrimoine et de
notre imaginaire partagé), mais aussi les arts plastiques, la musique, l’opéra, le
théâtre, le cinéma bien sûr (d’EISENSTEIN à TARKOVSKI et à
SOKHOUROV). Tous ces artistes, toutes ces oeuvres ont été autant de
médiateurs qui nous ont aidés à nous connaître les uns et les autres, nous ont
rendus plus proches, plus familiers, plus intimes,.
Bien des lieux portent aujourd’hui encore témoignage de notre histoire
commune : je pense aux quelque 60 églises russes en France, à de
nombreuses associations et oeuvres sociales, à des musées tels que le Musée
TOURGUENIEV à Bougival, le Musée Chagall à Nice, celui de la COMTESSE
DE SÉGUR à Aube ou encore le Musée ZADKINE à Paris.
C’est pourquoi je suis très heureux que nous puissions, ce soir, inaugurer de
concert – et par un concert ! – cette Année croisée France-Russie dont le
déroulement simultané dans nos deux pays constitue une première. La
présence, dans ce salon, d’une importante délégation russe, mais aussi des
nombreux partenaires français engagés, témoigne du profond attachement de
nos deux pays à la réussite de cet événement.
Cette Année franco-russe sera une excellente occasion de confirmer et
d’amplifier nos relations culturelles, en montrant un nouveau visage de nos
deux pays et en allant au-delà des clichés, nécessairement réducteurs, de
« l’âme russe » et de « l’esprit français ».
Le calendrier des temps forts de cette grande manifestation est impressionnant,
tant par le nombre foisonnant d’événements que par leur qualité exceptionnelle.
Nous le devons à la mobilisation et au travail exemplaires de chacun des
acteurs concernés, et en particulier des mécènes : qu’ils en soient ici
sincèrement remerciés. La richesse de la programmation choisie par les
maîtres d’oeuvre de cette Saison, MM. CHVYDKOÏ et CHIBAEFF, ainsi que par
M. Louis SCHWEITZER, permettra d’illustrer pleinement à la fois la pluralité de
nos cultures respectives et leurs entrelacements.
Je suis particulièrement heureux que de nombreux établissements du Ministère
de la Culture et de la Communication soient engagés dans des projets
ambitieux en France en Russie, qui, j’en suis persuadé, rencontreront tout le
succès qu’ils méritent et marqueront durablement nos mémoires. Je pense
notamment à la merveilleuse exposition consacrée à la Sainte-Russie qui sera
accueillie par le Musée du Louvre, aux chefs-d’oeuvre du Musée Picasso qui
feront le voyage à Moscou et Saint-Pétersbourg, ou encore à la grande tournée
de la Comédie-Française qui la conduira sur les toutes de Novossibirsk et de
Kaliningrad. Je tiens à remercier très chaleureusement chacune des ces
institutions, et beaucoup d’autres, pour les efforts considérables qu’elles ont
consacrés à ce rendez-vous.
Cette Année France-Russie ne devait évidemment pas rester concentrée sur
les seules capitales. Nous avons veillé à ce qu’elle se déploie sur l’ensemble
de nos territoires : de Paris à Nice, en passant par Bordeaux, le Kremlin-Bicêtre
et tant d’autres villes, c’est toute la France qui va accueillir la culture russe – de
même que les initiatives françaises seront présentes sur l’ensemble de la
Fédération de Russie. Ainsi, nos cultures respectives iront véritablement à la
rencontre de chacun des Russes et des Français, et s’inviteront chez eux.
Regards croisés sur le monde et sur l’Histoire, « transfert » de cultures et de
sensibilités : nos deux pays auront l’occasion de faire vivre en leur sein une
autre culture d’une vie particulièrement intense, afin l’explorer et de s’en nourrir
tout au long de l’année. Cette présence de milliers d’artistes et de
professionnels de part et d’autre de l’Oural, ce dialogue entre les créateurs et
surtout entre leurs publics, constitueront, pour la France comme pour la Russie,
un véritable bain de jouvence.
Il reviendra donc, ce soir à la Salle Pleyel, à Valery GERGIEV et à son
Orchestre du Théâtre Mariinsky, d’ouvrir, avec le brio et la chaleur que chacun
leur connaît, ce nouveau chapitre de nos histoires entrecroisées – un peu
comme un début de roman franco-russe…
Je vous remercie.