Sixième ville d’Île-de-France en nombre d’habitants, Nanterre ne comptait plus aucune librairie indépendante depuis la fermeture du Grillon en 2017. C’est au cœur du quartier de l’université, en plein renouvellement urbain, qui abrita jadis l’un des plus grands bidonvilles de France, que le projet d’Elsa Piacentino et Halima Mbirik voit le jour. La librairie, désirée depuis 2012 alors qu’elles étaient l’une et l’autre étudiantes en sociologie, porte en elle ce passé et les destins des populations immigrées qui ont vécu ici. "El Ghorba" signifie "exil" en arabe, et met particulièrement en valeur l’histoire locale et celle des immigrations d’Algérie, du Maroc, du Portugal et d’Italie qui ont façonné le territoire, des rêves et des luttes de ces oubliés de l’Histoire.
Un projet d'utilité culturelle et sociale
Il aura fallu plus de dix-huit mois aux deux libraires pour concrétiser le projet, obtenir les financements nécessaires, lancer les travaux, procéder aux aménagements intérieurs et acheter le stock d’ouvrages. La DRAC Île-de-France a contribué à l’investissement à hauteur de 10 000 €. En France, l’utilité sociale des librairies indépendantes est reconnue, et les aides publiques permettent de réunir une grande partie des fonds nécessaires : Elsa et Halima ont ainsi pu bénéficier du soutien du Centre national du livre (CNL), de l’Agence pour le développement de la librairie de création (ADELC), de France Active, de la Chambre de commerce et d’industrie des Hauts-de-Seine, du Conseil régional d’Île-de-France, de la Ville de Nanterre et du club d'investisseurs social et solidaire Les Cigales. Elles ont complété ce montage financier avec du financement participatif, dépassant même leur objectif initial en termes de collecte de fonds.
Sur les bancs de la fac, avec six autres camarades, elles rêvaient d’ouvrir une librairie généraliste et engagée qui puisse être un lieu de rencontre et de solidarité. Huit ans plus tard, Halima et Elsa concrétisent leur projet dans un quartier de Nanterre en pleine requalification
Prêtes à se lancer et armées pour faire face aux premiers mois d’exploitation, les deux libraires ont inauguré les lieux le 12 mars, et ont été contraintes de baisser le rideau trois jours plus tard, lorsque le confinement a été décrété. Pour Elsa et Halima, cet arrêt brutal est arrivé au pire moment, car les premiers mois de vie d’une librairie permettent de générer la trésorerie nécessaire au paiement des premières échéances, qui surviennent en général quatre à cinq mois après l’ouverture. Elles ont ainsi passé les premières semaines à contacter leurs fournisseurs, la banque et le bailleur pour négocier des facilités de paiement et des reports d’échéances. La solidarité de la chaîne du livre s’est heureusement mise en place, permettant de limiter les dégâts.
N’étant pas salariées mais travailleuses indépendantes, Elsa et Halima n’ont pas pu bénéficier du chômage partiel. Elles ont en revanche bénéficié du "fonds de solidarité" mis en place par l’État. Une aide vitale pour payer les frais fixes, mais qui ne leur permet pas encore de se verser de salaire.
Avec les moyens du bord faute de site internet, les deux libraires ont mis en place le "click & collect" pendant le confinement, afin de répondre à la demande. Un travail de titan, mais récompensé par le lien particulier qui se crée avec les clients dans ce genre de circonstances.
Satisfaire les clients avides de lecture et d'évasion
La librairie a officiellement rouvert ses portes le 12 mai, soit exactement deux mois après la date d’inauguration. Elsa et Halima ont aménagé les lieux pour permettre un strict respect des consignes sanitaires, s’appuyant sur les recommandations du syndicat de la librairie française. Les tables ont été réorganisées pour permettre une meilleure circulation au milieu des étals, les clients sont invités à se désinfecter les mains en entrant et en sortant de la boutique, les libraires ne se séparent plus de leur masque de protection, et pas plus de cinq clients ne peuvent être présents au même moment afin de respecter au maximum les règles de distanciation physique.
Au-delà des inquiétudes sur l’avenir et des adaptations nécessaires, à l'heure de la réouverture, la détermination des deux libraires est intacte
Halima et Elsa sont à présent à pied-d’œuvre pour satisfaire les clients avides de lecture et d'évasion après ces deux mois de restriction et qui attendaient depuis longtemps l'arrivée de cette librairie à Nanterre.
En ligne de mire, la rentrée littéraire de septembre, qu’il s’agit de réussir à tout prix pour que la librairie prenne son envol.
Chaque année, la DRAC Île-de-France accompagne les libraires
Avec une trentaine de librairies indépendantes soutenues chaque année, la Direction régionale des affaires culturelles est aux côtés de ces acteurs essentiels pour l’économie du livre et pour les territoires et leurs habitants, sur différents types de projets. Une librairie peut en effet prétendre à une aide de l’Etat pour l’aménagement ou l’agrandissement de ses espaces, dans le cadre ou non d’une reprise ou d’une création, mais aussi pour l’acquisition ou le développement de son matériel informatique et numérique. L’Île-de-France compte 530 librairies indépendantes, à Paris ainsi qu'en petite et grande couronne où elles sont des lieux de vie culturelle essentiels. En 2020, la DRAC Île-de-France accompagne l’ouverture de 12 nouvelles librairies.
Informations pratiques
El Ghorba mon amour
148-152 boulevard des Provinces
92000 Nanterre
(Située en face de la Gare Nanterre-Université — RER A)
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h
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