Tourtour-Flayosc - Domaine des Treilles
- département : Var
- commune : Tourtour-Flayosc
- appellation : Domaine des Treilles
- auteur : Pierre Barbe
- date : 1960-1980
- protection : Inscription au titre des monuments historiques par arrêté du 13 novembre 2008
- label patrimoine XXe : Commission régionale du patrimoine et des sites du 28 novembre 2000
Centre d’études et de recherches dans les domaines des sciences, des lettres et des arts, organisant des accueils en résidence, la Fondation des Treilles, reconnue d’utilité publique en 1986, trouve son origine dans l’action de la mécène et collectionneuse, Anne Gruner Schlumberger (1905-1993).
Riche héritière d’une famille alsacienne protestante, qui a fait fortune en inventant une nouvelle méthode de prospection pétrolière, la fondatrice acquiert des terrains dès 1960, autour d’une propriété familiale située à Tourtour (Var), à 15 km au nord-ouest de Draguignan. Au cœur de la forêt varoise, ce territoire au relief vallonné, alternant végétation libre et parcelles agricoles, couvre, une fois remembré, une surface de près de 300 hectares.
Afin d’accueillir et d’héberger les hôtes de la fondation, Anne Gruner Schlumberger entreprend de rénover ou de construire sur ce vaste site une douzaine de maisons dans un style provençal intégré à l’environnement naturel. Elle fait alors appel à l’architecte Pierre Barbe (1900-2004), proche de la famille Schlumberger, pour mener à bien ce chantier complexe. Échelonnés de 1960 aux années 1980, les travaux se déroulent selon quatre étapes et trois degrés d’intervention du maître d’œuvre, qui vont de la réhabilitation de maisons anciennes (Gisclard) ou de la reprise d’un socle préexistant (la Grande Maison) à la création intégrale ex nihilo (Barjeantane). L’ensemble construit s’organise autour de trois pôles, répartis du nord au sud : au sud, Barjeantane, demeure de la propriétaire, est le point focal du domaine. Au centre, la Grande Maison, consacrée aux espaces de travail et de convivialité, est le principal lieu de vie communautaire du site. Enfin, au nord, se trouvent les maisons les plus récentes (Maison d’Amis et Maison de Fonction).
Tout en privilégiant "une exécution épurée s’accordant aux besoins modernes", le programme des Treilles, sous l’influence des idées de Georges-Henri Rivière, s’appuie sur la valorisation de matériaux rustiques et de savoir-faire locaux ainsi que sur la conception de plans adaptés à un usage précis. Pierre Barbe répond à cette commande par une architecture de style "néo-régionaliste rationaliste", dont l’extrême sobriété exclut tout geste architectural démonstratif. Cette discrétion est en adéquation avec les goûts raffinés de la mécène et avec la destination de l’édifice, censé favoriser la concentration intellectuelle des chercheurs.
Dépassant les clivages entre modernité et classicisme, l'architecture du domaine offre une synthèse du fonctionnalisme moderne (pureté des lignes et des volumes, économie de moyens, espaces modulables), de la syntaxe régionaliste et de références érudites et éclectiques à l’architecture antique (thème du patio, remplois de vestiges romains) ou classique (récurrence de la galerie, art topiaire dans les jardins).
Confort moderne et fonctionnalisme sont le résultat d’une exigence perfectionniste du détail juste. La grande qualité du second œuvre se reflète dans le soin apporté aux finitions, à l’intégration du mobilier et des différents modes d’éclairage ainsi qu’à une constante ingéniosité technique.
Oeuvre majeure dans la carrière de Pierre Barbe, l'ensemble des Treilles inaugure la série des grands domaines qu’il construit dès les années 1960 (le domaine d’Aiglemont à Gouvieux pour Karim Aga Kahn (1973-1977) en est un exemple). Cette commande couronne un parcours atypique, qui a dérouté la critique comme les confrères de Barbe : membre fondateur de l’Union des Artistes Modernes et délégué-adjoint au Congrès International d’Architecture Moderne de Francfort en 1929, Pierre Barbe choisit dès 1934 de se détourner du Mouvement Moderne pour se mettre au service de sa clientèle et revenir à une esthétique plus classique, teintée de tradition, mais qui, selon l’architecte, "correspondait bien au logement, dans son échelle humaine".
Fruit d’un travail collectif qui associe étroitement le maître d’ouvrage, l’architecte et le paysagiste Henri Fisch, le domaine des Treilles est une oeuvre totale qui tire sa valeur historique, artistique et architecturale de la fusion de trois éléments indissociables : l’architecture et ses aménagements intérieurs, l’environnement paysager et la collection d’œuvres d’art.
Modelé par la relance de l’exploitation agricole traditionnelle (production de vin, d’huile d’olive), le paysage des Treilles conçu par Henri Fisch, paysagiste autodidacte méconnu, s’étage sur trois niveaux successifs, du jardin rapproché autour des maisons, ouvrant sur les séquences agricoles, aux perspectives panoramiques sur le grand paysage. Conservatoire des paysages, la nature méditerranéenne domestiquée, recomposée et idéalisée que propose Fisch sert d’écrin tant à l’architecture de Barbe qu’aux sculptures et installations contemporaines des jardins. Structurant l’espace, les œuvres commandées à Takis, de même que les sculptures d’Ernst ou de Lalanne, placées par la fondatrice ou les artistes eux-mêmes, participent fortement à la construction du proche paysage.
L’ensemble est conservé dans sa fonction et son état d’origine. Ce site exceptionnel, "microcosme, d’une étonnante variété, dans un ensemble où tout est unité" (Anne Gruner Schlumberger), présente une forte interaction entre environnement naturel et paysager, architecture et oeuvres d'art.
- Rédacteur : Julie Guttierez, Sylvie Denante
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