La mission de la régisseuse d'œuvres
Pouvez-vous nous décrire précisément votre rôle en tant que régisseuse d’œuvres à la CRMH ?
Mon rôle consiste à assurer que les objets mobiliers de Notre-Dame, qu’il s’agisse de tableaux, sculptures ou objets du trésor, soient transportés, installés et conservés dans les meilleures conditions possibles. Je travaille constamment avec différents services, de la DRAC ou des agents extérieurs, pour garantir que toutes ces étapes respectent les protocoles de conservation préventive et de sécurité patrimoniale. Je m’occupe aussi de la gestion administrative et financière de ces opérations.
Quelles sont les étapes principales de votre mission dans le cadre du retour des œuvres à Notre-Dame ?
Pour Notre-Dame, plusieurs étapes sont nécessaires avant de définir les conditions de transport et d’installation : il faut choisir un conditionnement adapté en fonction du matériel et de l’état de conservation des œuvres, planifier les trajets et organiser les équipes selon les disponibilités et les contraintes du chantier. Cette diversité d’interventions reflète la variété des défis spécifiques d'un chantier aussi exceptionnel, où chaque œuvre nécessite des exigences particulières et des approches sur mesure. Dans cette cathédrale, le même jour où l’on doit accrocher un tableau de 4 mètres de haut, l’on doit installer une œuvre textile extrêmement fragile dans sa vitrine, avec toute la délicatesse du monde.
Comment votre rôle s’articule-t-il avec celui des autres acteurs du chantier de restauration ?
Comme mes missions s'inscrivent dans une dynamique collective, je dépends directement des autres acteurs du chantier. Je travaille main dans la main avec Marie-Hélène DIDIER, conservatrice générale du patrimoine, avec l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et avec le Diocèse. S'y ajoutent les architectes, les équipes techniques, les transporteurs, les restaurateurs... L'on peut dire que la liste est conforme à la grandeur du projet.
Le processus de retour des œuvres
Quels sont les critères et les étapes nécessaires pour décider qu’une œuvre est prête à revenir à Notre-Dame ?
Avant toute décision, chaque œuvre fait l’objet d’un constat d'état et d’un dépoussiérage pour évaluer son état de conservation. Si cela s'avère nécessaire, c’est le moment de faire intervenir un restaurateur spécialisé. Nous évitons les interventions massives tant que nous pouvons avoir une bonne lecture de l'objet, tout en respectant son intégrité physique et esthétique. Ensuite, une fois cette étape franchie, les objets intègrent la cathédrale dans les mêmes conditions que les autres.
Comment coordonnez-vous la logistique du transport et de l’installation des œuvres, souvent précieuses et fragiles ?
Ce n’est pas une démarche simple car il faut savoir gérer son enthousiasme et se concentrer sur la sécurité de l’œuvre et des personnes impliquées dans l’opération. Tout d’abord, ces opérations sont souvent longues et doivent être planifiées des mois à l'avance afin de garantir leur bon déroulement. En ce qui concerne le transport, les itinéraires sont planifiés avec précision pour éviter tout risque et les convois sont parfois l’objet d’une escorte policière. Une fois arrivées à la cathédrale, les œuvres sont installées par des équipes spécialisées sous la surveillance de divers agents du chantier. Nous optons aussi pour l’utilisation de dispositifs d’accrochage et de vitrines testés au préalable, ce qui permet d’assurer leur stabilité et leur conservation à long terme. Finalement, un suivi documentaire doit accompagner chaque étape du processus : une documentation photographique et des constats d’état permettent d'établir une traçabilité de la vie de ces objets pour les interventions futures.
Les défis rencontrés
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans ce processus, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou liées à l’état des œuvres ?
Bien que le chantier touche à sa fin, il reste un environnement en constante évolution où de nombreuses sociétés travaillent simultanément : restaurateurs, charpentiers, verriers, entre autres. Je dirais que l'un des plus grands défis réside dans la coordination avec les autres intervenants. Même si cette co-activité est planifiée en amont, il est naturel que des imprévus surgissent. Mon rôle consiste alors à réagir rapidement pour établir des priorités et résoudre les problèmes sur le terrain. Cela peut nécessiter d'ajuster le planning d'une intervention, de trouver une solution technique à un problème ou de faire appel à l'expertise d'un restaurateur. De tels épisodes se sont produits quelques fois, mais ayant la chance d’être entourée de personnes extrêmement compétentes, les délais ont toujours été respectés.
Certaines œuvres ont-elles nécessité des interventions particulières avant leur retour ?
Plusieurs œuvres ont été restaurées à des échelles variées. Une opération majeure a été la restauration des grands tableaux, notamment les célèbres Mays de Notre-Dame, qui a duré deux ans. Ces peintures des XVIIe et XVIIIe siècles, bien qu'elles aient survécu intactes à l'incendie de 2019, ont été minutieusement étudiées avant d'être nettoyées, consolidées et retouchées par une cinquantaine de restaurateurs. Le résultat est impressionnant, et je vous invite à le découvrir après la réouverture.
Une expérience unique
Que ressentez-vous en travaillant au sein d’un monument aussi emblématique que Notre-Dame de Paris, surtout après l’incendie de 2019 ?
C’est à la fois une immense responsabilité et une grande fierté de participer à un tel projet. C’est une aventure humaine, un défi collectif où chaque geste, chaque décision a une portée symbolique. Nous savons tous que ce chantier représente un moment historique à l’échelle du patrimoine mondial. Toutefois, une phrase que j'ai entendue à plusieurs reprises lors de nos opérations était "Notre-Dame, c’est le chantier de ma vie". Je crois qu’il faut absolument prendre en compte que c’est aussi une étape remarquable dans la vie de chacun qui y a travaillé. Pour moi, chaque pas en avant dans ce projet montre à quel point la valeur de ce patrimoine est liée aux gens, et c’est cet aspect humain qui me touche beaucoup.
Y a-t-il une œuvre ou un moment précis de ce processus qui vous a particulièrement marquée ?
L’installation de la Vierge à l’Enfant a vraiment été l’un des plus puissants. Ce n’était pas seulement une étape technique, mais aussi un instant profondément marquant, symbole de la résilience de cette cathédrale et des équipes qui ont attendu ce moment pendant cinq ans. Voir les réactions des personnes présentes après l’incendie a été particulièrement émouvant : c’était comme la fin d’un chapitre et le commencement d’un renouveau.
Parcours et expérience à la DRAC
Comment avez-vous intégré la Direction régionale des affaires culturelles ? Était-ce un objectif de carrière ou une opportunité qui s’est présentée à vous ?
Mon intégration à la DRAC a été une évolution naturelle dans mon projet professionnel. Ce n’était pas un objectif précis dès le départ, mais au fil de mon parcours, cela s’est imposé comme une voie naturelle. Ayant envie d’allier formation et terrain, le poste s’est présenté et je n'ai pas hésité à poser ma candidature.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le fonctionnement et les missions de la DRAC ? Qu’appréciez-vous particulièrement dans votre rôle au sein de cette structure ?
La variété des projets et l'opportunité de travailler avec des professionnels aux compétences diverses me fascinent. En tant que régisseuse, je peux jongler entre la rigueur technique, la coordination logistique et le travail en équipe. Naturellement, être au cœur des différents acteurs de la DRAC me permet d'avoir une vision globale et concrète de chaque projet.
Vous imaginiez-vous, à vos débuts, occuper un poste de régisseuse d’œuvres pour Notre-Dame de Paris ?
Je me rappelle très bien avoir appris la nouvelle de l'incendie pendant un cours de conservation préventive. Au-delà de l'aspect symbolique, ce jour-là, je n'osais pas imaginer que je pourrais un jour participer à un projet aussi emblématique que celui de Notre-Dame. Cependant, mon désir de bâtir une carrière enrichissante m'a conduit à la DRAC, et aujourd'hui, ce chantier représente pour moi mon plus grand accomplissement, tant sur le plan professionnel que personnel.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre formation et les étapes marquantes de votre parcours qui vous ont menée à ce métier ?
J'ai suivi une formation en muséologie entre la France et le Brésil, ce qui m'a donné une vision globale sur la gestion du patrimoine. Ces expériences m'ont sensibilisée aux enjeux culturels et aux techniques de préservation des œuvres dans divers contextes. Rapidement, je me suis tournée vers la régie et j'ai enchaîné les stages et collaborations dans des musées et institutions culturelles, comme le Musée de l’Homme et le Musée du Quai Branly, ce qui m'a permis de développer des compétences pratiques et de créer un réseau dans ce domaine.
Quels conseils ou recommandations donneriez-vous à une personne souhaitant suivre une insertion professionnelle similaire à la vôtre ?
Je commencerais par suggérer de suivre des formations qui offrent une vue d'ensemble sur le travail avec des collections, tout en permettant de se spécialiser dans divers domaines. Accumuler des expériences pratiques est également crucial, car cela aide non seulement à acquérir des compétences techniques, mais aussi à connaitre les réalités du métier. De plus, il est important de développer une grande rigueur organisationnelle et d'apprécier le travail en équipe, car ce métier nécessite une bonne coordination interprofessionnelle. Et surtout, il faut rester curieux et passionné : c'est une carrière exigeante, mais extrêmement gratifiante !
Propos recueillis en novembre 2024
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